Chirurgie cardiaque chez le patient âgé | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

cardiologie

Cours

En l'espace de quelques décennies, la chirurgie cardiaque est devenue accessible à des patients de plus en plus âgés. Rendue possible par de nombreux progrès, la chirurgie complète aujourd'hui l'arsenal thérapeutique accessible aux personnes âgées cardiaques et leur apporte un bénéfice sur le plan fonctionnel et vital qui améliore leur qualité de vie au prix d'un risque per-opératoire maîtrisé.

Si opérer du coeur un patient de plus de 80 ans est aujourd'hui entré dans la pratique courante, il n'en n'a pas toujours été de même. C'est surtout au cours des trois dernières décennies que cette chirurgie s'est considérablement développée.

Dans les années 60, passé la cinquantaine, la chirurgie cardiaque était exceptionnelle et il a fallu attendre les années 80, pour que les chirurgiens cardiaques commencent à opérer les premiers rétrécissements aortiques chez des individus de plus de 70 ans. « À l'époque, indique le Pr Alain Leguerrier, chef du service de cardio-pneumologie de l'hôpital Pontchaillou (CHU de Rennes), on considérait les patients de plus de 70 ans comme des patients âgés. Très rapidement, vers 1985, on a pris en compte les patients de plus de 75 ans et, dans les années 90, les plus de 80 ans. » Ainsi, pour la période 2000-2005, les patients de plus de 80 ans ont représenté entre 20 et 25 % des personnes opérées dans le service du Pr Leguerrier. Plus généralement, on estime aujourd'hui qu'entre 10 et 15 % des opérés du coeur ont entre 80 et 85 ans (1). Autant dire que cette chirurgie du sujet âgé, malgré les risques liés aux polypathologies fréquentes chez les octogénaires, a atteint l'âge de la maturité. Ces risques sont aujourd'hui mieux maîtrisés grâce aux progrès réalisés à tous les niveaux de la prise en charge chirurgicale (cf. encadré p. V).

VARIABILITÉ

On a tendance à penser que l'âge constitue en soi un facteur de risque pour la chirurgie et, a fortiori, pour la chirurgie cardiaque. « Or, précise le Pr Leguerrier, il existe une très grande variabilité du vieillissement d'un individu à l'autre et nous nous trouvons parfois confrontés à des personnes de plus de 80 ans en bien meilleure forme pour affronter cette chirurgie que des personnes plus jeunes. En fait, ce sont davantage les comorbidités associées à l'âge qui rendent les personnes âgées plus vulnérables et constituent des facteurs de risque à prendre en compte. » C'est la raison pour laquelle il est important d'aborder le dossier médical lui-même (antécédents personnels et familiaux, pathologies liées à l'âge : maladie athéromateuse, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, maladies dégénératives) avant de considérer l'âge du patient pour décider de l'indication de la chirurgie. En l'absence de contre-indications absolues (cf. encadré p. VI), ces éléments doivent également être appréciés au regard du « terrain ».

BÉNÉFICE-RISQUE

Évaluer le risque constitue un prérequis à la décision opératoire. L'expérience montre que les patients actifs physiquement et intellectuellement sont de bien meilleurs candidats à la chirurgie que les malades obèses, sédentaires, seuls et qui n'ont plus de centres d'intérêt. « Prendre un risque chirurgical après 80 ans se discute si le patient n'en voit pas l'intérêt et n'est pas en mesure d'en retirer un réel bénéfice fonctionnel par rapport à la situation préopératoire, confirme le Pr Leguerrier. À partir d'un certain âge, il est donc de règle de ne pas opérer sur la seule notion de risque vital et d'espérance de vie comme cela peut s'imposer chez des sujets plus jeunes, mais d'opérer pour apporter un mieux être fonctionnel et une meilleure qualité de vie. » L'évaluation préopératoire du risque constitue donc une étape importante pour argumenter la décision d'intervenir ou non. À ce titre, l'euroSCORE (European system for cardiac operative risk evaluation) est l'outil le plus souvent utilisé pour réaliser cette évaluation (cf. fiche technique, p. X). « Cela dit, insiste le Pr Leguerrier, si la quantification des risques est importante pour orienter la décision, il ne faut jamais oublier l'approche clinique et les indicateurs qualitatifs donnés par le patient au travers de son comportement général, de ses propos, de la manière dont il aborde lui-même la maladie, la chirurgie et la vie. »

PATHOLOGIES CHIRURGICALES DE LA PERSONNE ÂGÉE

Au-delà de 80 ans, le rétrécissement aortique (valvulopathie cardiaque) et les maladies coronaires sévères (insuffisance coronaire) se situent au premier plan des cardiopathies relevant d'une prise en charge chirurgicale chez les sujets très âgés.

