Bon usage des collyres et pommades - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

l'oeil

Conduites à tenir

Instillation des collyres, application des pommades, conservation et effets indésirables doivent être connus pour un bon usage de la voie d'administration oculaire. Lors de ce soin, l'infirmière peut aussi assumer son rôle éducatif.

LES COLLYRES

- Définition

Les collyres sont des solutions ou des suspensions stériles, aqueuses ou huileuses, contenant un ou plusieurs principes actifs et destinées à l'instillation oculaire. Si la stabilité l'exige, les substances médicamenteuses peuvent être présentées sous forme sèche et stérile à dissoudre ou à mettre en suspension dans un liquide stérile approprié immédiatement avant l'emploi. On dit « instiller » un collyre (verser goutte à goutte, du latin stilla, goutte).

Propriétés

De qualités assez voisines des solutions injectables, un collyre doit être limpide, indolore (pH), neutre, de même pression osmotique que les larmes et surtout stérile.

Remarque : le pH lacrymal varie entre 7,4 et 7,7 mais l'oeil peut supporter des écarts plus importants du fait du pouvoir tampon des larmes.

Durée d'action

Un collyre est un corps étranger pour l'oeil. Son instillation risque de provoquer fermeture des paupières, larmoiement, réaction douloureuse ou rougeur de la conjonctive.

Puisque le film lacrymal est continu, une grande partie du collyre est dirigée vers les fosses nasales par le canal lacrymal. Sa persistance sur la cornée et la conjonctive est toujours réduite : quelques minutes seulement. Les dernières traces ne demeurent pas au-delà de 15 à 25 minutes. D'où la nécessité de répéter les instillations, sauf pour les pommades.

Même si la pénétration est faible, elle est suffisante pour une action thérapeutique et de nombreux principes actifs n'ont à agir qu'en surface (cas des antiseptiques notamment).

Passage systémique

Le passage des principes actifs d'un collyre n'est pas négligeable, d'où les contre-indications, les effets indésirables et les associations médicamenteuses à vérifier. Cependant, le passage systémique peut être réduit par l'occlusion lacrymonasale (bloquer la racine du nez) ou la fermeture des paupières pendant trois minutes. Cette méthode peut contribuer à diminuer les effets indésirables systémiques.

Présentation

La plupart des collyres se présentent prêts à l'emploi, en flacon ou en unidose. Parfois, des impératifs de conservation du principe actif exigent une reconstitution extemporanée (avant usage) d'une poudre et d'un solvant.

C'est le cas de Bacicoline® (antibiotiques + corticoïdes) (cf. visuel présenté ci-contre) et de Cebédexacol® (antibiotiques). Ainsi, il faut visser le flacon en plastique (solvant) à celui qui est en verre, puis, par simple pression, le liquide passe alors dans la poudre et la dissout.

Lorsque la dissolution est achevée, on doit retourner les flacons pour faire repasser la solution dans le flacon en plastique qui servira à l'instillation. Une fois reconstitué, Bacicoline® se conserve dix jours, Cebédexacol®, quinze jours.

Enfin, Rifamycine® (cf. visuel présenté ci-contre), un antibiotique, se présente en flacon en verre sur lequel s'adapte un compte-gouttes.

Les conservateurs

Pour remplir les conditions de stérilité, on ajoute un conservateur au collyre (chlorure de benzalkonium, thiomersal, sels de chlorhexidine...), non dénué de toxicité : altération du film lacrymal, atteinte de l'épithélium cornéoconjonctival et augmentation de la perméabilité épithéliale. D'où l'apparition possible de sécheresse oculaire, hyperhémie conjonctivale... Patients à risque : porteur d'un syndrome de l'oeil sec ou de lentilles, patient glaucomateux ou en post-chirurgie. Dans ces cas, mieux vaut privilégier les formes unidoses ou les systèmes sans conservateurs.

Les formes sans conservateurs

Les unidoses

Ces systèmes sont prévus pour une seule utilisation dans les deux yeux. Certains systèmes sont rebouchables et utilisables dans les 24 heures (Refresh®, Celluvisc®...) sous réserve de mesures d'hygiène : lavage des mains et conservation dans un endroit propre et sec.

Les pommades Sterdex® (cf. photo publiée en p. XXI) et Sterimycine® se présentent également en unidoses à jeter après utilisation unique.

Les systèmes particuliers

- Le système Abak (Carteabak®, Naabak®, Timabak®, Larmabak®, cf. photo présentée p. XXI...) : il est basé sur le principe d'une membrane antibactérienne évitant le risque de recontamination lorsque le flacon se regonfle après éjection de la goutte. En fait, le conservateur est présent dans la solution, mais il est absorbé par la membrane imperméable à l'air lorsque le liquide sort. Avant administration, il nécessite certaines manipulations pour dégager le soufflet.

- Le système Comod (Allergocomod®, Ticocomod®, Hylocomod®...) : il évite aussi l'usage de conservateur en permettant l'éjection de la goutte sans retour d'air.

Durée et température de conservation

On a l'habitude de dire qu'un collyre se conserve quinze jours après ouverture à une température inférieure à 25 °C, mais cela dépend aussi du principe actif et du système de présentation.

Ainsi, le système Abak autorise une conservation jusqu'à huit semaines après ouverture.

Le système Comod se conserve jusqu'à douze semaines.

Les antiglaucomateux analogues de prostaglandines se conservent jusqu'à 28 jours après ouverture (bimatoprost/Lumigan®, latanoprost/Xalatan®, travoprost/Travatan®).

