Quand l'âge s'en mêle... - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

psychogériatrie

Dossier

Le vieillissement des personnes psychotiques pose le problème de leur prise en charge. À ce jour, aucune structure spécifique n'existe pour ces patients âgés.

«On aurait dit un vieillard mais, il ne devait pas avoir 60 ans. Les cheveux hirsutes, le jean crasseux. Et son haleine alcoolisée alors qu'il me postillonnait en plein visage les mots de son délire. Il criait, une éternelle histoire de complot, farcie de lutte impérieuse contre "ces suppôts de Satan". Là, je me suis figé. Car brutalement, ce n'était plus un SDF perdu que je voyais, mais ma fille, ma Jeanne. Les mêmes mots, les mêmes gesticulations. Délire de deux personnes schizophrènes que j'ai confondues, l'espace d'un instant. Et j'ai pris peur. J'ai songé à l'avenir... celui pas si lointain où je ne serai plus là. J'ai imaginé le pire pour ma fille. Car dites-moi, quand je serai mort, qui va prendre soin d'elle ? Où et comment vivra-t-elle ? » Silence.

Louis va avoir 75 ans. Sa femme est décédée. Désormais il est seul avec sa fille, Jeanne, 48 ans, souffrant de schizophrénie depuis près de trente ans. Sa belle adolescente qui se rêvait professeur de lettres a vécu sa première hospitalisation psychiatrique à 20 ans. La première d'une longue série, même si, pas à pas, traitements médicamenteux et accompagnement soignant ont permis de stabiliser son état. À mille lieues des lettres, Jeanne s'est un temps essayée à la vente dans la boulangerie voisine. Mais elle n'a pas tenu. Pas plus qu'elle n'a supporté le studio où elle a vécu quelques mois, seule : « l'alcool comme nouvel ami, les voisins de palier "mal à l'aise" et qui ont fini par aller se plaindre au propriétaire des lieux... » se souvient Louis. Une place dans un foyer spécialisé? Encore faut-il en trouver une. Et puis Jeanne préférait rester à la maison. Sa mère était rassurée. Les années ont passé, Louis a vieilli, sa fille aussi... alors le père s'inquiète.

Pour qui n'est pas parent d'une personne souffrant de troubles psychotiques - schizophrénie et troubles bipolaires, notamment - l'angoisse de Louis pourrait presque surprendre. Certaines de ses connaissances sont d'ailleurs là pour le lui rappeler : « Pourquoi ne te réjouis-tu pas ? Il y a encore quelques dizaines d'années, Jeanne, comme la majorité des personnes dans son cas, serait décédée plus jeune. » Certes ! Cela, Louis le sait. Et bien sûr, il sourit en imaginant sa fille à un âge vénérable. Mais ce qu'il craint - comme nombre de familles souligne Jean Canneva, président de l'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques) -, c'est le manque de prise en considération des implications liées à ce vieillissement. Quid de l'évolution des pathologies avec l'âge ? Comment mettre en place une prise en charge soignante adaptée ? Quels lieux de vie à l'heure de la perte d'autonomie aiguë ? Quand les familles ne sont plus là ? Que les structures traditionnelles n'arrivent plus à répondre à leurs besoins ? Les questions sont nombreuses. Les réponses encore trop souvent à peine esquissées. Thierry Gallarda, psychiatre au Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement de l'hôpital Sainte-Anne, à Paris, avertit : « en matière de troubles psychotiques, les progrès de la médecine moderne ont permis de mettre au point des traitements plus efficaces et mieux tolérés. Couplés à l'amélioration des conditions de vie et de l'accès aux soins, ils ont contribué à une élévation de l'espérance de vie de ces patients, aujourd'hui inférieure d'à peine dix ans à celle de la population générale. Ici et là, quelques équipes soignantes s'en sont préoccupées, mais elles sont encore peu nombreuses. Résultat, quel accompagnement propose-t-on à ces personnes ? La réflexion est encore naissante et tâtonnante. »

Retard français

Chef de service du Centre de psychiatrie du sujet âgé du centre hospitalier Esquirol à Limoges, le Pr Jean-Pierre Clément fait le même constat. Tempêtant notamment contre « le retard de plus de trente ans de la France en la matière. » Alors que la psychiatrie du sujet âgé a un statut officiel depuis 1983 en Grande-Bretagne et depuis 1991 aux États-Unis, - ce qui suppose en conséquence une offre de soins adaptée -, la France, elle, « manque de bras », et les revendications des quelques spécialistes de géronto-psychiatrie peinent à se faire entendre. Ainsi par exemple, le diplôme d'études spécialisées complémentaire (DESC) de géronto-psychiatrie n'est toujours pas créé pour le moment...