Rétrécissement aortique

Le rétrécissement aortique se traduit par la présence d'un obstacle à l'éjection du sang du ventricule gauche vers l'aorte. Il est le plus souvent d'origine dégénérative (vieillissement et calcifications de la valve).

Cet obstacle entraîne, en amont, une augmentation de la pression au niveau du ventricule gauche et en aval, une inadaptation du débit cardiaque à l'effort, responsable des manifestations cliniques survenant à l'effort : dyspnée, angor, syncope. C'est aujourd'hui la valvulopathie de l'adulte la plus fréquente.

Chez la personne âgée, la chirurgie (remplacement valvulaire) est particulièrement indiquée lorsque le rétrécissement aortique est serré et isolé et qu'il existe une réponse anormale à l'épreuve d'effort (apparition de signes fonctionnels ou stagnation tensionnelle) (3). « Un rétrécissement aortique serré constitue une gêne fonctionnelle et une menace vitale, indique le chirurgien. Lever l'obstacle chirurgicalement permet d'améliorer considérablement le quotidien du patient. Toutefois, il faut faire la part des choses entre les rétrécissements aortiques serrés sans autre pathologie et ceux associés à des lésions coronaires et/ou vasculaires, ce qui est fréquent au-delà de 80 ans, car ce contexte polypathologique impose de peser le pour et le contre avant de prendre toute décision chirurgicale. »

Insuffisance coronaire

L'insuffisance coronaire résulte de lésions entraînant un rétrécissement du calibre des artères coronaires et, par voie de conséquence, une mauvaise irrigation du myocarde responsable à distance d'infarctus parfois irréversibles. Numériquement, cette pathologie est presque aussi importante que les rétrécissements aortiques chez les sujets âgés. Lorsqu'elle est résistante aux traitements médicaux, voire à la cardiologie interventionnelle, la chirurgie de pontage généralement multitronculaire conserve une place de choix, les revascularisations chirurgicales offrant de remarquables résultats tant au niveau fonctionnel qu'en termes de qualité et de durée de vie, au prix d'un risque opératoire acceptable. Toutefois, la décision opératoire doit impérativement tenir compte de la diffusion de la maladie athéromateuse associée car, si la chirurgie s'est développée chez les malades présentant une maladie vasculaire générale polyartérielle, il est parfois préférable d'envisager des techniques d'angioplastie moins invasives même si elles ne se prêtent pas toujours aux lésions calcifiées des personnes âgées.

Au-delà de ces deux principales cardiopathies, la chirurgie peut aussi être indiquée dans certains cas d'insuffisance mitrale (4). Là encore, il convient de différencier les insuffisances mitrales chroniques des insuffisances mitrales aiguës relevant d'accidents brutaux, type « rupture de cordage ». Dans le premier cas, les risques opératoires sont beaucoup plus élevés en raison des retentissements pulmonaires (hypertention artérielle pulmonaire) ce qui incite les chirurgiens à sélectionner les indications et à réserver la chirurgie aux insuffisances mitrales volumineuses, d'installation rapide (rupture de cordages d'origine dégénérative ou mutilation valvulaire de l'endocardite infectieuse) responsables de tableaux hémodynamiques sévères imposant leur correction chirurgicale dans des délais brefs.

Enfin, certaines pathologies aortiques aiguës, telles que la rupture d'anévrisme et surtout la dissection aortique (5), peuvent justifier une chirurgie dans l'urgence chez la personne âgée, sachant que, dans ce contexte, la mortalité augmente de façon importante.

LIMITER L'INTERVENTION

Lorsque la décision d'opérer est prise, il est important de respecter l'objectif chirurgical principal et d'éviter les chirurgies extensives consécutives à la découverte de lésions au décours de l'intervention. « Dans le contexte du grand âge, on découvre parfois des calcifications présentes sur la valve aortique ou l'aorte ascendante, ou encore, des calcifications adjacentes sur la valve mitrale, indique le chirurgien. Tant que la décalcification de ces lésions est raisonnable, elle peut être envisagée mais il est vivement recommandé de ne pas s'y attarder et de faire juste ce qu'il faut. » Cette attitude est d'autant plus justifiée que la circulation extracorporelle mise en place pour faciliter la chirurgie est une technique agressive dont il convient de limiter la durée dans le temps, notamment en raison des risques de thrombose associés.

