L'invisible et l'imprévisible - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

Technologies

Éthique

Les nanosciences permettent de manipuler l'atome à l'échelle du millionième de millimètre. Dans le domaine médical, cette intervention n'est pas sans enjeu éthique et sanitaire.

Plus le monde est petit, plus le besoin d'éthique est grand. Telle pourrait être l'équation que créée l'émergence des nanotechnologies et des nanosciences dans notre quotidien. L'un des engagements du Grenelle de l'environnement était d'ailleurs d'organiser le débat public sur « les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies. » C'est chose faite. Cette mission a, en effet, été déléguée à la commission nationale du débat public (1).

Le 15 octobre dernier, cette instante a ainsi inauguré à Strasbourg un cycle de dix-sept débats publics, qui se clôturera en février 2010 à Paris, sur le thème « Éthique et gouvernance ».

Entre temps, le 1er décembre, à Grenoble, les citoyens sont invités à venir s'informer et à s'exprimer sur « L'informatique, les libertés individuelles et la nanomédecine ». L'occasion de se replonger dans un avis publié en 2007(2) par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les « questions éthiques posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé » et qui abordait précisément ces deux thématiques.

La fin et les moyens

Quelques mois plus tard, à l'occasion de la révision des lois de bioéthiques de 2004, les sages avaient regretté que, dans ce cadre, les nanotechnologies ne soient pas prises en compte dans la réflexion sur l'adéquation entre la fin et les moyens.

Dans le champ des applications médicales et du soin, les réserves du CCNE vis-à-vis du « nanomonde » sont nombreuses au regard des effets non bénéfiques qu'il pourrait générer sur l'homme et l'environnement. Même s'il note que, en tant que telles, nanosciences et nanotechnologies ne posent pas de problèmes éthiques nouveaux mais qu'elles les réinterrogent dans un contexte nouveau. S'agissant spécifiquement de la nanomédecine, les membres mettent en garde sur ses développements actuels et futurs. Ils pointent notamment les outils thérapeutiques et pharmacologiques qui seraient susceptibles, du fait de leur taille, de traverser la barrière biologique, « et en particulier la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau ou plus généralement les membranes cellulaires, l'enveloppe nucléaire séquestrant le génome ».

De surcroît, sur les dizaines de milliards de dollars investis au niveau mondial depuis plusieurs années dans la recherche et le développement des nanosciences et des nanotechnologies, moins de 0,5 % a été consacré à la recherche sur les risques, dont ceux pour la santé. « Le problème, dans un tel contexte, est la tentation de d'abord produire, vendre et diffuser les objets, et de n'envisager de les étudier et de les comprendre plus tard. »

Et le CCNE de souligner « que la situation n'est pas sans rappeler celle qui prévalait au moment du développement des plantes OGM : le discours portait sur la lutte contre la faim dans le monde, mais la mise sur le marché concernait avant tout les objectifs des grandes entreprises agro-industrielles des pays riches. » Évidemment, ce constat donne matière à réfléchir...

I- Sur Internet : http://www.debatpublic-nano.org.

2- Avis n° 96 cf. http://www.ccne-ethique.fr.

3- Questionnements sur les États généraux de la bioéthique : http://www.ccne-ethique.fr/docs/avis_105_CCNE.pdf.

TÉMOIN

Sandrine Mathieu

« Difficile de mesurer les conséquences... »

« En bloc opératoire, les produits utilisant la nanotechnologie et ses applications sont déjà présents dans notre exercice quotidien : imagerie, produits chimiques et pharmaceutiques, matériels prothétiques bioactifs ou non, systèmes électroniques de suivi..., explique Sandrine Mathieu, Ibode à Mulhouse. L'emploi et la prescription de ces nouvelles nanotechnologies sont validés par des autorisations de mise sur le marché et les établissements de santé.

Cependant, peuvent-elles l'être en toute connaissance de cause en l'absence de système de mesures adapté, d'études de risques, de traçabilité réelle ? En effet, utiliser des éléments nanométriques existants dans la nature est une chose, en produire de nouveaux sans savoir ce que pourraient être leurs implications et conséquences au niveau humain, environnemental ou biologique en est une autre. Au regard du bénéfice/risque, et du respect de l'intégrité que nous devons assurer aux patients, ce questionnement éthique doit interroger autant le soignant que le citoyen. »