Le retard est tel, souligne-t-il, que selon un classement établi en 2003 par l'OMS, la France n'était qu'à la 18e position mondiale en termes de structures et d'organisation de soins en psychiatrie de la personne âgée. Bien sûr les choses évoluent, souvent à la faveur de bonnes volontés isolées. Parfois à la faveur de crises aussi, note Thierry Gallarda, qui rappelle combien le « choc » consécutif à la canicule de 2003 a mis en lumière la nécessité de soins psychiatriques adaptés pour les personnes âgées. « Mais des annonces officielles aux réalités de terrain, le fossé est large ! », souligne-t-il.

Et si - toutes proportions gardées - la maladie d'Alzheimer a pris des airs de grande cause nationale, soins et accompagnement des psychotiques chroniques âgés restent largement insuffisants. « Il faut dire, rajoute-t-il, que les soignants eux-mêmes ne se bousculent pas en masse au portillon. La double étiquette "vieux + fou" continue, parfois de faire peur, trop souvent de rebuter. »

Diagnostic difficile

Le travail des soignants auprès de ces personnes fragilisées par leur pathologie psychiatrique et par l'âge est certes complexe. Les questionnements nombreux, même au seul plan clinique. Les diagnostics sont parfois difficiles à établir. « Ne serait-ce que, souligne Renald Asvazadourian, psychiatre à l'hôpital de jour Boussingault dans le XIIIe arrondissement parisien, parce que le vieillissement influe sur l'expression symptomatique des troubles psychiatriques. » Difficulté à différencier des troubles du comportement, ou des symptômes psychotiques liés à un début de pathologie neuro-dégénérative d'une authentique décompensation psychiatrique, expression exclusivement somatique d'une pathologie psychiatrique (notamment dans les troubles de l'humeur et anxieux)... « Il n'est pas rare que l'on nous adresse des patients pour un Alzheimer et que nous découvrions que leurs troubles sont en fait d'ordre psychiatrique », commente-t-il.

Vieillissement complexe

Pour relativement récente qu'elle soit, l'évolution clinique des pathologies psychotiques à l'aube du grand âge commence cependant à être mieux connue. Contrairement à ce que l'on a longtemps cru, les études ont montré une évolution contredisant le cours nécessairement détérioratif des schizophrènes et le bon pronostic des personnes bipolaires. « Le vieillissement des personnes schizophrènes,

explique Thierry Gallarda, est surtout marqué par de forts déficits cognitifs, souvent préexistants. »

Chez une minorité de patients, sans que l'on puisse réellement expliquer pourquoi, cette détérioration est réellement catastrophique, mais la majorité des personnes âgées schizophrènes ont un vieillissement assez linéaire. Le vieillissement des patients bipolaires est lui plus hétérogène, se manifestant parfois plus sur un mode unipolaire - dépressif ou maniaque - mais toujours fortement marqué par l'importance de troubles cognitifs croissants. Se surajoute à ce vieillissement pathologique, une charge somatique souvent très lourde : « ancienne, telle l'addiction au tabac ou les problèmes alimentaires qui entretiennent un haut risque d'accident cardio-vasculaire ; ou apparaissant avec l'âge, comme chez tout un chacun », précise Renald Asvazadourian. Avec le risque que la pathologie psychiatrique soit occultée par le vieillissement et mal traitée. « Or le seul manque d'ajustement médicamenteux, encore trop fréquent, peut avoir des conséquences dramatiques », commente Patrick Frémont, psychiatre chef de service au centre hospitalier de Lagny-sur-Marne.

