« Une bulle de sympathie » - L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 255 du 01/12/2009

 

Psychogériatrie

Questions à

à Berlin, sept appartements communautaires permettent à des personnes âgées démentes de vivre ensemble. Rencontre avec leur fondateur.

Klaus Pawletko, pourquoi avez-vous développé ce concept d'appartements communautaires ?

Quand j'étais bénévole et que j'allais rendre visite à des personnes âgées en institution, j'étais bouleversé par le sort qui était réservé aux aînés atteints de démence. Le personnel, dépassé par leur agitation, demandait qu'on leur administre des calmants : en quelques mois, ces personnes, arrivées en bonne forme physique, étaient devenues des cas lourds. En particulier les femmes qui, habituées toute leur vie à s'occuper de leur famille, se retrouvaient du jour au lendemain sans rien faire, ce qui les rendait encore plus fébriles. Il fallait donc imaginer une autre vie, plus proche de la normale, en faisant vivre ensemble des personnes atteintes de démence.

Comment avez-vous donné vie à cette idée ?

Je me suis énormément documenté pour connaître les règles juridiques d'un appartement communautaire. Il ne s'agit pas d'une maison de retraite en miniature, mais d'un véritable logement partagé.

Pour cela, plusieurs contrats doivent être signés. Il y a un premier contrat entre les personnes âgées et notre association, qui fait figure d'intermédiaire avec les propriétaires. Les habitants du logement signent également un contrat avec les sociétés de services et de soins à domicile. Et enfin, les locataires sont liés par un contrat dans lequel sont précisées les règles de la vie en commun et le partage des dépenses pour la vie quotidienne.

Bien sûr, ce sont leurs représentants légaux, leurs proches, qui signent pour eux.

Quelle est la place des familles dans ce projet de vie ?

Leur rôle est fondamental ! Ces familles ne peuvent plus garder chez elles leur parent et elles cherchent une alternative à la maison de retraite.

Quand une place se libère et qu'une personne vient nous voir, il y a en fait deux candidats : la personne âgée et sa famille. Ces familles apprennent à s'organiser ensemble, en bonne intelligence : ce projet de vie suppose un véritable engagement, d'où l'importance des contrats.

Tous les trimestres, des assemblées générales se tiennent : il s'agit de parler de la qualité des soins et des services prodigués aux locataires, mais aussi de régler les questions de la vie quotidienne...

Parfois, la décision est prise de changer d'entreprise de services à domicile : les familles nous demandent d'intervenir dans ces cas précis, car nous sommes plus avertis qu'elles dans ce domaine.

Comment s'organise la vie dans ces appartements ?

Les gens s'installent dans une chambre vide qu'ils aménagent selon leurs goûts : ils sont ici chez eux !

Nous n'imposons pas d'horaires de lever ou de coucher, ni même de repas, à l'exception du déjeuner que nous leur demandons de partager. S'ils en ont envie - et c'est souvent le cas ! -, ils participent à sa préparation. L'après-midi est consacrée aux jeux, aux promenades et aux activités de ménage... pour ceux qui le désirent.

Le plus important est que, pour huit colocataires, trois personnes, professionnels et volontaires de l'association, soient présentes. Elles peuvent ainsi faire preuve d'une véritable disponibilité.

Qu'avez-vous appris de cette expérience ?

Que des personnes âgées peuvent être heureuses, mêmes si elles sont démentes ! Il y a une ambiance très particulière ici. Le concept ségrégatif fait ses preuves : les gens se reconnaissent entre eux, et ne sont pas sur la défensive comme ils pourraient l'être s'ils vivaient avec des personnes âgées non démentes.

Les familles, aussi, ont beaucoup appris. L'environnement favorable crée une « bulle de sympathie » dans laquelle les gens ont le droit d'être eux-mêmes.

Votre formule a fait des adeptes...

Oui, à Berlin, existent à présent 300 appartements communautaires, l'équivalent de vingt maisons de retraite. Un nombre trop important d'entre eux sont des institutions en miniature, qui ne respectent pas les principes de bon fonctionnement d'un logement communautaire.

C'est pour cela qu'il y a quatre ans, nous nous sommes organisés, avec d'autres associations, des familles et des prestataires de services à domicile : nous nous sommes mis d'accord sur les conduites à suivre et nous les défendons. Nous organisons des rencontres et mettons à disposition beaucoup de documentations (1) : c'est capital, les personnes qui entrent dans ces appartements communautaires doivent con- naître leurs droits.

1- Consultables (en allemand) sur le site http://www.famev.de.

Klaus Pawletko Sociologue

Après des études en gérontologie sociale, Klaus Pawletko a mené en parallèle une carrière de sociologue (il a notamment travaillé sur les effets de l'institution sur l'individu) et une action de bénévole. Il est, à présent, directeur des Amis des personnes âgées, une association berlinoise affiliée à la fédération internationale des Petits Frères des pauvres. En 1997, il encadre un premier appartement communautaire pour personnes âgées atteintes de démence. Sept logements de ce type existent aujourd'hui à Berlin.