L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010

 

l'ourson bleu

24 heures avec

Depuis 1990, une société d'ambulances s'est spécialisée dans le transport pédiatrique. Un service qui a souhaité s'entourer d'infirmiers pour se professionnaliser.

Fontenay-sous-Bois,9 h 30. À l'entrepôt, Hubert Rohault termine l'inspection de son matériel avant de partir en tournée : oxygène, Bavu, incubateur, aspirateur à mucosités, sondes, électrodes et tensiomètre, saturomètre, scope, matériel de perfusion, pousse-seringue, batteries rechargées...

Cet ancien régisseur de spectacles a opéré cette année sa reconversion professionnelle en passant son diplôme d'ambulancier. Un métier majoritairement masculin, même si à l'Ourson Bleu, on compte des femmes ambulancières, des hommes infirmiers, et que certaines infirmières aiment prendre le volant pour des transports longs.

Nathalie Vallée, sa coéquipière pour la journée le rejoint. IDE, la jeune femme aime le mouvement : elle a travaillé dix ans en réanimation et prépare un diplôme universitaire de rapatriement sanitaire.

Elle s'assure elle aussi que tout est en place et l'ambulance quitte sa base, en direction de Chelles. Ils vont chercher à domicile Tom, un petit garçon de 5 ans trachéotomisé, afin de le ramener à Margency (95), un centre spécialisé dans la prise en charge des maladies respiratoires, où l'enfant séjourne la semaine.

Sur le parking devant la maison de ses parents, Hubert et Nathalie tiennent fermement Tom par la main. Nathalie l'installe délicatement à l'arrière du camion, dans un matelas coquille, sur lequelle elle place une protection changée à chaque transport. Elle branche son respirateur et accroche à son doigt un capteur de saturation pour s'assurer qu'il sera bien ventilé pendant le transport. Sa tension cardiaque est mesurée tout au long du voyage. L'enfant hypertonique gesticule sans cesse au risque d'arracher sa canule. Dans son sac, Tom a un petit cahier avec des icônes adhésives pour communiquer avec les soignants. Nathalie s'affaire, se penche sur lui et lui parle constamment pour le calmer : « La dernière fois, il s'est détaché pour regarder la route. On a dû s'arrêter en urgence ! On a des contentions mais nous essayons tout de même de nous débrouiller autrement. Les enfants réagissent tous différemment : certains s'endorment bercés par la route, d'autres sont excités par la sirène et oublient un temps la maladie. »

Soins continus

ça tangue un peu à l'arrière de l'ambulance et, par moments, il faut avoir le coeur bien accroché : « Le mal des transports, on oublie... Je m'y suis faite en trois mois », se souvient Sylvie Ulrich. La cadre de santé travaille à l'Ourson Bleu depuis 19 ans. Après quelques années en réanimation pédiatrique, elle a eu envie de faire du Samu et est arrivée à l'Ourson Bleu au moment de la création du département de pédiatrie. Les transports pédiatriques représentent 80 % de l'activité de cette société liée à plusieurs hôpitaux par contrats. Il existe quatre entreprises de ce type en Île-de-France qui transportent essentiellement de jeunes patients en interhospitalier ou dans le cadre du secteur santé service avec l'HAD (hospitalisation à domicile). Il s'agit très souvent de grands prématurés en couveuse et également d'enfants atteints de maladies au long cours (longues ou chroniques) suivis dans des services de pédiatrie, qui ont besoin d'une surveillance, de soins continus, de thérapeutiques particulières pendant le transport.

Arrivée à Margency, Hubert et Nathalie conduisent Tom dans son service. Accueillis par les infirmières, Nathalie leur confie le dossier de transmissions contenant les observations des parents lors du week-end et la feuille de transport : « De même que nous voyons dans nos ambulances tous les âges de la vie, une partie très intéressante de notre métier, commente Nathalie, est d'entrer dans différents services, d'observer des cultures d'équipes et des techniques de prises en charge diverses. Chaque jour ça change et ça pimente le quotidien. Ici, à Margency, on s'est assuré que je connaissais les gestes pour changer la canule si besoin. Il faut parfois réagir rapidement lors du transport, lorsque l'enfant a subi une trachéotomie récente, cela peut se reboucher vite. » Si on prend le temps à Margency de se parler entre soignants et que la transition s'effectue en douceur, ce n'est pas toujours le cas comme le confirme Giulia, puéricultrice, en vacation à l'Ourson Bleu : « Les transmissions sont parfois hâtives et même si j'ai le badge, je ne suis pas toujours bien accueillie dans les services où l'on oublie que je suis infirmière. Souvent nous sommes considérés "juste" comme des transporteurs. Les équipes sont stressées et saturées, lorsque je raccompagne l'enfant après une consultation, il arrive que l'on ne me pose aucune question et que ce soit à moi de faire la démarche d'expliquer comment ça s'est passé. »

La volonté de l'Ourson Bleu est d'être un maillon dans une logique de continuité des soins : « il ne doit pas y avoir de cassure au moment du transport parce qu'alors nous devenons les soignants qui connaissent le mieux l'enfant et lorsqu'on arrive à destination, à nous de retransmettre ensuite les précieuses informations. »

Après avoir déposé Tom, Hubert et Nathalie sont appelés sur la maternité de Port Royal : une maman quitte l'établissement avec ses jumelles nées à 31 semaines. La naissance a eu lieu en urgence par césarienne, après une fin de grossesse compliquée par une forte hypertension. Après les premières semaines passées à Port Royal, les bébés peuvent intégrer une maternité plus proche de leur domicile.