En raison de cet enchevêtrement des problématiques cliniques, à la croisée de la psychiatrie, de la gériatrie et de la neurologie, la prise en charge soignante des patients psychotiques âgés se devrait d'être adaptée, « car on ne peut se contenter de décaler ce que l'on fait pour les patients psychiatriques plus jeunes, ou pour des patients atteints de démences séniles », note Patrick Frémont. Et c'est bien là où le bât blesse. Les structures ad hoc manquent cruellement, et sont - qui plus est - très inégalement réparties sur le territoire tant leur existence dépend d'initiatives individuelles. Confrontée, il est vrai, à une forte hausse de la demande en matière de soins depuis la mise en place de la sectorisation, la psychiatrie ne s'est que marginalement préoccupée de ceux qui n'étaient alors que quelques « vieux asilaires» parfois rapidement mis de côté. Mais aujourd'hui la donne a changé. Un rapport révélait en 2001 que les personnes âgées occupaient quelque 20 % des lits en secteur d'hospitalisation adulte en psychiatrie, et constituaient 30 % de la file active des centres médico-psychologiques (CMP), sans pour autant que des soins adaptés leur soient toujours prodigués. Et ce, sans même parler des psychotiques âgés hantant les services de gériatrie, rarement adaptés à leurs pathologies... ou débarquant inopinément aux urgences, en crise.

Inventer des structures

Pas question pour autant de noircir le tableau. À Paris (à l'hôpital Sainte-Anne ou à Bretonneau), Pau, Quimperlé, Limoges, Ivry-sur-Seine, Lyon, Lagny-sur-Marne et ailleurs encore, des dispositifs spécifiques de géronto-psychiatrie existent, dédiés à l'accueil de deux populations : personnes âgées souffrant de démences dégénératives et psychotiques chroniques vieillissants. Généralement constitués en sous-unités spécifiques d'un service ou en dispositif intersectoriel regroupant objectifs et moyens, ils sont « certes insuffisants numériquement parlant, mais tracent la voie », commente Jean-Pierre Clément. Au coeur de ces structures, des unités d'hospitalisation, qui font en quelque sorte office de dispatch, accueillant les patients psychotiques souvent en pleine décompensation, établissant diagnostic et orientation idoine. « Pas question ceci dit, précise Patrick Frémont, de transformer ces unités en lieux d'hospitalisation longue durée. Et de recréer des asiles. Pas plus que les personnes âgées "normales", les psychotiques vieillissants n'ont vocation à vivre à l'hôpital. Il est donc pour nous essentiel de pouvoir leur proposer des dispositifs variés, et de travailler en lien étroit avec le territoire. » En matière de géronto-psychiatrie, l'hôpital de Lagny-sur-Marne dispose ainsi d'une unité d'hospitalisation de 10 lits, d'un hôpital de jour, et d'une équipe mobile de géronto-psychiatrie, coordonnée par un infirmier, Henri Dehacq. L'équipe de Patrick Frémont travaille par ailleurs en collaboration étroite avec le service de gériatrie - ce qui est loin d'être le cas partout, en dépit des recommandations officielles. Surtout, poursuit le psychiatre, « nous travaillons, en amont et en aval, avec les structures maillant le territoire : les 4 secteurs de Lagny - au sein desquels travaillent un médecin et une infirmière référents en matière de géronto-psychiatrie - et les structures médico-sociales - Ssiad et maisons de retraite. Un travail de liaison d'autant plus essentiel que, selon moi, le secteur et le médecin traitant doivent rester pivots de la prise en charge des patients car ce sont eux qui les suivent au quotidien. »

Formation insuffisante

Selon les lieux où ces dispositifs se sont développés, les modèles d'organisation varient. Mais au-delà des disparités pratiques, le mot d'ordre des équipes est le même : une prise en charge souple, au plus près des besoins des patients, une psychiatrie de liaison, réunissant des acteurs multiples, des équipes nécessairement pluri-professionnelles. Ce qui impose, commente Patrick Frémont, de disposer de personnel formé, médecins, infirmiers, neuropsychologues, etc. Or là aussi, le manque est criant. Pas tant dans les structures dédiées, où une formation interne existe souvent. Il en est ainsi du service de psychiatrie du sujet âgé de Limoges qui, explique Richard-Olivier Peix, cadre de santé, « organise, à raison de session d'une heure tous les 15 jours, des formations thématiques pour les internes, infirmiers, aides-soignants et ASH. » Mais mises à part ces structures de soin, le vide est immense. à considérer les seuls Ifsi, la formation en psychiatrie est souvent minime. Alors la géronto-psychiatrie ! « Elle est souvent inexistante, et si l'on veut organiser quelque chose, il n'est pas non plus facile de trouver des intervenants... », souligne Anne Quelet, qui vient de mettre en place un module de géronto-psychiatrie à l'Ifsi parisien Croix Saint-Simon.

