Quand l'hôpital est tout vert - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

établissements

Reportage

Sous l'impulsion d'Anne Ribes et de son association Belles plantes, deux CHU ont créé des jardins cultivés par les patients. Ces espaces, mi-floraux mi-potagers, rappellent que l'hôpital est un lieu de vie et d'apprentissage.

Autant le dire d'emblée, les architectes du CHU Louis-Mourier de Colombes, dans les Hauts-de-Seine, n'ont pas dû se fouler le poignet lorsqu'ils ont dessiné l'établissement... L'ensemble de la construction est sans doute fonctionnel, mais côté esthétique, c'est le zéro absolu. Et les murs passablement défraîchis renforcent encore l'aspect stalino-tristounet. Située dans l'enceinte, à une encablure des bâtiments principaux, l'unité de gérontologie, qui accueille quelque 80 patients en long séjour, ne se démarque pas vraiment du lot sans âme.

Sauf qu'ici, une fois la porte passée, se niche un jardin hors norme, dans le fond et dans la forme. Et les mardis après-midi, d'avril à juin, l'improbable endroit bat son plein et résonne d'éclats de voix et de rires... d'enfants.

Sorti de terre il y a sept ans, le Jardin des âges est le fruit des efforts conjoints de l'association Belles plantes, de Philippe Charru, chef du service de gérontologie de Louis-Mourier, de Catherine Boucey, cadre chargée des animations, et de Béatrice Labelle-Gourgon, directrice de l'école maternelle Charles-Péguy de Colombes.

Média végétal

Réinvestir des espaces oubliés ou qui ne servent à rien et y faire sortir de terre fleurs et légumes, et ainsi rendre l'environnement plus « hospitalier », telle est la passion, pour ne pas dire la mission, qui anime Anne Ribes, laquelle se définit comme infirmière-jardiniste. Jardiner avec ceux qui souffrent est d'ailleurs devenu son credo. Alors, elle creuse son sillon et balade graines, pots, outils... et sa force de conviction dans les couloirs de l'AP-HP, tentant de convaincre les hôpitaux des bienfaits du jardinage pour les patients.

« Le jardin joue le rôle du média, d'un support dans le système douloureux de l'enfermement du malade », écrit-elle dans le livre qu'elle a consacré à son expérience (1). Au Canada et aux États-Unis, où ce type d'activité est conduit depuis plusieurs années, un détail avait particulièrement frappé l'ex-infirmière : « Lorsque vous présentez un végétal à un malade d'Alzheimer en lui suggérant de le planter, il retrouve spontanément le bon sens, racine en bas, fleur en haut. Alors que parfois il ne sait plus comment tenir une fourchette. » Pour autant « le jardin n'a rien d'une pilule miracle ! »

Retour à Colombes. Tablier sur les hanches et bottes aux pieds, Anne raconte comme personne la pérégrination de la pomme de terre jusqu'à son arrivée dans nos assiettes européennes. Au passage, à l'aide d'une mappemonde, elle demande à l'assistance où se situe l'Amérique du Sud. La plupart des enfants, ils ont six ans à peine, ne le savent pas encore et la majorité des personnes âgées ne le sait plus. Tout le monde se concentre...

Double mouvement

« Ce qui m'a séduit dans cette initiative, c'est l'idée du double mouvement. D'une part, allant au jardin, nos malades sortent de leurs chambres et, d'autre part, avec les enfants, le quartier entre dans nos murs », se félicite le Dr Philippe Charru. Parmi les résidents, une demi-douzaine participent régulièrement à l'atelier. La plupart ont été malmenés par la vie : entre 70 et 80 % souffrent de pathologies démentielles et/ou sont en butte à une perte d'autonomie. Parfois sous tutelle, la grande majorité d'entre eux n'ont plus de famille. Leur vie s'achèvera ici et « c'est une grande responsabilité pour nous que de prendre en charge leur isolement et leur solitude, car nous sommes le tout dernier lien familio-social » explique le Dr Charru.

Du côté des enfants, nombre ne connaissent pas leurs grands-parents qui vivent parfois à des milliers de kilomètres de Colombes. « Les enfants n'ont aucune gêne à côtoyer des "pépés" et des "mémés" cabossés. Ils n'ont pas d'a priori et posent naturellement des questions. Je me souviens que l'un d'eux avait demandé à un résident pourquoi il était aveugle et pourquoi il lui manquait une jambe. Très gentiment, le vieux monsieur lui avait répondu qu'il ne s'était pas bien occupé de sa santé et qu'il avait mangé trop de sucre », relate Béatrice Labelle-Gourgon. Pourtant, sur les bienfaits thérapeutiques du Jardin des âges, le médecin ne s'avance pas. « On aurait des difficultés à montrer quoi que ce soit dans ce domaine. Ce qui est visible, c'est qu'ils retirent du bien-être à y participer et qu'ils se sont appropriés un espace qu'ils ne se sentaient pas forcément autorisés à occuper auparavant. Et puis, la relation humaine qui se noue avec les enfants les fait se redécouvrir. Ils ne sont pas que des sujets de soins », souligne le Dr Charru.

Éveil des sens

Autre lieu, autre ambiance. Dans la vaste cour du service de pédopsychiatrie de La Pitié-Salpêtrière, le jardin annonce une petite quarantaine de mètres carrés. Créé en 1997, il a été façonné au fil des années par plusieurs dizaines de jeunes autistes. Aujourd'hui, quatre d'entre eux vont y « travailler » avec Anne et une éducatrice. Le jardinage s'inscrit dans un dispositif d'ateliers éducatifs mis en place par le service. Deux valeurs principales ont été retenues par l'équipe soignante et éducative, ainsi que l'explique Jean Xavier, pédopsychiatre : « D'une part, le jardin possède une dimension sensorielle très importante : vue, odorat, toucher. Or, on sait bien que les enfants qui présentent des troubles envahissants du développement ont des difficultés pour accéder à cette sensorialité. D'autre part, le travail en groupe aide beaucoup à ce que les choses puissent être mieux organisées parce qu'il offre certaines limites et que c'est aussi un support d'imitation. Ainsi, si un enfant en voit un autre jouer avec de la terre, alors que lui ne sait pas comment faire ou qu'il a peur, par mimétisme il va tenter l'expérience. À son tour, l'autre peut aussi l'imiter dans d'autres expérimentations... »

« C'est un échange, une dynamique qui se crée. » Pour le praticien, cette « groupalité » est aussi intéressante sur le plan éducatif que sur celui du soin. « C'est un tout ! », insiste-il.

1- Toucher la terre, jardiner avec ceux qui souffrent, Paris, éditions Médicis, 2005, 21 euros.