L'épreuve de force - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

Ordre infirmier

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Profession

La mobilisation orchestrée par les adversaires de l'ordre ne mollit pas. Le député à l'origine de sa création dénonce le montant de la cotisation. Et l'inscription au tableau semble avoir eu moins de succès que prévu...

« Le 1er septembre dernier, près de 510 000 dossiers d'appels à cotisation et inscription au tableau de l'ordre ont été envoyés aux professionnels. Cette première cotisation fut, à ma grande surprise, de 75 euros. En effet, comme l'avait déclaré Maryvonne Briot, rapporteur du texte de 2006 : "Il reviendra au conseil national de fixer le montant de la cotisation obligatoire. Le montant de celle-ci sera modeste, en raison du nombre important de professionnels. Une participation annuelle de dix euros permettrait à l'ordre de disposer d'un budget de près de 4,6 millions d'euros" ».

Voici la teneur du courrier expédié le 23 septembre à Dominique Le Boeuf, présidente de l'Ordre national infirmier (ONI), par Richard Mallié, député UMP des Bouches-du-Rhône, à l'origine de la loi du 21 décembre 2006 instituant l'ordre. « Avec ce montant élevé, vous risquez de décourager bon nombre d'infirmiers d'adhérer à l'ordre, et ce dès sa création. C'est regrettable. De plus, vous apportez de l'eau au moulin des détracteurs de l'ordre », conclut le député. Au printemps dernier, Annie Podeur, directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, avait déjà demandé à l'ordre de revoir la cotisation à la baisse. Demande alors rejetée par Dominique Le Boeuf, qui voit dans les 75 euros un gage d'indépendance et d'efficacité de l'instance.

Malaise...

Du côté « des détracteurs », on se félicite du rappel à l'ordre opéré par Richard Mallié. En particulier au sein de la large intersyndicale (CFTC, CFDT, FO, Snics-FSU, Sud, Unsa, CGT) qui conteste l'existence même de l'instance, et appelle au boycott de la cotisation. « C'est une bonne nouvelle, retient Nathalie Canieux, secrétaire générale de la CFDT Santé-sociaux. Mais même en imaginant que l'ordre fixe la cotisation à 10 euros, rien ne nous assure que ce montant ne sera pas augmenté. Il y a un précédent en la matière avec l'ordre des kinésithérapeutes... De surcroît, l'intervention du député ne remet pas en cause le questionnaire inquisitoire du dossier d'inscription [cf. Juridique, p. 22-23], alors qu'il est sans fondement puisque la loi HPST précise que l'inscription est automatique. » Contactée à plusieurs reprises, Dominique Le Boeuf n'a apparemment pas souhaité répondre à nos questions sur ces points. Le malaise est palpable. Virginie Lanlo, directrice de la communication de l'ONI, s'est étonnée « que l'on revienne sur le montant de la cotisation alors que l'appel est déjà lancé ».

...Et embarras

La remise en cause de l'instance par les pouvoirs publics ne semble pas à l'ordre du jour. D'autant que la loi de 2006 émanait des parlementaires et non du gouvernement. « Nous allons demander à Richard Mallié de faire modifier la loi afin que les infirmières salariées bénéficient d'un traitement particulier », indique Bernard Sagez. Une démarche également entreprise par la CFDT, qui poursuit son lobbying auprès des parlementaires afin que les infirmières salariées soient exonérées de la cotisation. « Nous souhaitons l'abrogation de cette loi. La question de la cotisation n'est qu'une incidence », lance Sylvie Breuil, secrétaire générale de la CGT Santé et action sociale. « La profession attend avant tout des moyens pour travailler. Et ces moyens ne peuvent venir que de l'État », estime la CGT. Une vision qui n'est pas partagée par toute la profession. Catherine Kirnidis, secrétaire générale du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil), admet que l'ordre servira sans doute davantage les intérêts des infirmières libérales que ceux des autres. « Mais il permet de nous soustraire toutes à l'ordre des médecins et nous offre ainsi de gagner en autonomie. »

Inconnue à cette adresse

« Des établissements de santé ont bloqué la distribution de courriers » contenant le dossier d'inscription, déplorait l'ONI le 30 septembre. La date butoir est repoussée d'un mois, au motif que « certains infirmiers rencontrent des difficultés pour s'inscrire » (même si les dossiers étaient disponibles sur Internet). Pour Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (1), interrogée début octobre, la faute revient d'abord au répertoire Adeli. « Il n'est absolument pas à jour. Dans mon établissement, nombre de dossiers ont été adressés à des infirmières qui n'étaient plus en poste, alors que celles présentes n'ont toujours rien reçu. »

Une cadre supérieure de santé raconte que dans son hôpital « la direction des soins infirmiers n'a pas voulu se charger de la distribution, arguant que ce n'était pas son boulot. Comme des collègues cadres, j'ai pris les courriers destinés aux infirmières de mon pôle et j'ai assuré, pour chacune, la répartition. »

1- La CNI ne fait pas partie de l'intersyndicale anti-ordre mais conteste, entre autres, le montant de la cotisation.