A contrario, Bacitracine® se conserve dix jours après ouverture.

Certains principes actifs fragiles comme latanoprost (Xalatan® et Xalacom®) sont à stocker entre + 2 °C et + 8 °C (réfrigérateur) avant ouverture et à conserver à une température inférieure à 25 °C après ouverture, dans leur boîte à l'abri de la lumière.

Attention, les collyres à base de carbomère (Civigel®, Lacrigel®, Lacrinorm®...) ne doivent pas être placés au réfrigérateur ou au froid au risque de se cristalliser et de devenir inutilisables.

Contenance et durée de traitement

Dans un flacon de collyre, on compte environ 30 gouttes par ml, mais il peut y avoir des pertes à l'instillation.

Un flacon de collyre de 3 ml permet en général une durée de traitement de quinze jours environ dans le cas d'une posologie quotidienne de deux gouttes par oeil et quand les deux yeux sont atteints. Attention aux durées de conservation après ouverture : toujours bien regarder la notice !

Collyres et lentilles

Il faut bien sûr ôter les lentilles avant d'instiller un collyre ou de mettre de la pommade. Mais certains collyres peuvent entraîner une sècheresse oculaire (par exemple : les bêtabloquants antiglaucomateux), déconseillant le port de lentilles souples hydrophiles durant le traitement. Un ophtalmologiste peut, si c'est possible, les remplacer par des rigides.

Par ailleurs, en cas d'infection de l'oeil, le port de lentilles de contact est déconseillé pendant toute la durée du traitement.

Attention aux conservateurs

Le chlorure de benzalkonium est un excipient à effet notoire : il déconseille l'utilisation (le port) de lentilles de contact souples (hydrophiles) pendant la durée du traitement en raison d'un risque d'altération et d'adsorption sur les lentilles.

À faire : enlever les lentilles avant d'instiller les gouttes et les remettre au moins 15 minutes après.

Attention aux principes actifs

La rifamycine ne doit pas être utilisée lors du port de lentilles de contact souples, hydrophiles, qu'elle peut colorer de façon définitive.

LES AUTRES PRÉPARATIONS OPHTALMIQUES

Ce sont les pommades, crèmes ou gels stériles destinés à être appliqués sur les conjonctives.

Ces préparations sont utilisées lorsqu'un effet plus prolongé que celui des collyres est désiré.

Les pommades sont en général conditionnées en petit tube flexible avec une canule et contenant au plus 5 g de produit.

Selon les principes actifs, les pommades se conservent entre 15 jours et 28 jours (Ciloxan®). Il existe des pommades unidoses (Sterdex®, Stériycine®), à jeter après utilisation.

En raison de la présence d'excipients gras parfois, elles sont à appliquer le soir et/ou après les collyres.

Instillation et application, mode d'emploi

Appliquer une pommade ou instiller un collyre comporte deux précautions de base :

- se laver soigneusement les mains,

- éviter de toucher l'oeil ou les paupières avec l'embout du tube.

Instiller un collyre

- Garder la tête droite pendant que la paupière inférieure est tirée vers le bas avec l'index ou le pouce pour éviter d'exercer une pression sur le globe oculaire.

- Regarder vers le haut pour exposer le cul-de-sac inférieur et laisser tomber la goutte.

- L'oeil ne retient qu'une partie du produit. Ainsi, si on met deux gouttes, une goutte et demie tombe sur la joue !

- Entre deux collyres, respecter un temps minimum de 3 à 4 minutes pour que les collyres soient résorbés.

- Appliquer les collyres liquides avant ceux plus gélatineux ou avant une pommade qui se pose en dernier.

Appliquer une pommade ophtalmique

- Appliquer une quantité de pommade ophtalmique équivalente à un grain de blé dans le cul-de-sac conjonctival inférieur de l'oeil en regardant vers le haut et en tirant légèrement la paupière inférieure vers le bas.

- Relâcher la paupière inférieure et cligner des yeux à plusieurs reprises pour être sûr que la pommade recouvre la totalité de l'oeil.

- L'oeil fermé, essuyer proprement l'excédent.

- Fermer le tube après utilisation.

Question à Mireille Mabire, vice-présidente de la Société des infirmières françaises d'ophtalmologie (Sifo)

À votre avis, quels sont les points-clé du rôle infirmier en ophtalmologie ?

- L'administration des collyres est un acte courant qui doit être réalisé selon des règles d'hygiène de base : se laver les mains, les essuyer avec un essuie-mains propre et instiller le collyre sans toucher l'oeil. Toujours noter la date d'ouverture du collyre sur la boîte et respecter la durée de conservation. Ces mesures permettent de prévenir le risque d'endophtalmie (infection), augmenté notamment en post-opératoire.

- Le rôle infirmier est indispensable pour le dépistage de certaines pathologies comme la DMLA et le glaucome, selon l'âge. Connaître les seuils à risque et les signes, s'ils existent, est important. De même, la prévention de la rétinopathie nécessite un rôle éducatif renforcé quant à l'équilibre diabétique et aux recommandations du fond d'oeil annuel et du suivi en général.

S'il est vrai que les infirmières n'ont pas la compétence pour faire un diagnostic médical, elles peuvent donner des conseils et orienter vers le médecin traitant ou les urgences selon les cas, notamment en cas de douleur, de perte de la vision, de traumatismes oculaires ou de diminution de l'acuité visuelle. Alors qu'une hémorragie conjonctivale, souvent très impressionnante, n'est pas une urgence (sauf cas particulier).