Sectes : attention danger ! - L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 254 du 01/11/2009

 

formation professionnelle

Enquête

La formation professionnelle des infirmières est une opportunité pour les mouvements sectaires d'approcher de nouvelles proies. Malgré des discours pavés de bonnes intentions... mieux vaut activer ses systèmes d'alerte.

En matière de dérives sectaires, « on constate que les organismes qui oeuvrent dans le domaine thérapeutique, du bien-être ou du développement personnel ciblent de manière prioritaire les professionnels de santé, au sein desquels les infirmières sont des cibles de choix », observe Françoise Chalmeau, conseillère santé à la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. À travers ces professionnels d'influence, les sectes visent une population qui, parfois, souffre et cherche le soulagement. Plus encore, elles recherchent une forme de légitimité à se voir introduites, même par une toute petite porte, dans les établissements de soins.

Le dernier rapport de la Miviludes(1), publié en mai 2009, pointe l'influence des mouvements sectaires dans le domaine de la formation professionnelle et dans celui de la santé. À ce titre, la formation des infirmières constitue le parfait exemple de cette tendance. Pour les infirmières comme pour toute autre personne, « c'est surtout dans les situations de fragilité psychologique et physique qu'on est le plus enclin à embrasser le discours le plus convaincant », remarque Didier Pachoud, président du GEMPPI, le Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu. Ainsi, après quelques années de pratique, certaines infirmières traversent une période de désillusion professionnelle : « Alors qu'elles ont choisi ce métier par passion, par générosité - et parfois un peu par utopie -, elles découvrent peu à peu les insatisfactions du métier : c'est difficile, mal payé... », déplore Jean-Luc Swertvaegher, psychologue chercheur au Centre universitaire d'aide psychologique Georges-Devereux (Paris VIII).

D'autres voies

En toute première ligne face aux patients, sans aucune position de repli, « Elles peuvent ne pas être satisfaites de la façon dont elles aident les malades et déplorer d'avoir à effectuer des soins qui peuvent être douloureux, ajoute Didier Pachoud. Ce n'est pas anormal, dans ces conditions, de chercher d'autres voies, plus humaines et moins agressives ». Sophie s'est retrouvée dans cette situation : « J'ai exploré plusieurs pistes de médecines douces : naturopathie, kinésiologie, massage..., raconte-t-elle, afin de m'orienter vers quelque chose de plus doux... » Or face à ce type de demande, souligne le président du GEMPII, « les propositions sectaires savent se faire particulièrement convaincantes », les manipulations et le conditionnement ne sont perçus qu'une fois la démarche de formation engagée.

C'est ce qui est arrivé à Sophie : « Dès le premier stage, j'ai été frappée par le mélange des genres : certains venaient se former, mais aussi se soigner eux-mêmes et avaient des réactions impressionnantes pendant les exercices... »

Par exemple, pour celles qui choisissent la psychologie, point de salut hors des cinq ans d'étude à la fac. Alors, d'autres approches plus rapidement accessibles peuvent sembler tentantes, d'autant que le titre d'infirmière inspire confiance. Devenir soi-même thérapeute serait-il le moyen de s'affranchir du rôle d'exécutante et d'atteindre une nouvelle autonomie ? Pour Chantal, ancienne infirmière et militante active de l'Union nationale des associations de défense de la famille et des individus victimes de sectes (Unadfi), c'est une motivation exploitée par certains mouvements.

Nouvelle approche

L'ANFH perçoit en tout cas une forte augmentation des demandes de formation dans le domaine de la prise en charge globale des patients, souligne un responsable du département Développement de la formation et des compétences à l'ANFH. « Les personnels recherchent, selon lui, une aide dans l'accompagnement, une nouvelle approche. » Du pain béni pour les mouvements qui préconisent une démarche « holistique », issus, selon Chantal, du New Age. « On croît connaître ces techniques, estime Françoise Chalmeau, mais en fait on ne les connaît pas tant que cela et elles peuvent devenir des outils de manipulation entre certaines mains indélicates. » Et pour Chantal, « une relation d'aide peut facilement devenir rapport de pouvoir... » Cela ne signifie donc pas que ces techniques ou théories doivent toutes être suspectées d'emblée, mais plutôt qu'elles constituent un terrain à haut risque de filouterie, voire de dérive sectaire. Attention, toutes les formations ne sont pas exposées de la même manière : celles sur la nutrition des personnes âgées ou la T2A, par exemple, sont nettement moins concernées, précise Michel Fourmeaux.

