Maison de famille - L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

Marie-Claude-Mignet

24 heures avec

Vieillir, source d'inquiétudes... Que devient une personne handicapée le jour de la disparition de ses parents ? En Vendée, un établissement accueille les personnes âgées et leur enfant déficient dans une structure novatrice.

Une longue allée arborée. Au loin un château. Le matin, la brume enveloppe la nature d'une atmosphère quasi irréelle. À l'approche de la maison Marie-Claude-Mignet, l'imagination se promène dans de frémissants souvenirs romanesques : domaine mystérieux du Grand Meaulnes, château féerique de Peau d'Âne...

Il y a quelque chose de cela aux abords de l'établissement qui accueille, depuis un an et demi, quinze familles venues s'installer là pour en finir avec cette angoisse rémanente : celle de l'avenir de leurs enfants déficients devenus adultes. De quelle façon ? En continuant à vivre leur quotidien dans un lieu adapté qu'ils auront investi ensemble. Et où les enfants continueront de vivre une fois leurs parents décédés. Une solution devenue possible dans cet établissement pionnier de 3 500 m2 dont le nom, Marie-Claude-Mignet, rappelle le combat de cette Vendéenne militante pour la défense des droits des personnes handicapées.

Il n'existe, à ce jour, pas d'autres structures de ce type en France. L'établissement se situe dans le prolongement du château du Bois-Tissandeau, propriété du conseil général. Celui-ci, séduit par le projet, n'a pas hésité à financer 90 % de la réhabilitation des lieux, dans le respect des normes sanitaires et sociales. Un investissement de 6,9 millions d'euros grâce à l'engagement de l'association vendéenne Handi-Espoir, des administrateurs et des élus du département. Agencements spacieux, jeux subtils entre pierre, bois et tons chauds invitent au bien-être. Chaque famille dispose de deux studios mitoyens de 35 m2, aménageables selon ses goûts. La vie s'y étire... comme dans n'importe quelle maison.

Relations authentiques

9 heures. Ce qui frappe d'emblée c'est l'atmosphère conviviale dans les couloirs et les trois salles à manger. Personnes âgées et adultes handicapés prennent leur petit-déjeuner, lisent le journal... Dans la cuisine du rez-de-chaussée, une demi-douzaine de résidents, avec l'aide de Bénédicte Piveteau, aide-soignante, pèlent les carottes, effeuillent les laitues... Marie-Hélène Oudin, toujours très volubile, s'esclaffe : « Les carottes... c'est pour rendre aimable ! » Sa mère raconte : « Le plus dur c'est le premier pas. Ça fait comme un grand vide au départ... À soi de se réorganiser pour retrouver des activités. » Participer à la vie de la maison est essentiel pour ne pas retirer un sentiment d'utilité à chacun. « Personnellement je n'ai pas voulu que mes autres enfants aient un jour à prendre ma fille en charge. J'ai décidé de venir ici après le décès de mon mari », ajoute Claudette, 74 ans, ancienne agricultrice. Très actif et avec une pointe d'humour, Marcel Brochard, 48 ans, qui souffre d'une psychose stabilisée, chantonne « Pour le plaisir ». Sa mère, Odette, est restée à tricoter dans sa chambre.

La maison Marie-Claude-Mignet combine une culture médico-sociale et l'approche d'une maison de retraite. Avec l'objectif d'accompagner personnes âgées et adultes handicapés dans un constant lien familial. « Ce dont on a rêvé, c'est d'un endroit où des familles pourraient continuer à vivre leur désir le plus profond : aller ensemble jusqu'au bout du chemin. Un espace pour trouver une sérénité et une réponse définitive à la question qu'ils se posent depuis la naissance de leur enfant handicapé : que deviendra-t-il après leur mort ? », explique Emmanuel Bonneau, directeur de l'établissement. « On leur propose de poser leurs valises et de les accompagner dans leur quotidien. Nos résidents sont pris comme ils sont, avec leurs capacités et leurs difficultés. »

Il existe encore peu de structures d'accueil pour les handicapés âgés, exclus après 60 ans des foyers pour adultes et des centres d'aide par le travail (CAT). Avec l'allongement de leur espérance de vie - elle a doublé pour les trisomiques en 50 ans -, le manque de réponses adaptées aux besoins de leurs familles devient criant.

