Les éveilleurs de conscience - L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

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Horizons

à Nantes, où soirées open bars et autres actions de promotion sont interdites, les Veilleurs de soirée maraudent pour aller au contact des jeunes consommateurs. Rencontre avec les anges gardiens des nuits nantaises.

Peut-être est-ce parce qu'on est un jeudi soir, jour généralement consacré à la fête dans les villes universitaires comme Nantes, mais cette soirée de début octobre est très alcoolisée. L'infirmière de l'équipe des Veilleurs de soirée a même dû prendre en charge des blessures diverses et des plaies à la tête...

Cette équipe « maraude alcool » existe depuis janvier 2008, date de sa mise en place par l'ANPAA, l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, à la demande de l'état et de la mairie de Nantes. Ce soir d'octobre, il a aussi fallu intervenir auprès de cinq jeunes « dans un état léthargique et abandonnés des copains », selon Aurélie Demain, la coordonnatrice des Veilleurs. « Cela arrive désormais avec une alcoolisation plus tôt en soirée », note-t-elle. Est-ce là un effet pervers de l'interdiction des open bars - vente d'alcool à volonté moyennant un faible forfait - et des happy hours, décidée en 2007, suite à la mort de deux étudiants ivres qui sont tombés dans la Loire à la sortie d'une discothèque ?

prise de contact difficile

Dans ces conditions, comment les Veilleurs parviennent-ils à « établir un dialogue à un moment de fête et de convivialité » et à « entrer en contact avec des personnes fortement alcoolisées et/ou en situation de mal-être important », comme le précise un document de présentation de cette initiative démarrée en décembre 2007 ?

Pas facile a priori d'entamer la discussion avec des personnes généralement alcoolisées et, surtout qui ne demandent rien.

« On n'aborde pas les jeunes comme des sauveurs, répond d'emblée Emmanuelle Boccou, 33 ans, l'une des deux infirmières de l'équipe. On n'est pas dans le message : "faut arrêter !". On va simplement sur leur terrain - ce qu'en général, ils apprécient -, et on tente d'amener un questionnement individuel et collectif sur la prise de risques de la soirée et des soirées antérieures. Entre nous, on dit qu'on est là "pour planter quelques points d'interrogation"... »

blagues douteuses

Le travail paraît ingrat tant, en Loire- Atlantique - comme ailleurs -, « l'hyperalcoolisation est accompagnée d'une forte banalisation de la consommation, du produit, de ses effets et des risques associés », comme le constate l'ANPAA. Mais les Veilleurs de soirée veulent être des acteurs de prévention. Par leur présence et leur travail d'information, ils cherchent à prévenir une consommation excessive et réduire les prises de risques secondaires liées à une hyperalcoolisation.

Les quatre jeunes femmes de permanence ce soir-là ne manquent pas d'enthousiasme et de professionnalisme pour aborder petits et grands groupes. Elles arpentent les rues chaque jeudi, vendredi et samedi, de 21 heures à 3 heures, en suivant un parcours qui passent par les lieux de consommation principaux de la ville : place Graslin, place Royale, le quartier du Bouffay, souvent le Hangar à Bananes (sur les quais rénovés), sans oublier les sites où sont organisés soirées étudiantes et concerts. Et l'équipe de choc n'hésite pas, à minuit passé, à faire éclater un groupe constitué d'une bonne vingtaine d'étudiants de l'école des Mines déjà bien alcoolisés, en plusieurs petits groupes. Histoire de mieux ébaucher le dialogue et de réussir à faire passer leur message.

Garçons et filles sont passablement énervés... : elles sont calmes. Les étudiants se permettent familiarités et blagues douteuses... : elles restent professionnelles. Le sourire en prime, les veilleuses assurent. Elles invitent les fêtards à boire de l'eau en sortant des mini-bouteilles de leur besace, leur distribuent quelques préservatifs - qui font partie de leur nécessaire de maraude -, des éthylotests, un dépliant sur les fausses idées concernant les risques de l'alcoolisation, ou encore une réglette d'alcoolémie... Résolument positive, Emmanuelle Boccou conclut même en soulignant que « le principal est d'avoir fait passer deux ou trois messages ».