Privilégiée car elle offre un réel confort de travail aux chirurgiens (ils interviennent sur un coeur non battant, exsangue et ils visualisent mieux les vaisseaux), la circulation extracorporelle peut être évitée lorsqu'il s'agit d'une chirurgie coronarienne sans remplacement valvulaire : l'intervention se réalise alors à coeur battant, en particulier chez le sujet âgé ayant des lésions aortiques très calcifiées car elle permet de diminuer le risque d'accidents thrombo-emboliques.

RISQUES PEROPÉRATOIRES

Parmi les complications générales de la chirurgie cardiaque chez les personnes âgées, les plus redoutées sont les complications hémorragiques liées à la fragilité tissulaire et au traitement anticoagulant (les plus fréquentes) et les complications thrombo-emboliques. Viennent ensuite les complications liées aux ventilations prolongées (difficultés de sevrage du respirateur, insuffisance respiratoire) et aux défaillances viscérales (insuffisance rénale notamment). Une désorientation temporo-spatiale postopératoire est excessivement fréquente et banale mais rapidement régressive dans la majorité des cas. Des troubles cognitifs persistent néanmoins de manière plus fréquente que chez les personnes jeunes (7,6 % versus 3,2 %) (6). Les troubles du rythme, de type arythmie complète par fibrillation auriculaire, concernent environ 30 % des patients. Ils régressent dans 90 % des cas durant la période d'hospitalisation et sont moins préoccupants que les troubles du rythme ventriculaire dont l'issue peut être fatale (mort subite).

Bien qu'ayant diminué au fil des années, la morbidité et la mortalité per et postopératoires précoces de la chirurgie coronaire, valvulaire aortique et mitrale chez l'octogénaire restent plus élevées que chez les personnes plus jeunes en raison des comorbidités associées. L'analyse de l'expérience internationale publiée dans la littérature indique un taux de mortalité compris entre 5 et 10 %. Plus précisément, en 2008, alors que la mortalité globale chez les patients valvulaires, tous âges confondus, s'élevait à 4,78 %, le risque de mortalité pour un valvulaire aortique était de 1 % en dessous de 50 ans, de 2 à 3 % entre 50 et 70 ans, de 3 à 7 % jusqu'à 80 ans et de 7 à 8 % après 80 ans. À moyen et long terme, la survie semble identique à celle de la population générale et des octogénaires sans pathologie cardiaque. Elle est également significativement meilleure qu'après un traitement non chirurgical.

Dans les années à venir, l'introduction de techniques chirurgicales percutanées « moins invasives » devrait permettre d'améliorer les résultats postopératoires précoces.

PRISE EN CHARGE POSTOPÉRATOIRE

La chirurgie cardiaque du sujet âgé requiert une surveillance particulière qui impose la présence rapprochée d'une infirmière pour trois malades et une prise en charge dans des unités de réanimation spécifiques à la chirurgie thoracique.

Délai de surveillance allongé

En général, les patients opérés du coeur restent en moyenne 48 heures en réanimation. « Au-delà de 80 ans, cette surveillance est prolongée et peut aller jusqu'à 4 jours, indique Chantal Auffray, infirmière dans le service de réanimation de chirurgie thoracique et vasculaire du CHU de Rennes. Il est très important de les prévenir lors des visites préopératoires afin qu'eux-mêmes et leur famille ne s'inquiètent pas. Ce délai est justifié par la nécessité d'un suivi rapproché des fonctions pulmonaires et rénales jusqu'à ce que la tension du patient se soit stabilisée. »

Fonction rénale

Les personnes âgées ont souvent une pression artérielle systolique supérieure à 140 voire 150 mmHg et une pression artérielle diastolique relativement basse. Ils sont donc plutôt hypertendus et l'intervention (la circulation extracorporelle, en particulier) provoque une chute tensionnelle postopératoire immédiate aux alentours de 110-120 mmHg.

