Escale à Pondichéry - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

Kalaivani Kadirvelu

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Kalaivani Kadirvelu est cadre infirmière dans une clinique privée de Pondichéry. Après six années dans le Golfe et malgré une certaine aisance financière, elle est revenue en Inde où elle encadre près de 250 infirmières.

Comme chaque matin, vers 8 heures, Kalaivani arrive dans le bus affrété par le Pondicherry Institute. Puis elle se rend au bureau de sa supérieure hiérarchique, afin d'organiser la journée de travail de l'ensemble des infirmières. Elle endosse alors sa blouse, puis visite les chambres individuelles et les dortoirs pour un premier contact avec les patients. Kalaivani est tamoule et est originaire de Tiruvannamalai, située à près de 200 km de Chennai. En quelques années, cette jeune femme de convictions a grimpé tous les échelons au Pondicherry Institute of Medical Sciences.

Plus d'argent, moins de liberté !

« C'est une de mes voisines, quand j'étais petite, qui m'a donné envie d'exercer ce métier. » Un parcours ébauché au Christian College and Hospital de Vellore, dans le Tamil Nadu. Au bout de quatre ans, elle obtient son diplôme (BSC Nursing) « Puis, la loi m'y obligeant, j'y suis restée trois ans et demi comme infirmière, tout en me spécialisant dans un service de dialyse. »

Pour beaucoup de professionnels de santé, l'appel du large s'est vite fait sentir, et Kalaivani s'est envolée pour l'Arabie saoudite. « Un autre univers ! Des hôpitaux de grande qualité et des collègues venus de tous les coins du monde. J'ai beaucoup appris à leurs côtés. » Travailler dans les pays du Golfe, c'est surtout, pour ce personnel issu du sous-continent indien, le moyen de gagner beaucoup d'argent. Pour la jeune infirmière, jusqu'à quinze fois son salaire indien. « Mais c'est aussi l'éloignement de la famille et moins de liberté qu'en Inde. Surtout en tant que femme ! »

Service public délabré

Après plus de six années au service des Saoudiens, la jeune femme rentre dans son pays natal. « Un peu contre mon gré, reconnaît-elle. Ma famille venait de me choisir mon futur mari et mes parents avaient hâte d'officialiser notre union. C'est très important chez nous ! » De ce mariage naissent deux enfants et Kalaivani s'arrête, pour eux, d'exercer pendant trois ans.

En 2002, elle quitte le Tamil Nadu avec son mari et ses enfants pour s'installer à Pondichéry, l'ancien comptoir français. « J'aime cet endroit qui se différencie des autres villes indiennes. Moins de monde, peu d'embouteillages... Je n'aurais pas aimé travailler dans une mégapole comme Chennai ! » Elle intègre alors le Pondicherry Institute of Medical Sciences, un établissement privé comme il en existe aujourd'hui des dizaines à travers le pays depuis les réformes économiques mises en oeuvre au début des années quatre-vingt-dix.

Tourisme médical

Des investisseurs ont misé sur ce secteur et des hôpitaux ont ouvert aux quatre coins du pays, dirigés par des médecins indiens qui exerçaient aux États-Unis ou en Angleterre et qui ont compris qu'il y avait là des opportunités, notamment avec l'essor du tourisme médical. Elle précise : « En Inde, nous pouvons apprendre notre métier dans le public ou dans le privé. J'ai choisi d'étudier dans le privé, il m'est donc très difficile d'intégrer la fonction publique, qui forme son propre personnel. » Kalaivani sait qu'elle gagnerait mieux sa vie en étant fonctionnaire, « mais les conditions de travail moins bonnes créent des tensions. »

Il est vrai que les services de santé gouvernementaux sont en piteux état. Partout on constate un manque de personnel encore plus flagrant que dans le privé et un management inexistant... Combien de médecins du public préfèrent envoyer les malades dans des cabinets privés... leur appartenant ? Il est vrai qu'ils sont mieux pourvus en équipements : résultat, la population aisée du pays se rend moins dans les hôpitaux gouvernementaux, préfèrant payer plus cher pour une meilleure prise en charge.

À ses débuts à l'Institut, Kalaivani est responsable d'un dortoir. Une vingtaine de lits dans le service des maladies rénales. « Puis je suis passée en médecine générale, responsable (nursing supervisor) des chambres individuelles - avec toilettes privées ! » Ces chambres sont un luxe réservé aux patients qui peuvent se les offrir... Avec les infirmières, elle prodigue les soins aux autres malades, et se désole du dédain parfois affiché par les médecins. « Nous les accompagnons dans leurs visites aux patients. Ils nous ordonnent les prescriptions. Mais ils ont un tel air de supériorité ! »

Pénurie

Curieusement, l'Inde manque cruellement d'infirmières et d'aides-soignantes. Dans l'état de Pondichéry, les chiffres officiels font état d'une infirmière pour 50 lits en médecine générale, une pour 30 lits dans les services spécialisés et une pour huit lits en soins intensifs. Le métier est dénigré. « L'Inde compte plus de médecins que d'infirmières ! », précise Kalaivani. Dans ces conditions, comment travailler sereinement ? « À l'Institut, comme dans la plupart des hôpitaux privés, le management est plus strict. Et aucune erreur n'est permise. »

C'est en 2006 qu'elle connaît sa dernière promotion : « deputy nursing superintendant ». Concrètement, sa mission est la même mais elle a, en plus, le pouvoir de remplacer sa supérieure en son absence. Ce n'est pas tout : « Aujourd'hui, je suis également en charge des jeunes infirmières fraîchement formées à l'école qui a ouvert en 2004. » La boucle est bouclée. Et pourtant, « je continue à faire le tour des malades car j'aime ce contact », admet-elle.

Nouveau départ ?

Kalaivani n'a plus qu'un échelon à gravir avant de devenir responsable de tout le secteur infirmier du Pondicherry Institute of Medical Sciences (qui compte 209 infirmières et 22 aides-soignantes...). « Mais malgré ma position assez élevée dans la hiérarchie et les responsabilités que j'assume, je ne gagne que 10 000 roupies (150 euros) par mois, déplore la jeune femme. Avec ce salaire, je fais partie de la classe moyenne inférieure... » Pas de quoi pavoiser, car c'est à peine si elle et sa famille peuvent s'acheter un deux-roues pour se déplacer.

Elle continue patiemment à apprendre auprès de sa supérieure, Jessie Ponnutha, qui quittera son poste dans cinq ou six ans. Qui sait si Kalaivani patientera jusqu'à ce jour pour gravir cet ultime échelon ? « Je repartirais volontiers dans un pays du Golfe pour gagner plus d'argent. Même si j'aime mon travail ici, et plus encore mon pays. »

moments clés

- 1984 : débute ses études d'infirmière au Christian College and Hospital de Vellore.

- 1988 : obtient son diplôme et reste trois ans et demi de plus dans l'établissement où elle se spécialise en dialyse.

- 1992 : travaille dans un hôpital en Arabie saoudite pendant six ans et demi.

- 1999 : retourne en Inde, se marie et a deux enfants. Elle interrompt sa carrière pendant trois ans.

- 2002 : reprend du service et rejoint le Pondicherry Institute of Medical Sciences, où elle coordonne les infirmières au sein du service des dialyses.

- 2004 : est promue « nursing supervisor » au service de médecine générale.

- 2006 : nouvelle promotion et devient « deputy nursing superintendant » : elle supervise toutes les infirmières du service de médecine générale et celles sortant de l'école.

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