Pretoria, terre d'exil - L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

Guilaine Ilemba

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Rencontre avec

Originaire de l'une des plus violentes régions d'Afrique, Guilaine Ilemba est réfugiée en Afrique du Sud après des années à subir les combats. Elle met désormais tout en oeuvre pour exercer de nouveau son métier d'infirmière.

Le charisme d'une habituée des conflits armés, allié à la pudeur légitime d'une jeune femme de 25 ans : ce mélange singulier frappe quand on rencontre Guilaine Ilemba, qui a grandi entre Uvira et Bukavu, au Sud-Kivu. Frontalière du Rwanda et du Burundi, cette zone a été l'épicentre de la première et de la deuxième guerre du Congo-Kinshasa (1), parmi les plus terribles affrontements entre États de l'histoire de l'Afrique contemporaine. Cette enfant de la guerre est une rescapée - elle rit à l'entendre ! Un rire qui fuse souvent au détour d'une énième anecdote abracadabrante sur la vie « au pays ». Un rire que voile parfois une ombre furtive, présage d'indélébiles traumas.

violence ethnique

Guilaine est aujourd'hui réfugiée en Afrique du Sud. En avril 2009, elle monte dans un bus à Bukavu, direction le Burundi, puis la Tanzanie. Suivront trois jours de bateau pour rejoindre la Zambie, puis encore un long trajet en bus vers l'Afrique du Sud. Et la voilà à Pretoria, où sa cousine l'héberge dans un grand appartement partagé avec d'autres migrants. « J'ai dû payer à chaque fois des visas de transit. On était huit ou neuf à aller au même endroit. Au début, je restais dans mon coin sans parler à personne, puis au bout d'un moment, tu reconnais les visages... »

Dernière d'une fratrie de 6 enfants, Guilaine est née sous le régime du général Joseph Mobutu Sese Seko, renversé en 1997, au terme de la première guerre du Congo, par Laurent-Désiré Kabila, chef rebelle soutenu par l'Ouganda et le Rwanda. Une fois au pouvoir, Kabila (2), rapidement suspecté de corruption et d'autoritarisme à l'image de son prédécesseur, estime son assise congolaise suffisante. Il remercie alors ses ex-alliés et les enjoint d'évacuer la région du Kivu. Dans un territoire déjà fortement déstabilisé par le génocide rwandais de 1994, ce retournement d'alliance relance la violence ethnique entre Hutu et Tutsi, et la course à l'appropriation des ressources minières du pays entre ses voisins de l'Est.

un cv marqué par la guerre

Cette guerre n'est pas celle de grandes batailles et de lignes de fronts clairement marquées : si elle implique aussi des armées nationales et leurs troupes régulières, elle reste essentiellement le fait de groupes militaires peu disciplinés, les milices rebelles (FDLR rwandais, FNL burundais, Groupes d'autodéfense Mai-Mai congolais), à l'origine de nombreuses exactions - viols, pillages, massacres -, parfois au mépris des cessez-le-feu décrétés par leurs hiérarchies. Une conjoncture obscure que subit sans relâche la population : « Nous nous sommes réfugiés plusieurs fois au Burundi ou en Tanzanie, confie Guilaine. Toujours dans la famille ou chez des connaissances, jamais dans des camps... heureusement. Quand la situation était redevenue calme, nous rentrions. Une fois, on a retrouvé la maison pillée. Les voisins partaient aussi, certains ont été portés disparus, d'autres envoyaient des petits mots pour dire qu'ils étaient vivants et réfugiés quelque part. »

Malgré la fin officielle des hostilités en juin 2003, les combats perdurent. Un collectif d'ONG humanitaires, qui redoute une troisième guerre du Congo, faisait état en octobre dernier de la mort d'un millier de civils et du déplacement de près de 900 000 personnes dans l'est congolais depuis janvier 2009. Après des années d'exil sporadique forcé, le choix du départ durable a fini par s'imposer : « Je voulais changer de milieu, je rêvais de travailler dans des conditions normales, je ne connais que la guerre... »

Guilaine a fait ses études supérieures à l'Institut technique médical d'Uvira, où la formation est similaire aux Ifsi français, alternant cours théoriques et stages effectifs en quatre ans. Sur fond de combats incessants, cette période d'apprentissage donne lieu à des scènes rocambolesques, difficiles à résumer sur un CV.