La maison Marie-Claude-Mignet offre donc une alternative, un lieu où les résidents peuvent vivre comme chez eux mais dans la limite de la collectivité. « Avec une recherche de bienveillance systématique et de bien-traitance », comme l'affirme Sophie Jaunet, psychologue.

« Lieu providentiel »

Il est 10 heures, Christine Arnaud, infirmière à mi-temps, prépare un vaccin antitétanique pour Jeanine Serisier, qui est religieuse. Jean-Paul, son frère de 61 ans, est autiste. « Après le décès de notre mère, il aurait fallu placer mon frère dans un foyer occupationnel. Mais il se serait laissé mourir. J'ai quitté ma communauté pour venir m'installer avec lui dans ce lieu providentiel. » Les portes de leurs chambres donnent sur un couloir lumineux. « Je suis le pivot entre les différents intervenants et je fais du lien, explique Christine Arnaud. Je m'occupe du suivi des traitements, j'appelle les médecins, les kinésithérapeutes. Ce type d'endroit novateur contraste avec ce que j'ai pu voir dans les Ehpad. La prise en charge est globale : on connaît la famille et pas seulement le patient. » Dans le couloir passe Missouri, le chat de la maison...

Clémence Souchet attend l'infirmière près du lit médicalisé de sa fille, Thérèse, qui souffre d'une infection urinaire. Sur une étagère, « Oui je crois », de Mireille Mathieu, et Catherine Courage, de Jacques Duquesne. « Aujourd'hui, tu vas te lever », insiste Clémence Souchet. L'infirmière se dirige ensuite vers la chambre d'Alain Girard, le père de Thierry. Il est alité. « Vous voulez toujours être hospitalisé à Cholet? Je voulais savoir ce que vous en pensiez », lui demande-t-elle avant de sortir. Pendant ce temps, à l'entrée de l'établissement, d'autres résidents s'activent dans l'atelier où sont stockés les plantes et le matériel pour le bricolage. Claudette « s'en va aux fleurs » dans le parc. Le soleil recouvre la nature et les murs d'une douce chaleur.

Une condition sine qua non pour les résidents âgés : avoir au moins 60 ans. Et pour les adultes handicapés : qu'ils soient suffisamment stabilisés pour pouvoir vivre en groupe. Une participation de 45,17 euros par jour est demandée à chaque parent. « Entretien préliminaire, motivation... parents et enfants handicapés ont chacun leur mot à dire », explique Corine Fayet, directrice adjointe. Près de 25 personnes sont impliquées dans le fonctionnement de la maison : aides médico-psychologiques, aides- soignantes, veilleurs de nuit, agents de soins, lingère... « Cette structure accompagne les familles là où elles en sont et au rythme où elles peuvent avancer. L'équipe est sensibilisée à cela car elle se retrouve face à des familles et non pas à des individus. C'est une dimension nouvelle », explique la psychologue de l'établissement. Accompagnement subtil, négociation dans la relation entre parent et enfant... le travail des professionnels s'appuie essentiellement sur la confiance établie avec les parents.

Des parents heureux

Il est midi. Monique Chevalier, 80 ans, et son fils Rémi, 50 ans, polyhandicapé, sont prêts à aller déjeuner. Dans leurs studios, le rouge est à l'honneur. « Je ne me sens pas dépaysée ici : ma famille n'habite pas loin. Je n'ai pas de regret, car j'ai plus de temps pour moi et je suis moins fatiguée », affirme Monique. Son fils affiche un sourire communicatif. « Ce qui est bien aussi, c'est que si nous avons besoin de soins, on s'adresse tout de suite à l'équipe. »

Une équipe organisée qui consigne et transmet toutes les informations aux différents intervenants. Les transmissions se font à 7 heures, 14 heures et 21 heures. Dans le bureau, où se retrouvent les aides-soignantes, tout est noté dans un cahier : impressions générales, remarques et observations médicales.

