Vous
Vécu
« Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis infirmière.
- Ah ouais ? Où ça ?
- À Charles-Foix, à Ivry.
- Charles-Foix ? C'est pas l'hôpital des très vieux ?
- Oui, c'est ça.
- Oh... »
Voilà en général à quoi se résume la discussion sur mon métier... À un petit « Oh ». Pas un « Oooh ! » d'émerveillement non, mais à un simple « Oh » qui voudrait plutôt dire : « Oh, ma pauvre, j'sais pas comment tu fais » ou bien « Oh, je ne t'imaginais pas là-dedans ». Comme si je n'étais pas une « vraie » infirmière, comme si la gériatrie n'était pas une « vraie » spécialité... Comme si je devais avoir honte d'un métier que j'adore... Mon métier, parlons-en justement !
Au début, j'exerçais en moyen et long séjours. Au fil des années, des lois et des décrets, mon unité a évolué en soins de suites et réadaptation (SSR) et s'oriente, depuis quelques mois, vers l'orthopédie. Aujourd'hui, j'ai 3 aides-soignantes (parfois 4 les grands jours) pour m'aider et 22 patients à ma charge. Plus d'une dizaine sont entrés à J+5 postopératoire d'une fracture du poignet, de l'épaule, des cervicales, de la hanche, du bassin, etc. Parfois, plusieurs fractures associées. Aujourd'hui, j'ai 12 pansements à faire, 5 prises de sang, les médicaments à administrer, la douleur à gérer, les consultations à préparer, la logistique à organiser... Aujourd'hui, la dame du 23 sera transfusée, le problème est qu'elle est confuse et qu'elle risque de s'agiter... On verra bien le moment venu.
Le monsieur du 33 est grincheux, comme d'habitude. Il a mal et a perdu son autonomie suite à une mauvaise chute. Mais qu'est-ce que j'y peux, moi ? Pourquoi nous engueule-t-il toute la journée ? Enfin, le pauvre, si c'était moi, comment réagirais-je ? Faut bien que quelqu'un prenne... Laissons-lui le temps de digérer, orientons-le vers notre psychologue et nous verrons bien...
La dame du 24... Ah la dame du 24 ! Ma tatie Danielle, ma chouchoute. Ses médicaments sont servis en retard, imaginez le drame... Bon, une petite plaisanterie et elle avalera la pilule gentiment. Et pendant tout ça, celle du 30 se meurt... Comment vais-je trouver un peu de temps pour elle, pour la rassurer dans ses derniers moments ? Heureusement, l'équipe aide-soignante est là, ultra-compétente, performante, efficace, organisée, attentive (aux patients, mais à moi aussi), pour m'aider dans mes galères, cajoler la dame du 30, détecter le moindre souci. « La dame du 28 n'a pas uriné ce matin. » ; « Sa voisine perd l'appétit depuis quelques jours. » ; « Le monsieur grincheux est prêt pour la kiné. » ; « La dame du 30 tolère sa poche de sang. (Sauvés !) »
Oups, j'avais oublié : on est mardi, 11 heures 15, l'appel pour la réunion hebdomadaire. Le staff, où toute l'équipe (chef de service, médecins, cadre, infirmière, assistant social, psychologue, kinés, psychomotricienne, ergothérapeute et secrétaire) envisage l'avenir des patients. On donne des infos, on en prend aussi.
« Madame B. peut rentrer chez elle.
- D'accord mais faut couper le gaz !
- , on organise... »
Il est déjà 12 heures 15. J'ai faim (je n'ai pas pris de petit-déj'), mais reste encore les traitements de midi à distribuer et je n'ai pas encore fait mes transmissions. En plus, l'ordi rame...
13 heures 45 : la relève est déjà là. Transmissions orales en même temps que le repas - c'est ça ou pas de bouffe - l'équipe d'après-midi a l'habitude. Le ton est détendu, on rigole, on parle des patients bien sûr, et du reste, de tout de rien parfois. C'est ça aussi être une équipe...
J'avais choisi la gériatrie parce que l'hôpital était au coin de la rue, par confort de vie sans doute... Mais après une mutation, deux déménagements et 30 kilomètres par jour, j'y suis encore. Mieux, j'y suis revenue...