Chronique d'un départ annoncé - L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

Vous

Vécu

Pour moi, infirmière, le bloc était une évidence et un choix. Jusqu'à mon arrivée dans un hôpital de province, je n'avais jamais eu à le regretter : à Paris, j'avais d'abord appris mon métier, puis rencontré des collègues devenues des amies et encadré des étudiants. J'étais toujours enthousiasmée à l'idée d'aller travailler... et j'étais loin d'imaginer qu'un jour mon travail deviendrait source d'angoisse.

Ma vie amoureuse m'avait conduite dans la région Midi-Pyrénées, et je n'avais pas mis longtemps à trouver un poste dans le bloc d'un tout nouvel hôpital. Je n'avais pas trouvé les locaux, flambant neufs, très accueillants : un bloc démesurément grand, entièrement peint en blanc, paraissant vide et avec de l'écho... Certes, la première impression n'était pas des meilleures, mais au moins je ne me plaindrai plus de locaux vétustes que j'avais connus dans les hôpitaux de Paris !

être « nulle »

Très vite, j'ai rencontré le staff, dont les chirurgiens. Rapidement, j'ai compris que mon plus gros handicap était ma ville d'origine : les réflexions ne se firent pas attendre, « On n'est pas à Paris ici ! », « Vous vous croyez dans un CHU ? »... Au-delà des mots, les silences aussi étaient douloureux : lorsque des remarques injustes et méchantes m'étaient adressées, j'attendais un soutien de la part de mes collègues, mais jamais rien n'est venu. Petit à petit, j'ai perdu confiance en moi. Si j'avais bien conscience de ne pas être la meilleure, je ne m'étais jamais sentie mauvaise. Pourtant, le sentiment d'être « nulle » naissait et grandissait chaque jour en moi.

La pire des disciplines était sans aucun doute le viscéral, où sévissait un chirurgien particulièrement désagréable. Avec lui, les signes de mon mal-être sont devenus manifestes : lorsque je devais me préparer pour le bloc, une boule se formait dans mon estomac au cours du long lavage de main... que je faisais volontairement traîner pour retarder le délicat moment de la confrontation.

Puis, je devais rester figée sur les écarteurs, sans tenter la moindre initiative si je ne voulais éveiller les foudres du praticien. Au bout de quelques semaines, j'ai commencé à ressentir d'importantes douleurs dans les bras : j'étais véritablement tétanisée. Je ne parlais d'ailleurs plus du tout sur le champ opératoire : dès l'instant où j'enfilais mes gants, je préférais être mutique, plutôt que de risquer un mot - qui me serait ensuite reproché -, ou bien de faire lever les yeux au ciel à mon interlocuteur.

Réagissaient-ils ainsi parce que j'avais travaillé dans de grands hôpitaux ? Pensaient-ils que j'allais, à moi seule, vouloir changer leurs méthodes et habitudes de travail ? Il m'arrivait de me réfugier de longs moments dans les toilettes, seul endroit où, enfin, j'avais le sentiment d'être à l'abri.

Quelle nostalgie de mon ancienne équipe, de nos fous rires, de mes vieux locaux exigus et des longues heures de garde perchée sur ma table pont, passionnée par ces gestes qui constituent la profession...

tranquillisants

Vinrent ensuite les difficultés à l'endormissement : l'idée même d'aller travailler le lendemain me stressait tellement que je ne parvenais pas à trouver le sommeil. J'ai alors pris des tranquillisants pour tenter de retrouver mon calme, en vain. Au bout de quelques mois, je pleurais le matin dans la voiture à l'approche de l'hôpital. Mais il me fallait étouffer ces sanglots avant d'entrer dans le vestiaire, parce que - malgré tout - je voulais conserver ma fierté.

J'avais plusieurs fois rencontré mon cadre, lui expliquant mes difficultés d'intégration, afin d'obtenir un changement de service ou, au moins, de discipline. Loin d'être contrariant, il écoutait et acceptait mes requêtes... qui ne furent jamais suivies d'actes. Les jours passaient et le malaise persistait. Certaines collègues m'étaient cependant devenues sympathiques et elles m'avaient expliqué que le bloc manquait de personnel : ma demande de changement de service ne serait donc pas acceptée avant longtemps...

test de grossesse

Les derniers temps, je pleurais au cours des interventions : une valve dans chaque main, je tirais au maximum pour exposer la zone opératoire, mais ce n'était pas encore assez : « Vous m'empêchez de voir », « Mais écartez, vous ne voyez pas qu'on n'y voit rien là ! », « Poussez-vous... ». Ma seule préoccupation était alors de ne pas faire tomber mes larmes... dans le patient. Je relevais la tête afin qu'elles coulent doucement le long de mon cou, et je laissais mon nez couler dans mon masque, n'osant même renifler pour ne pas gêner la concentration de celui qui était devenu mon bourreau.

Mon enfer a pris fin grâce à... un test de grossesse. Enceinte, je n'étais plus seule ! Mon tout petit bébé allait me donner des forces, et surtout l'envie de changer tout cela ; je ne pouvais pas être une maman traînée dans la boue. J'ai été rapidement arrêtée et je ne suis jamais revenue à l'hôpital. Un courrier à la direction fut mon dernier contact avec ces lieux.

Aujourd'hui, quand je repense à ces longs mois, j'ai encore une boule au creux du ventre : les stigmates sont encore bien présents. J'ai voulu retourner dans d'autres blocs, mais rien n'y fit : c'est fini, je n'accepte plus les tensions qui y règnent. La moindre remarque me perturbe, et j'ai perdu tout plaisir à la chirurgie. Il est temps pour moi de changer de cap, d'expérimenter d'autres secteurs, de me rapprocher du patient « conscient », bref... de redevenir une infirmière en blanc.