Le fonctionnement du rein et la diurèse étant directement corrélés à la pression artérielle, cette différence de tension entraîne un dysfonctionnement rénal qui peut engendrer, à terme, une insuffisance rénale. « Si l'on ne suit pas très rigoureusement ces patients, explique Chantal Auffray, ce dysfonctionnement se traduit par une baisse de la diurèse, une élévation de la créatinine puis de la kaliémie qui favorise l'installation puis l'aggravation de l'insuffisance rénale. C'est la raison pour laquelle nous gardons les patients plus longtemps afin de mettre en place et de surveiller l'efficacité des traitements visant à stimuler la diurèse. »

Ces traitements font appel aux drogues inotropes (noradrénaline) qui entraînent une vasoconstriction et au remplissage par macromolécules (Plasmion® et Voluven®), pour augmenter la volémie. Par ailleurs, la volémie peut être améliorée par la transfusion lorsque le taux d'hémoglobine est inférieur à 10 g/dl (7). Lorsque ces traitements ne suffisent pas, l'administration contrôlée de doses progressives de Lasilix® est possible.

Douleur

Les indications de la chirurgie thoracique de la personne âgée entraînent une ouverture du thorax par sternotomie (section du sternum) très agressive pour les articulations et les poumons. Elle nécessite également la pose de drains qui ajoutent aux douleurs causées par le geste chirurgical.

« Il est très important que la prise en charge antalgique soit mise en oeuvre au bloc opératoire, indique Chantal Auffray, car si la personne âgée souffre en salle de réveil, son amplitude respiratoire est altérée, ce qui entraîne des retentissements sur l'oxygénation, la capnie et l'encombrement bronchique. »

Le traitement antalgique comprend la morphine administrée en continu en pousse-seringue, le paracétamol en flacon IV et l'Acupan® ou Néfopam® (antalgique non opiacé) via la perfusion de réhydratation. Lorsque la douleur est rebelle à ce cocktail de trois médicaments, une à deux doses d'anti-inflammatoires (Profénid®) peuvent y être associées pour combattre l'inflammation parfois massive occasionnée à J2 par l'ouverture et le drainage dans le médiastin.

Les infirmières évaluent la douleur des patients selon un protocole médical validé et modulent le traitement et le débit de morphine à la seringue en fonction de l'évaluation verbale simple (EVS), des signes cliniques de la douleur (agitation, visage crispé...) et de l'état respiratoire du patient.

Fonction pulmonaire

En réanimation, les patients sont monitorés afin d'assurer une surveillance continue de la fréquence respiratoire et de la saturation en oxygène. Un contrôle des gaz du sang est réalisé immédiatement en sortie de salle et avant l'extubation, ce qui permet d'apprécier la pCO2 (présence et quantité de dioxyde de carbone - CO2 - observées dans le plasma sanguin). Lorsque le patient est bien réveillé, le respirateur est débranché sans extuber le patient afin de s'assurer qu'il est capable de respirer spontanément avec juste une arrivée d'O2. Après une heure, un contrôle des gaz du sang est à nouveau réalisé pour vérifier qu'il s'oxygène correctement et qu'il élimine le gaz carbonique. Si les données sont bonnes, le médecin autorise l'extubation, sous réserve de contrôler les gaz du sang de façon systématique matin et soir, voire plus en cas de problème d'oxygénation.

Désencombrement

La personne âgée a une toux et une capacité à se désencombrer moins importantes que celles d'une personne plus jeune. Il est important d'en tenir compte et de faire intervenir un kinésithérapeute pour faire de la rééducation respiratoire sous couverture antalgique. La mise en place d'une ventilation non invasive dès que le patient présente une peine à bien ventiler constitue une aide précieuse chez les personnes âgées fatiguées.

Glycémie postopératoire

Très fréquent chez la personne âgée, le diabète impose d'être très vigilant quant à la surveillance de la glycémie postopératoire car une glycémie élevée favorise le risque infectieux.

Le contrôle régulier (toutes les deux heures) de la glycémie capillaire par hémoglucotest est systématique, y compris pour les personnes non diabétiques, car il a été constaté que le stress postopératoire inévitable est générateur d'hyperglycémie durant les premiers jours qui suivent l'intervention. Toute hyperglycémie est traitée par une insuline rapide (Humalog®) sur pousse-seringue électrique selon un protocole médical écrit et validé. En principe, ce traitement est arrêté à la sortie de la réanimation, sauf pour les patients diabétiques qui reviennent à leur traitement antérieur et pour ceux dont la glycémie reste élevée de façon significative.