L'ordre assiégé au Salon

« Ordre infirmier, racket organisé », « même gratuit, on n'en veut pas ! »... Le 14 octobre, plus d'une centaine de militants (1) se sont fait entendre au Salon infirmier de Paris, venus d'Île-de-France, mais aussi d'Alès, Caen, Clermont-Ferrand, Lille, Rennes ou Tours, à l'appel de l'intersyndicale anti-ordre. Après la destruction de dossiers d'inscription, à la main et par le feu, la délégation force l'entrée du salon, et fonce au stand de l'ordre. Tandis que les représentants de l'instance sont pris à partie par la foule, une personne handicapée s'approche en fauteuil roulant et vide sa poche d'urine sur la moquette du stand...

Les manifestants tentent de démonter le comptoir d'accueil et d'arracher les affiches, tandis que des boules puantes parachèvent l'atmosphère : « L'ordre, ça pue ! », entonne la délégation. Après de longues minutes de confrontation, direction le forum central, où les porte- parole des syndicats exposent leurs griefs. Au total, l'action durera deux heures, prenant une ampleur inattendue sur un salon qui en a pourtant vu d'autres. « Ici, dans le passé, je n'avais jamais vu une mobilisation avec un caractère aussi fort, pêchu et radical », assure Pascal Dias (Sud), ancien animateur du mouvement infirmier de 1988. Peu après, dans le stand de l'ONI refait à neuf, le ton est moins enthousiaste. Virginie Lanlo, la directrice de la communication, trouve le procédé « très irrespectueux. Cela préfigure mal de la possibilité d'une discussion avec les syndicats qui étaient présents », pointe-t-elle.

1- Jusqu'à 350 personnes suivant les estimations. Récit complet sur http://www.espaceinfimier.com.

Des missions...

Selon la loi de 2006, l'ordre doit, entre autres :

- Contrôler l'accès à la profession : l'exercice sans inscription est illégal.

- Veiller au maintien des principes « d'éthique, de moralité, de probité et de compétence », via notamment le code de déontologie.

- Promouvoir les bonnes pratiques dans les soins.

- Participer au suivi statistique de la démographie infirmière.

- être un interlocuteur du ministère de la Santé. L'ONI a, par exemple, pris position sur la campagne de vaccination anti-H1N1.

- Assurer la promotion de la profession.

... et des griefs

Parmi les arguments opposés à l'ordre, citons :

- L'atteinte aux libertés. Le pouvoir de sanction de l'ordre, s'ajoute à ceux des établissements et de la justice.

- L'obligation de cotiser, et pour un montant jugé élevé (75 euros), y compris par certains élus ordinaux qui réclamaient à l'origine 30 euros.

- Un budget trop gourmand : plus de 35 millions d'euros par an. L'idée de supprimer un échelon (régional ou départemental) est souvent soulevée.

- Le corporatisme. C'est un argument souvent avancé par les syndicats : le Haut Conseil des professions paramédicales serait plus légitime pour représenter les infirmiers.

- Un manque de représentativité. Les scrutins départementaux de l'ordre n'ont réuni que 13,7 % des inscrits en avril 2008 (tout de même au-dessus des 11 % des kinés, en 2006).

Chiffres mystères

Combien d'inscriptions l'ordre a-t-il enregistré ? À l'heure où nous écrivions, l'ONI refusait de livrer un chiffre précis. Mi-octobre, une source ordinale évoquait du bout des lèvres « quelques milliers » de dossiers reçus, loin donc des 510 000 infirmières du fichier Adeli. Plusieurs responsables syndicaux estimaient le taux de retour à moins de 10 %. L'ordre s'étant engagé à tirer un bilan fin octobre, rendez-vous sur http://www.espaceinfirmier.com pour les chiffres officiels.

Mobilisations

L'intersyndicale anti-ordre a méné plusieurs journées d'actions, avec rendez-vous devant les Ddass, les sous-préfectures... Le 30 septembre, « plus de 80 rassemblements » ont eu lieu, chiffre Philippe Crépel, secrétaire fédéral de la CGT Santé-action sociale, réunissant chacun jusqu'à 500 personnes. Le 20 octobre, une autre journée d'action a donné lieu à « une trentaine de rassemblements ».

Soucoupes

Certains des détracteurs de l'ONI le surnomment « l'Ovni » (par exemple sur le forum du « Contre-Ordre des infirmiers », http://codi.xooit.fr). Une image aussi utilisée au micro par Pascal Dias, militant Sud, au Salon infirmier : « Nous avons un alien, un parasite qui vient se greffer sur la profession »...

Exprimez-vous sur nos forums http://www.espaceinfirmier.com.