Manque de lieux de vie

Les structures de soins adaptées manquent. Mais ce n'est pas tout. Car avec l'avancée en âge, la question de l'accompagnement des patients psychotiques chroniques se pose aussi en d'autres termes, principalement celui du lieu de vie. Et là encore, le manque est flagrant. Jean Canneva, président de l'Unafam, ne cesse de le clamer : « indépendamment de l'âge, six éléments clés sont nécessaires à une personne souffrant de handicap psychique : soins, ressources, hébergement, accompagnement, si nécessaire protection juridique, et si possible activités. Le compte est souvent loin d'y être lorsqu'elles ont 20 ou 30 ans. Alors à 50, 60 ou 70 ! » Dans un monde idéal, équipes soignantes et médico-sociales travailleraient main dans la main, et le vieillissement de chacun serait préparé. « Sauf que dans les faits, on est loin du compte. Et que pour les personnes psychotiques cela peut avoir des conséquences dramatiques », poursuit-il. Du fait de leur pathologie, ce sont des personnes très désocialisées : elles sont peu demandeuses de soins, alors même qu'au fil des années, souvent suite à une période de stabilisation, le lien soignant s'est distendu. Et le risque ultime, c'est que ces personnes passent à travers les mailles du filet... jusqu'à se retrouver à la rue. L'étayage familial, quand il existe, amortit certes le choc, précise Thierry Gallarda. Mais les familles souffrent elles aussi. Et vient un moment où les parents vieillissent, puis disparaissent. Et c'est souvent lors de ce changement brutal d'environnement - décès d'un parent, départ d'un foyer désormais inadapté, ou simple déménagement du médecin traitant habituel - que tout se percute, et que la rupture imposerait une adaptation pertinente des soins et du lieu d'hébergement. Sauf que... souligne Chantal Tabaraud, assistante sociale à l'hôpital de Limoges, « sans même parler des difficultés financières, trouver une place en foyer ou en maison de retraite pour les personnes psychotiques de plus de 50 ans, c'est à chaque fois la croix et la bannière... »

équation insoluble

« La situation des 50-60 ans est certainement la plus complexe », précise Patricia Lefebure, médecin généraliste membre du RPSM78, le Réseau de promotion pour la santé mentale Yvelines sud. Trop vieux pour être acceptés par l'immense majorité des maisons d'accueil spécialisées (MAS) et foyers, trop jeunes pour avoir une place en maison de retraite... l'équation a des airs d'insoluble. Le retour à domicile est souvent compliqué par la nécessité de soins adaptés et les ressources limitées. « On ruse, on patiente, jusqu'à trouver une solution », note Chantal Tabaraud. Quant à l'hébergement en maison de retraite passé 60 ans, ce n'est pas non plus une sinécure ! D'abord parce que côtoyer des résidents dont la moyenne d'âge dépasse les 80 ans quand on en a 60, c'est compliqué, parfois traumatisant. Plus encore lorsque ces mêmes résidents sont atteints d'Alzheimer. « Psychotiques et Alzheimer font rarement bon ménage, explique Nathalie Maubourguet, présidente de la Ffamco-Ehpad, Fédération des médecins coordonateurs en Ehpad. Les premiers ont besoin d'un cadre stable, les seconds oscillent entre apathie et agitation perturbante. Ils se font peur les uns les autres. » Et les équipes sont en grande difficulté. Non formées pour accueillir ce type de pathologies, apeurées en conséquence, réfractaires à s'occuper de ces « vieux fous », ou simplement démunies. « Car comment gérer une décompensation ou un accès maniaque quand on n'y a pas été formé ? Comment savoir que, si le relationnel prime souvent dans la relation à la personne âgée, on n'aborde pas de la même façon les troubles du comportement d'un psychotique et ceux d'un Alzheimer car ils sont de natures différentes ? Que les premiers peuvent être prisonniers de leur monde propre, les seconds souffrir plus d'une non compréhension du monde extérieur », poursuit Xavier Gervais, médecin en Ehpad près de Bordeaux. Peur, méconnaissance... les Ehpad sont encore nombreux à refuser d'admettre des psychotiques vieillissants. Pourtant, contrairement aux apparences, en accueillir quelque uns est loin d'être insurmontable, d'autant que ce sont souvent des personnes familières de la vie en institution compte tenu de leur passé de soin, et globalement moins « pertubatrices » que celles atteintes d'un Alzheimer en phase aiguë.