Anticoagulation

Le traitement anticoagulant, instauré pendant la circulation extracorporelle, est poursuivi en réanimation et tant que les personnes sont allongées pour éviter les complications thrombo-artérielles et les complications d'embolie pulmonaire et de thrombose veineuse. Afin d'éviter les risques de complications liés aux anticoagulants au long cours (incontournables en cas de prothèse mécanique), les chirurgiens privilégient les prothèses biologiques chez les personnes âgées. « L'anticoagulation mise en place, explique l'infirmière de réanimation, fait appel dans ce cas aux HBPM (Lovenox® entre autres), voire à la calciparine à doses isocoagulantes en cas de complications rénales car les HBPM sont déconseillées en cas d'insuffisance rénale. En fait, d'une manière générale dans ce contexte, on ne recherche pas une anticoagulation aussi efficace que celle qu'on exigerait pour une prothèse mécanique. La seule exception à la règle concerne les patients qui présentent une fibrillation auriculaire postopératoire. » Celle-ci n'est pas rare dans les remplacements de valve aortique et impose une anticoagulation strictement protocolée en fonction de la créatinémie :

-> 1. Si créatinémie normale = HBPM ; 1 injection par jour.

-> 2. Si créatinémie normale + fibrillation auriculaire = HBPM ; 2 injections par jour.

-> 3. Si créatinémie augmente sans fibrillation auriculaire = calciparine à dose iso ; 3 injections par jour.

-> 4. Si créatinémie augmente + fibrillation auriculaire = calciparine à doses anticoagulantes efficaces soit 2 à 2,5 fois le témoin ; 3 injections par jour.

La présence d'une fibrillation auriculaire chronique impose la prescription d'un traitement anticoagulant. C'est le seul cas où les patients sortent de l'hôpital de Rennes sous AVK (8). Dans tous les autres cas, les anticoagulants (HBPM ou calciparine à dose iso) sont arrêtés avant la sortie de l'hôpital et le patient sort avec une prescription d'antigrégant (Kardégic®) à faible dose.

Mobilisation du patient le plus tôt possible

D'une manière générale, les patients âgés ne saignent pas plus que les autres patients et les drains (entre 2 et 4) sont enlevés à J2. Toutefois, pour permettre de lever les patients dès J2 lorsque c'est possible (la personne ne doit avoir ni problème hémodynamique, ni troubles du rythme majeur), les drains sont enlevés le soir de J1, ce qui permet de gagner douze heures sur la mobilisation.

L'une des clés du succès de la récupération postopératoire des personnes âgées consiste en effet à les lever le plus tôt possible. Cela présente de multiples avantages car le patient assis respire beaucoup mieux, les tissus et les muscles s'oxygènent mieux et son moral s'en ressent énormément. La durée d'hospitalisation des patients âgés avoisine cependant plus volontiers 15 jours, contre 10 pour les patients plus jeunes.

RÉCONFORT ET PRÉVENTION

« Curieusement, bien qu'il s'agisse d'une intervention lourde, les personnes âgées sont toujours confiantes lorsqu'elles abordent l'intervention, observe Chantal Auffray. En revanche, a postériori, elles trouvent la période postopératoire très éprouvante et sont souvent surprises par la pénibilité des soins et des premières heures qui suivent le réveil car elles sont intubées et attachées. » Or, à l'évidence ces détails ne font pas l'objet d'explications suffisamment claires lors des visites préopératoires. Dire à un patient qu'il sera intubé à son réveil reste assez vague et ne lui permet pas de se préparer psychologiquement, ce qui provoque parfois un effet de surprise et des réactions d'angoisse, voire de panique, compliquées à gérer pour les infirmières de réanimation. Inversement, expliquer avec des mots simples : « Quand vous allez vous réveiller vous aurez un tuyau dans la gorge, vous allez sentir que vos mains sont attachées - ce qui est normal tant que vous avez ce tuyau - c'est pour que vous ne cherchiez pas à l'arracher ; il faudra rester calme, des personnes s'occuperont de vous et, dès que vous pourrez respirer normalement, soit dans les deux à trois heures qui suivront votre réveil, le tuyau sera enlevé et vos mains libérées. »