Pour autant, le risque ne saute pas forcément aux yeux. « C'est fini le temps où on voyait des types avec la tête rasée, en habits safran avec un tambourin, observe Didier Pachoud. Aujourd'hui, l'approche est beaucoup plus fine. » Et complexité ou insuffisance de la réglementation aidant, le discours sectaire finit parfois par passer inaperçu. D'autant que les organismes de formation douteux ne sont pas estampillés « secte ». Certains sont pilotés en sous-main par des sectes très connues, mais d'autres, très nombreux, mitonnent leur propre prosélytisme dans leur coin. « On parle moins de sectes que de dérives sectaires », souligne Chantal de l'Unadfi.

Promesse illusoire

Plusieurs éléments peuvent, en amont, mettre la puce à l'oreille. Les mouvements en question « se présentent souvent avec un vocabulaire psychologique, énergétique ou thérapeutique qui sème la confusion », constate Didier Pachoud. Attention aussi aux intitulés alambiqués, aux titres accrocheurs ou qui jouent de la périphrase ou de la litote, attention encore aux promesses utopiques. Des réponses simples à des questions compliquées ont de quoi faire tiquer... L'utilisation d'un vocabulaire emprunté à la tradition orientale (karma, ying et yang, etc.) peut encore susciter la vigilance. La formation choisit par Sophie ciblait la kinésiologie : « Une approche pas agressive et intéressante pour les cas légers. » Pas de quoi s'inquiéter... en apparence.

La dimension exclusive de la technique proposée constitue un autre facteur de méfiance, car elle implique le rejet de toutes les autres formes méthodes au lieu de se poser en complémentarité. « De même que tout discours dogmatique asséné comme une vérité absolue (sur le "décodage biologique", des rituels de guérison magiques, etc.) et qui ne souffre aucune discussion », ajoute Didier Pachoud. Le président du GEMPPI observe que les militants de ces méthodes les défendent d'une manière affective, dans un complet déni. Ils utilisent aussi les critiques dont ils font l'objet comme des preuves de leur position avant-gardiste et exploitent la « victimisation ». Sophie n'adhérait pas du tout à sa formation : immédiatement, « J'ai été très isolée » se souvient-elle.

Face à une proposition de formation ambiguë, Françoise Chalmeau propose de se poser plusieurs questions clés : quel est le périmètre thérapeutique de cette méthode ? Est-il justifié pour ma pratique ? Est-ce que je comprends son vocabulaire ? La formation débouche-t-elle sur un diplôme reconnu ? Quel est le contenu de la formation et le parcours des formateurs ? Que va-t-elle m'apporter dans ma pratique ? Les stages ont-ils lieu dans des conditions et à des moments habituels (pas par correspondance, par exemple) ? Me demande-t-on de tout payer à l'avance ?

Partagez vos doutes !

L'ANFH, qui planche plus généralement sur la pertinence de l'imputabilité des dépenses de formation(2), pose la question de la nature des stages : s'agit-il véritablement d'une action de formation professionnelle ? Se déroule-t-elle dans le cadre d'une convention formulée en bonne et due forme, précisant les tenants et aboutissants du stage ? Quelle forme d'évaluation clôture la formation ? Quel est le numéro d'activité de l'organisme ?