Collaboration active

La problématique est différente lorsqu'un Ehpad - souvent ceux traditionnellement habitués à recevoir cette population de résidents - se retrouve avec la moitié de ses résidents constituée de psychotiques âgés, comme Nathalie Moubourguet en fait l'expérience dans l'un des quatre établissements où elle travaille. « Dans ces cas là, ce qui fait toute la différence, c'est l'existence - ou non ! - d'une collaboration active avec le secteur de psychiatrie, explique-t-elle. Lorsqu'elle n'existe pas, comme c'est le cas pour moi, c'est ingérable ! Lorsqu'elle a lieu, comme c'est le cas pour mon collègue Xavier Gervais, dont l'Ehpad a d'ailleurs signé une convention avec l'hôpital psychiatrique de Bordeaux, cela facilite infiniment notre travail ! » Une histoire de bonnes volontés et de moyens encore. Reste que les professionnels s'interrogent : un Ehpad a ses limites, faut-il alors créer des structures spécifiques type Ehpad pour les personnes psychotiques vieillissantes ? L'Unafam y est favorable, sur le modèle de résidences d'accueil, citant en exemple la résidence des Tuileries de l'association Route Nouvelle Alsace.

« Une résidence qui a rang de foyer d'accueil spécialisé, et héberge 40 personnes de 23 à 82 ans, essentiellement schizophrènes » précise Marianne Bannereau, infirmière des lieux. Qui rajoute : « auparavant nous avions 10 lits à part, dédiés aux plus âgés, désormais tous sont regroupés. Par contre nous allons créer un foyer d'accueil médicalisé pour les plus lourdement handicapés. »

Autre source d'inspiration possible, un Ehpad dédié à l'accueil des psychotiques âgés, jouxtant une unité d'hospitalisation en psychogériatrie aiguë, comme cela existe au centre hospitalier Simone Veil d'Eaubonne-Montmorency. « Les deux unités partagent un même bâtiment, avec un espace commun où patients et résidents peuvent se retrouver lors d'ateliers. Les échanges entre professionnels sont quotidiens, entre psychiatre et gériatre, entre équipes soignantes... ce qui apaise bien des choses », souligne Laurence Portet-Brunet, gériatre de l'Unité Piaget (l'Ehpad). Pas question de reconstruire des asiles sous forme d'Ehpad précisent tous les professionnels. Mais d'inventer de nouveaux lieux. Le chantier est vaste. Les bras supplémentaires bienvenus.

points de vue

LE RÔLE INFIRMIER

Dr Patrick Frémont, Lagny-sur-Marne

« Les infirmiers ? En géronto-psychiatrie, ce sont eux la clé de voute du "système" ! D'ailleurs à Lagny, le responsable de l'équipe mobile géronto-psychiatrique est un infirmier, Henri Dehacq, qui travaille en binôme avec un médecin. Certains patrons qu'il peut avoir besoin de rencontrer pour discuter de cas complexes sont parfois surpris, c'est sûr ! Mais pour moi, c'est important. Après, comme pour chacun d'entre nous, cela exige une bonne dose de formation. Henri Dehacq travaille depuis plus de 30 ans en psychiatrie, il a passé un DU de géronto-psychiatrie. Il faut gérer, en plus du travail quotidien. être motivé aussi certainement, comme il le dit lui-même ! »