« S'il y a une chose que le patient doit savoir et avoir bien compris avant l'intervention, c'est ça... insiste Chantal Auffray. Cela demande d'y consacrer du temps et de la douceur pour instaurer un climat de confiance qui facilite la prise en charge au moment du réveil et permet de rassurer et d'apaiser plus rapidement le patient. » Tout cela est très important car le contrecoup opératoire associé à l'angoisse et à la fatigue consécutive au manque de sommeil lié à la fréquence des soins, mais aussi au bruit et à la lumière, peuvent contribuer à la survenue d'états confusionnels se manifestant par des hallucinations visuelles et auditives qui se déclarent en général à partir de J2 mais parfois plus tard... Ils durent de 24 à 72 heures avec une intensité plus ou moins importante pouvant aller jusqu'à la bouffée délirante et cette probabilité doit faire l'objet d'une information préventive au patient et à son entourage. « Nous insistons beaucoup pour optimiser la prise en charge préopératoire car elle a un impact considérable sur la qualité du vécu des soins postopératoires », conclut Chantal Auffray.

OPTIMISER LES BÉNÉFICES DE LA CHIRURGIE

Ensuite, l'objectif est de donner aux patients âgés toutes les chances de retirer le maximum de bénéfices physiques et fonctionnels de la chirurgie. C'est la raison pour laquelle, le retour à domicile doit être soigneusement préparé. « L'expérience montre que les patients âgés subissant une chirurgie cardiaque invasive peuvent être déstabilisés, explique le Dr Corinne Le Breton, cardiologue au centre de rééducation cardiovasculaire de la Clinique Saint-Yves de Rennes. Dans ce contexte, une prise en charge secondaire par une équipe multidisciplinaire (cardiologues, infirmières, kinesithérapeutes, éducateurs sportifs, diététiciennes, psychologues) dans un centre de réadaptation cardiaque constitue un tremplin salutaire car il autorise un retour progressif à domicile qui rassure les patients et leur entourage. »

La rééducation cardiaque permet de poursuivre la surveillance médicale postopératoire et de prévenir ou traiter d'éventuels événements cardiologiques (troubles du rythme, décompensation cardiaque par exemple). Un bilan clinique et fonctionnel incluant échocardiographie, holter rythmique et épreuve d'effort avec mesures des paramètres cardio-respiratoires (VO2) guide l'optimisation du traitement médical et le reconditionnement physique. Celui-ci est personnalisé et adapté aux objectifs propres à chaque patient (récupération de l'autonomie pour les patients les plus fatigués, véritable reconditionnement à l'effort pour les patients plus toniques). Pour être efficace sur le plan fonctionnel, cette prise en charge nécessite une vingtaine de séances de réentraînement, ce qui représente un séjour moyen de trois semaines en centre de rééducation. Différentes modalités de séjour sont possibles conciliant l'hospitalisation complète et l'hospitalisation de jour lorsque le patient n'habite pas trop loin du centre (moins de 40 km) et que rien ne contre-indique le retour à domicile.

La réadaptation permet également d'optimiser la prise en charge nutritionnelle que ce soit pour assurer la renutrition des patients dénutris ou pour reconditionner raisonnablement, compte tenu de l'âge, les habitudes alimentaires lorsqu'il existe une surcharge pondérale. En outre, plusieurs ateliers d'éducation thérapeutique sont proposés aux patients afin de les informer sur leur pathologie, sur l'objectif des traitements qui leur sont prescrits et sur les modalités de surveillance et de suivi qu'ils doivent observer (cf. encadré p. VII). « Cette formule "à la carte" présente l'avantage de potentialiser l'éducation thérapeutique reçue au centre en faisant émerger des questions liées à la mise en pratique le soir même des conseils et consignes reçues dans la journée au centre », conclut le Dr Le Breton. Elle contribue incontestablement, à consolider les résultats du geste chirurgical en termes de qualité de vie et de survie. Dans le cas des rétrécissements aortiques serrés, 75 % des personnes âgées de plus de 80 ans opérées sont vivantes après 5 ans, contre moins de 20 % chez les personnes non opérées (9).

1- « La chirurgie coronaire chez les octogénaires », I. Grandjbakhch, B. Levy Praschker, P. Leprince, A. Pavie, in Abstract Cardiologie La Pratique, 436, juin 2008.