Gérer le stress parental

Avec beaucoup d'émotion, la mère raconte son périple à l'ambulancier et jette des regards à l'arrière pour voir ses filles. « On voit les parents de façon intense donc ce n'est pas frustrant même si c'est court, analyse Sylvie Ulrich. On devient le porte-parole de l'hôpital qui vient de nous confier l'enfant. Les gens sont très proches de nous et l'étroitesse de l'ambulance confère d'emblée une intimité. On doit faire un travail de synthèse et d'analyse rapide de la situation et des protagonistes. On a parfois affaire à des parents agressifs, d'autres sont totalement effondrés. Il s'agit de bien réagir et de s'adapter à chaque situation, ce que les équipes ont le temps de faire. »

Parfois des éléments contextuels ou personnels sont confiés lors des transmissions : « cela peut être une maman craquant facilement et appréhendant beaucoup... » La gestion des symptômes dans l'ambulance, en cas d'urgence, est délicate : « En général on prévient le parent de ce qui risque de se passer. Il est souvent déjà au courant. Lorsqu'un petit a une bronchiolite et doit être aspiré pendant le transport, ses parents le savent. Les gens se reposent sur nous, nous font confiance. Et puis on doit mettre une certaine distance avec eux en ne les installant pas à l'arrière, mais à l'avant du véhicule... Ils ne participent pas aux soins, ne sont pas dans une réelle proximité, même s'ils nous voient. »

Dernière course de la journée, Hubert et Nathalie filent à Trousseau chercher Erwan et sa maman. Le petit garçon sort de l'hôpital pour rentrer chez lui. À l'arrivée, Nathalie prend en charge l'enfant à l'arrière, tandis que sa mère se cale à l'avant avec Hubert qui prend des nouvelles du petit garçon. Erwan souffre depuis sa naissance d'une maladie rare et doit régulièrement séjourner à l'hôpital pour des soins et des examens.

Le vif du sujet

Il y est toujours conduit par la même compagnie d'ambulances - l'Ourson Bleu - qui connaît bien son histoire : « Ils sont très professionnels, ponctuels et les camions sont propres, remarque la mère d'Erwan. Il nous est arrivé d'emprunter des véhicules où les couvertures en laine passaient d'un enfant à l'autre. Je me souviens de notre premier rendez-vous à Trousseau que l'on attendait depuis 6 mois. Le VSL (1) d'une autre société est arrivé chez nous à l'heure de la consultation à l'hôpital. Erwan a un problème de trachée et respirait bruyamment. J'étais à l'arrière avec lui. "Il fait toujours du bruit comme ça votre bébé ?, m'a demandé le conducteur, la prochaine fois, demandez plutôt une vraie ambulance." Le siège auto n'était pas attaché, ni adapté à Erwan qui pesait 4 kilos à l'époque. Je m'en suis rendu compte sur le périphérique et j'ai eu envie de pleurer... »

L'un des aspects difficiles consiste en effet à gérer l'angoisse du parent lors d'une situation de crise : l'annonce d'un diagnostic difficile, la surprise d'apprendre qu'il faut l'opérer, emmener un enfant faire un scanner ou une échographie cardiaque... Des mots qui choquent, des perspectives dramatiques. « Il est extrêmement délicat de prendre en charge un parent et son enfant à qui l'on vient d'annoncer quelque chose de grave, comme une leucémie ou une tumeur, par exemple, énonce Sylvie Ulrich. Le diagnostic vient d'être posé, cela fait 10 minutes que le parent l'a appris. »

Il peut s'agir d'enfants de tout âge. L'ambulance vient le chercher aux urgences où les parents ont emmené leur enfant pour asthénie. Il n'est pas en forme sans que l'on sache pourquoi, on fait une prise de sang et le diagnostic tombe : une leucémie. L'enfant est transféré vers un service d'hématologie et les parents sont immédiatement dans le vif du sujet.

« Lors du transfert de l'enfant, c'est brutal. Pour les parents c'est un moment terrible. Nous, on essaie d'être à leurs côtés sans trop entrer dans leur souffrance : on est là pour les soutenir, pas pour pleurer avec eux. On essaie d'avoir des paroles et des gestes non pas rassurants, mais soutenants et cadrants. Les informer par exemple sur ce qui les attend à l'arrivée, sur le service spécialisé qui va les prendre en charge. Ils sont sous le choc et nous avons un rôle explicatif de relais de ce qui leur a déjà été dit. »

Oiseaux de nuit

Retour à Fontenay, Nathalie et Hubert ont fini leur journée de 10 heures. La nuit, l'équipe de garde travaille 12 heures. Elle prend le relais à 20 heures et assure les urgences : un scanner recommandé après une chute grave, les transports faute de place, les risques d'accouchements précoces . « Certains oiseaux de nuit adorent travailler dans ces plages nocturnes, conclue Sylvie Ulrich. Ils sont d'astreinte : l'ambulancier vit obligatoirement dans le secteur et vient chercher l'infirmier à son domicile. »

1- VSL : véhicule sanitaire léger.