Karen Bineau s'enthousiasme : « On se nourrit du fait que les parents soient heureux et pas stressés. Ils se soutiennent entre eux, c'est très motivant. » De son côté, l'infirmière répertorie antécédents familiaux, suivis et rendez-vous avec les médecins dans de grands classeurs.

Vie en collectivité

En début d'après-midi, on entend des allers et venues à l'entrée de l'établissement : Patricia Barré, aide médico-psychologique, conduit un groupe à une séance d'escalade dans un gymnase de la région. « Cette activité est riche en accompagnement car on confie l'assurance des cordages à un autre patient. Il devient donc responsable de la vie de l'autre... », spécifie-t-elle. Brigitte Bossard, 49 ans, championne de France en sport adapté d'escalade dans sa catégorie, grimpe, harnachée comme les autres, mais avec une agilité particulière. Elle atteint le plafond en quelques secondes et redescend le long des plots, aussi vite qu'un filet d'eau le long d'une roche lisse. Sourire aux lèvres.

Brigitte sait déjà qu'à la maison, Yvonne Bulteau, atteinte d'une sénilité précoce et maman de Claude, trisomique, mais aussi Mme Dairain, 80 ans, sont très actives. Avec l'aide de Virginie Rimbaud, aide médico-psychologique, elles viennent de confectionner deux gâteaux pour son anniversaire.

Confettis et musique : tout est en place pour la fête. Jean-François Biget, entre en scène avec un très joli bouquet de fleurs qu'il tend en lançant un joyeux : « Voilà ! » Odette Brochard brandit une carte : « Un an de plus et toujours le même sourire. Ne change rien. » S'approcher, se connaître... chaque famille est différente et peut aussi bien avoir envie de communiquer que de rester dans son coin. Difficile dans un premier temps de se dire : « J'ai laissé ma maison : ma vie est ici maintenant... »

Trois fois par an, un « ordre du jour » est organisé. « Cela dure généralement deux heures et on soumet les décisions à l'ensemble des résidents, avec vote consultatif. Le tout est ensuite validé par le conseil d'administration », explique Corine Fayet. Les mots-clefs : vie, lien, respect, échanges. Une fois par semaine, une réunion permet d'organiser le planning de la semaine à venir : préparation des repas, lingerie, ateliers, sorties, tout est abordé et chacun fait librement ses remarques. Il est 18 heures Nicole et Jean Biget, couples d'anciens opticiens de 68 et 69 ans, habitent la chambre n° 1. Dans leur bibliothèque, le Larousse en 22 tomes. « Il a fallu s'habituer, trouver ses marques et apprendre à vivre en société, mais cela reste à échelle humaine et c'est un bon concept de prise en charge », expliquent-ils. « Avant, notre fils était souvent entre nous deux. Ici, il va au théâtre, au cinéma avec ses copains et un accompagnateur... On s'offre une nouvelle vie à deux », ajoute Jean.

Cette nouvelle dynamique leur a permis de partir trois jours dans leur petite maison de campagne, sans Jean-François, 38 ans. Celui-ci souffre d'un handicap mental suite à un manque d'oxygénation à sa naissance, mais il se débrouille en leur absence car il reste encadré.

Faire naître le désir

L'heure du dîner approche, la famille Biget se dirige vers la salle à manger, un panier à la main avec serviettes et ronds de serviette en argent. Pour Corine Fayet, l'objectif de la maison Marie-Claude- Mignet est bien de « faire naître le désir à ces familles qui ont toujours été dans la réponse aux besoins de leur enfant handicapé. Elles ont souvent renoncé à leur couple ou à leur profession : ici, elles peuvent commencer ou recommencer à faire quelque chose. »

Association Handi-Espoir

Maison Marie-Claude-Mignet,

Le Bois-Tissandeau, 85500 Les Herbiers.

Tél. : 02 51 64 78 00.