césarienne sous les bombes

La jeune femme voudrait désormais se spécialiser en pédiatrie ou en gynécologie, en souvenir de cette patiente : « En 4e année, j'étais juste de passage à l'hôpital avec une amie pour rendre mon mémoire. Une femme enceinte avait été déposée là, devant le bâtiment, à même la terre. On l'a amenée en maternité, mais il n'y avait plus personne à cause des combats qui arrivaient... Un seul médecin était resté : nous l'avons aidé à pratiquer une césarienne. À peine l'intervention finie, on a entendu des bombes à l'extérieur et des rafales de mitraillette dans le bâtiment : des rebelles étaient venus s'y cacher ! On a réussi à sortir de la salle d'op', ma copine poussait le lit de la jeune mère, et moi, je tenais l'enfant et la perf', raconte Guilaine, en mimant ses gestes, courbée. Nous l'avons installée en chirurgie, puis nous sommes retournées au bloc. Mais après, plus moyen de retraverser le couloir à cause des tirs... Alors on a attendu, cachées dans un placard, jusqu'à la tombée de la nuit. Il y a eu une coupure d'électricité et les combattants ont quitté l'hôpital. On est revenues en chirurgie et on a trouvé une lampe à pétrole pour pouvoir veiller avec la femme et son bébé. C'était sa onzième grossesse, mais elle avait toujours accouché d'enfants mort-nés : c'était la première fois qu'elle avait une césarienne et c'était sûrement cela qui avait sauvé la vie de son enfant... »

cours d'anglais

Depuis qu'elle vit à Pretoria, Guilaine n'a pas pu exercer. L'Afrique du Sud exige des ressortissants congolais qu'ils refassent une année d'études pour valider leur diplôme infirmier. À son arrivée, Guilaine s'est retrouvée en situation irrégulière : son passeport avait été annulé à cause d'une erreur de l'administration congolaise. Il faudra deux mois pour le refaire, deux longs mois pendant lesquels elle n'ose sortir de peur de se faire arrêter, d'autant que le climat n'est plus si propice, en Afrique du Sud, aux migrants des pays voisins (3).

Le nouveau passeport est le sésame de sa réelle installation. Guilaine obtient en une semaine un permis d'études et commence des cours intensifs d'anglais : « J'ai fait toutes mes études en français et je ne connais que les dialectes. » « Que » le lingala, le swahili, le kirundi et le kifulero... En parallèle, la polyglotte - modeste - suit une formation courte pour être esthéticienne, afin de financer l'année de validation de son diplôme d'infirmière. Et pour payer les cours d'esthétique, elle se débrouille en participant à un réseau de vente à domicile de vêtements.

espoir

La jeune femme ne semble pas se décourager : « J'ai très envie, et même besoin, de continuer une carrière d'infirmière. S'il y a la paix un jour, j'aimerais bien retourner chez moi. Avec l'arrivée d'Obama, qui veut jouer de son influence pour stopper la guerre des minerais, il y a un début de réflexion... Quand il a été élu, on a fait la fête non-stop ! » La jeune femme sourit, les yeux dans le vide, pensant aux siens, sans doute ; et peut-être aussi au drame permanent de son pays. « Tu sais, c'est vrai, reprend-elle, je n'ai pas l'impression d'avoir apprécié ma vie jusque-là. Mais j'ai de l'espoir. Qu'est-ce que je peux avoir d'autre ? »

1- Zaïre ou Congo-Kinshasa, à différencier de son voisin de l'ouest (la République du Congo ou Congo-Brazzaville) et aujourd'hui dénommé République démocratique du Congo (RDC).

2- Assassiné en 2001 par son garde du corps, remplacé depuis par son fils, Joseph Kabila.

3- Mai 2008, une vague de violences xénophobes sévit dans les townships de Johannesburg et de Pretoria à l'encontre de réfugiés d'Afrique de l'Est, dont des Congolais.

moments clés

- 5 juillet 1984 : naissance à Bukavu (Sud-Kivu, aujourd'hui en République démocratique du Congo).

- 1996-1997 : première guerre du Congo ; L.-D. Kabila renverse J. Mobutu.

- 1998-2003 : deuxième guerre du Congo : près de 3,3 millions de morts, 3,4 millions de déplacés au sein de la RDC et 2 millions de réfugiés dans les pays voisins.

- 2002-2006 : formation d'infirmière à l'Institut technique médical d'Uvira (Sud-Kivu).

- 23 avril 2009 : arrivée à Pretoria, en Afrique du Sud, en situation irrégulière.

- Juin 2009 : régularisation, permis de résidence et d'études, cours d'anglais et formation d'esthéticienne.