Depuis son lancement, le dispositif a évolué. « Nous avons construit et adapté nos interventions en fonction du terrain », souligne Aurélie Demain, la coordinatrice de l'équipe. Le travail de ces anges gardiens est désormais davantage axé sur « l'écoute attentive », notion mise en avant par Emmanuelle Boccou, que sur ce qui devait être la priorité du dispositif à son origine, à savoir « récupérer les personnes ivres pour les mettre à l'abri dans un local » et « évaluer les problèmes sanitaires et assurer les premiers secours si nécessaire ».

Après deux ans de fonctionnement, la mission des deux infirmières ne comprend quasiment plus d'évaluation clinique. Moins « techniciennes » que « relationnelles », les jeunes femmes ont chacune une expérience humanitaire. Maïwenn Henriquet, la collègue d'Emmanuelle Boccou, travaille à mi-temps dans un centre de cure en alcoologie et termine son DU en addictologie. Emmanuelle Boccou, elle, a repris en parallèle ses études... aux Beaux-Arts. Avec les étudiants, elles sont comme des poissons dans l'eau ; et les jeunes croisés y sont sensibles. D'ailleurs, ils « nous disent souvent des choses très personnelles », souligne l'une d'elles.

savoir médical

Face à ces confidences, l'équipe fait front. Animatrices de prévention santé, infirmières et bénévoles : ils sont une quinzaine en moyenne à se relayer pour compléter l'équipe, dont les membres sont complémentaires : « Nos formations étant différentes, nous n'abordons pas les situations de la même manière, ce qui offre une plus grande possibilité de toucher les jeunes, explique Aurélie Demain. Nous sommes bien sur une démarche d'éducation à la santé. Mais c'est souvent rassurant pour nous de savoir qu'une infirmière est présente, comme cela l'est également pour les jeunes. Quand on dit qu'une de nous est infirmière, ça a plus d'impact. On le remarque régulièrement. Nous, animateurs prévention, on est là aux yeux des jeunes "pour discuter". Mais, Emmanuelle et Maïwenn détiennent le "savoir médical". D'une certaine manière, leur présence valide nos discours. » Ce cadre « rassurant » étant posé, le message aura peut-être alors plus de portée.

« ils en parlent entre eux »

Il est difficile de quantifier l'impact que les Veilleurs de soirée peuvent avoir sur les comportements des 2 950 jeunes croisés de mars à décembre 2008 et sur leur consommation, supérieure à la moyenne nationale si l'on se réfère au dernier baromètre santé établi en 2005 (1). Ces professionnelles savent en tout cas que leurs interventions et leur approche ont sûrement contribué à faire évoluer le comportement d'un groupe croisé quasiment tous les week-ends. « Ils étaient très réticents au départ, se souvient Aurélie Demain. Ils refusaient même les bouteilles d'eau qu'on distribue pour expliquer le risque de déshydratation. à force de discussions, ils se posent maintenant des questions sur leur consommation, ce qui est déjà beaucoup. Et ils en parlent entre eux. On peut même dire qu'ils veillent maintenant les uns sur les autres ! »

1- 42 % des garçons de 18 à 25 ans de Loire-Atlantique reconnaissaient avoir connu trois ivresses au cours des 12 derniers mois contre 23 %, en moyenne générale, en France.

témoignage

« Pas facile de ne pas boire ! »

Cet étudiant en 5e année d'études d'ostéopathie, dont le père est médecin, aborde lui-même l'équipe, comme c'est souvent le cas . « Je suis Brestois... ce n'est pas facile de ne pas boire ! Pourtant, mes parents ne boivent pas... », confie-t-il. Derrière une consommation qui se veut festive, l'étudiant raconte toute l'ambiguïté de l'alcool. « Produit culturel » : voilà le fameux alibi maintes fois servi aux Veilleurs de soirée. On sait pourtant qu'il fait des ravages ! Le week-end dernier, un de ses amis a eu un accident de voiture. Il avait 1,4 g d'alcool dans le sang... et personne n'a réussi à l'empêcher de prendre le volant. Le jeune brestois sera-t-il le prochain ? Il a connu son premier coma éthylique à 13 ans. Puis il évoque un groupe de jeunes de sa commune ; eux parlent couramment de drogues dures.

contact

- Équipe Veilleurs de soirée

ANPAA 44

13, rue Contrescarpe

44000 Nantes

Tél. : 02 40 08 08 11

vdsanpaa44@yahoo.fr

http://www.anpaa.asso.fr