2- On estime que 40 % des octogénaires présenteront une pathologie cardiaque symptomatique.

3- Source, recommandations de la Société française de cardiologie : la prise en charge des valvulopathies acquises et des dysfonctions de prothèse valvulaire. A lire sur : http://www.sfcardio.fr/recommandations/sfc.

4- L'insuffisance mitrale est caractérisée par le reflux systolique du sang du ventricule gauche vers l'oreillette gauche, liée à l'incapacité de l'appareil valvaire mitral d'occlure l'orifice auriculo-ventriculaire pendant la contraction ventriculaire.

5- La dissection aortique est une affection rare et grave caractérisée par l'irruption de sang sous pression entre les feuillets superposés constituant la paroi de l'aorte. Elle constitue une urgence chirurgicale lorsqu'elle intéresse l'aorte proximale.

6- Voir note 1.

7- En temps normal, le taux d'hémoglobine chez l'homme est de 13 à 18 g/dl ; chez la femme de 12 à 16 g/dl.

8- Certaines équipes font un choix différent et prescrivent un traitement anticoagulant systématique durant les trois premiers mois qui suivent l'intervention.

9- Source : Pr Alain Leguerrier.

En savoir plus

« RVA "chirurgicale" chez le sujet âgé : la référence (étalon or) ou une procédure passée de mode ? », Alain Leguerrier et al., service de chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire, CHU Pontchaillou (Rennes), in Cardiologie pratique, octobre 2009.

Des progrès tous azimuts

De l'anesthésie à la réanimation postopératoire en passant par la protection myocardique au cours de la circulation extracorporelle, les progrès réalisés à tous les niveaux de la prise en charge chirurgicale ont rendu la chirurgie cardiaque accessible à des patients de plus en plus âgés. L'évolution des techniques d'anesthésie ont permis de personnaliser l'anesthésie en fonction de l'état général du patient et de maintenir au mieux ses fonctions vitales lors de l'intervention. De même, l'amélioration technique de la circulation extracorporelle a non seulement permis de mieux protéger le myocarde durant l'intervention mais aussi de mieux préserver le cerveau et l'ensemble des viscères en général. En postopératoire, des progrès considérables ont également simplifié la prise en charge en service de réanimation, avec des réanimations plus brèves, plus légères (extubation précoce) et une correction des désordres au cas par cas. Par ailleurs, les indications de la chirurgie cardiaque chez le sujet âgé ont été affinées grâce à une approche plus ciblée des facteurs de risque, ce qui a permis de sélectionner les situations qui tireront un réel bénéfice fonctionnel de cette chirurgie.

Contre-indications

Parmi les facteurs de risque, certains présentent un caractère d'exclusion absolue :

> L'insuffisance rénale et l'insuffisance respiratoire lorsqu'elles atteignent un certain seuil.

> Une maladie polyartérielle présentant des lésions coronaires associées diffuses non pontables ou des lésions des gros vaisseaux.

> Il convient de considérer toutes les contre-indications relatives d'ordre neurologique : antécédents récents d'AVC, déficits neurologiques et surtout pathologies dégénératives telles que les démences séniles et la maladie d'Alzheimer, même débutantes. En effet, pour ces pathologies, l'espérance de qualité de vie gagnée reste extrêmement limitée au regard du risque opératoire, de la lourdeur de l'intervention et des suites opératoires immédiates.

Surveillance au long cours

À distance de la chirurgie, les patients sont pris en charge par leur médecin traitant ou leur cardiologue afin d'assurer le suivi et l'arrêt du traitement anti-coagulant lorsqu'il est mis en place, l'adaptation du traitement antérieur (traitement anti-arythmique, traitement anti-hypertenseur notamment) et les bilans périodiques. Concernant le traitement anti-coagulant, sa prescription est discutée chez les patients porteurs de prothèses biologiques mais toujours limitée dans le temps (3 mois) par les équipes qui font ce choix. Quant aux bilans, il est recommandé de réaliser un contrôle à trois mois (échocardiographie pour les porteurs de prothèse valvulaire, épreuve d'effort pour les coronariens) en particulier si les sujets n'ont pas séjourné en centre de réadaptation. Ensuite, un bilan annuel s'impose. Il est associé, tous les un à deux ans, à une échographie pour les patients valvulaires et une épreuve d'effort pour les coronariens.