Xavier Chanat, infirmier, Limoges

« Infirmier en géronto-psychiatrie ? C'est pour l'essentiel du relationnel. Dans le quotidien du petit matin (le lever, la toilette), où nous sommes présents, attentifs, avec l'aide-soignant ; dans les activités thérapeutiques ; dans l'accueil des familles aussi : gestion des souffrances, du déni, des questions... Une proximité qui nous donne une place privilégiée. Et qui s'ajoute, selon moi, à la richesse du travail en équipe pluridisciplinaire. »

initiative

L'HÔPITAL BOUSSINGAULT INVESTIT LA CITÉ

L'hôpital de jour Boussingault a été créé dans les années 1960, au temps des pionniers des soins psychiques pour les personnes âgées, et a longtemps fait partie d'une structure associative, l'AG13 (Association de gérontologie du XIIIe arrondissement), avant de rejoindre en 2006 la SPASM, Société parisienne d'aide à la santé mentale. L'hôpital cultive sa spécificité : un rattachement non pas hospitalier mais associatif, comme pour être au plus près de ceux qu'il accueille, c'est-à-dire des personnes âgées souffrant de troubles psychiques, démences type Alzheimer et psychotiques chroniques, pour lesquelles il dispose de 21 places. être dans la ville c'est un peu lutter contre la stigmatisation, note le Dr Asvazadourian. Aller là où ces personnes sont, les laisser venir, pas à pas. Ici d'ailleurs, pas de blouses blanches pour les soignants, « pas de recettes toutes faites mais de la patience, du temps afin que le lien se noue, que l'alliance thérapeutique se crée. De la confiance, aussi, en la vie animant ces personnes, même âgées, même souffrant de psychoses chroniques ! », souligne Mitra Kyrou, l'une des infirmières des lieux.

À retenir

- L'espérance de vie des personnes psychotiques chroniques a augmenté, et est inférieure d'à peine dix ans à la moyenne nationale.

- Les diagnostics sont difficiles à établir, car le vieillissement influe sur l'expression symptomatique des troubles psychiatriques.

- Ehpad, foyers, résidences... : les lieux d'hébergement manquent autant que les vocations.

- En raison de la fragilité de ces patients souvent isolés, le manque de structures s'avère dramatique.

ET L'AUTISME ?

L'autisme, n'est-ce pas une psychose ? Une psychose infantile, pour être plus précis ? Sur ce point, le débat existe... en France, car il n'y a qu'en France qu'on parle de « psychoses infantiles ». Dans la Classification internationale des maladies, l'autisme et les troubles qui lui sont apparentés constituent un ensemble de syndromes regroupés sous le terme de « troubles envahissants du développement ». L'autisme apparaît, il est vrai, dès l'enfance et non chez le jeune adulte, comme pour la schizophrénie et les troubles bipolaires. Il est plus marqué par des difficultés à construire une représentation du monde, un retrait, une imagination pauvre, et non par des délires et des interprétations. Quant aux neuroleptiques, « qui aident nombre d'adolescents ou d'adultes psychotiques, ils n'ont pas d'action sur les autistes » note Thierry Gallarda. Le débat, et bien d'autres y afférents, est toujours ouvert.

Reste que selon l'Inserm, 180 000 personnes souffrent d'autisme en France, et qu'en termes de structures de soins et d'accueil, surtout à l'âge adulte, le mot « scandale » est celui qui revient le plus souvent dans les commentaires. Et à l'aube du grand âge, que les autistes commencent parfois à atteindre ? « Le vide», souligne Josette Vidal, présidente de Sésame autisme Languedoc, qui, s'attelant avec d'autres à la tâche, a entrepris de créer dans sa région un foyer d'accueil médicalisé pour personnes handicapées mentales âgées, accueillant aussi les autistes. Ouverture prévue : d'ici deux à trois ans.

à lire

- Vieillissement, trouble bipolaire et schizophrénie, M. Polosan, J. Palozollo, T. Gallarda, Paris, éd. CNRS, 2005, 22 euros.

- Préparer le devenir du malade psychique sans ses proches, Unafam et al., Paris, éd. Josette Lyon, 2002, 11,90 euros.

- Guide pratique de psychogériatrie, J.-P. Clément, N. Darthout, Paris, éd. Masson, 2002, 40 euros.

- Psychogériatrie et psychiatrie du sujet âgé, T. Gallarda, in L'année géronto- logique, éd. SFGG, 2007.

Sur Internet :

Unafam : http://www.unafam.org ; Société française de gériatrie et gérontologie : http://www.sfgg.fr ; Association des cadres et infirmiers en santé mentale : http://www.serpsy.org/ascism.html ; La Mission nationale d'appui en santé mentale : http://www.mnasm.com ; Association française de psychiatrie : http://www.psychiatrie-francaise.com

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