« Il n'y a aucun problème à ce qu'un agent ou un DRH nous contacte et nous demande si nous avons déjà travaillé avec tel ou tel organisme et si nous pouvons jeter un oeil à leur programme. Si vous avez un doute, partagez-le ! », insiste Michel Fourneaux. L'ANFH a développé une expertise en la matière, à force d'étudier des programmes de formation. Lorsqu'un élément exige un éclaircissement, sur la qualité du formateur, par exemple, elle demande des éléments complémentaires à l'organisme et/ou fait appel à son réseau d'experts. « Si le doute se confirme, ajoute le responsable du développement des formations, nous déclenchons une alerte auprès des institutions compétentes comme la Miviludes ou la DHOS. Nous n'avons pas de rôle coercitif ». La mission ne dispose pas d'un pouvoir d'enquête mais lorsqu'elle reçoit des témoignages ou des plaintes, elle effectue un premier travail de regroupement des données et examine leur fiabilité avant, le cas, échéant, d'en informer les autorités ad hoc.

Appui technique

Depuis cette année, les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, dont toutes ne sont pas « marquées du sceau du diable » (ou de Raël !), font l'objet des travaux d'un groupe d'appui technique auprès du directeur général de la santé. Il contribue à l'élaboration d'une information objective sur les pratiques non conventionnelles. En les passant au crible, ce groupe détermine si elles présentent ou non un risque pour les patients et si elles relèvent de la dérive sectaire. Un premier pas vers un meilleur encadrement juridique alors que les plaintes aboutissent peu.

Sophie le confirme, elle n'a pas été suffisamment épaulée : « J'ai voulu arrêter la formation, financée par un organisme public, mais ce n'était pas possible pour des raisons administratives. J'ai donc dépensé tous mes crédits de formation dans des stages qui ne me permettent pas d'exercer, je me suis retrouvée sans travail et sans revenus... Tout est gâché ! »

L'influence sectaire sur la formation professionnelle est un phénomène mouvant et diffus, très difficile à circonscrire. Alors la prévention reste le meilleur moyen d'empêcher les mouvements sectaires de profiter des attentes légitimes des soignants pour diffuser leurs messages et recruter des adeptes.

Pour Jean-Luc Swertvaegher, il faut que les infirmières soient mises en garde dès l'Ifsi contre les risques auxquels elles peuvent être confrontées. Mais certains instituts se montrent parfois, au contraire, très ouverts à des approches alternatives, et certains Ifsi ont déjà organisé des enseignements de reiki...

Françoise Chalmeau, de son côté, estime que le projet d'un soignant de suivre des formations dans le cadre hospitalier devrait obtenir l'aval de la communauté médicale, d'autant que certains cadres laissent les infirmières seules face à leurs choix.

Prévention et zététique

Pas facile, donc, de faire le tri en amont entre les propositions honnêtes et celles qui sont pavées de mauvaises intentions. « Un massage, a priori, ne devrait pas nuire s'il est pratiqué en complément des soins et intégré dans un dispositif organisé », observe Didier Pachoud. Et la prise en compte de la globalité de la personne dans le soin n'est pas forcément une mauvaise chose : « C'est ce qui manque à la médecine à l'heure actuelle. » De plus, certaines pratiques sont codifiées, comme l'acupuncture ou l'homéopathie, essentiellement pratiquées par des médecins. Rien à voir avec la « nouvelle médecine germanique » (le reiki).

Autre rempart, selon Didier Pachoud, aborder ces techniques alternatives avec humilité, comme compléments et non exclusivement, faute de validation scientifique. Enfin, affûter quotidiennement son esprit critique et pratiquer activement la zététique(3), l'art du doute et le refus de toute affirmation dogmatique.

1- Le rapport 2008 de la Miviludes : http://www.miviludes.gouv.fr.

2- Le nouveau guide de l'imputabilité des dépenses de formation, en janvier 2010 : http://www.anfh.asso.fr.

3- Sur Internet : http://www.zetetique.fr.

rapport

LES SIGNES DE LA DÉRIVE SECTAIRE

La commission d'enquête parlementaire de 1995 a retenu les critères suivants pour appréhender et caractériser les dérives sectaires :

- la déstabilisation mentale ;

- le caractère exorbitant des exigences financières ;

- la rupture avec l'environnement d'origine ;

- l'existence d'atteintes à l'intégrité physique ;

- l'embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à l'ordre public ;

- l'importance des démêlés judiciaires ;

- l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;

- les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.

Source : Miviludes (http://www.miviludes.gouv.fr).