Psychiatrie infantile
Questions à
Revendiquant une nouvelle « posture clinique », Vincent Garcin a initié une réorganisation complète du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de Lille-Métropole.
Quel est le sens de cette démarche, dont l'objectif est de « renverser le principe d'accès aux soins » ?
En 2002, nous avions identifié plusieurs difficultés d'accès aux soins. La limite d'âge des jeunes accueillis était de 16 ans, et les enfants de 6 à 12 ans représentaient plus des deux tiers de la population soignée. De plus, les CMP de notre secteur fonctionnaient avec une liste d'attente : huit mois pour une première consultation. Les adolescents étaient relativement absents de nos consultations. Nous n'avions pas la possibilité de réaliser valablement le travail d'amont à l'hospitalisation, ce qui constituait un facteur aggravant la saturation de notre unité d'hospitalisation des adolescents de huit lits.
Ce constat, volontairement critique, a été élaboré par l'ensemble de l'équipe, ce qui a rendu possible la réorganisation qui a suivi. Cette période d'appropriation du projet (étalée sur une année) est fondamentale.
Comment avez-vous réussi à remettre en question le dispositif tel qu'il existait ?
Au-delà des dysfonctionnements cités précédemment, la dynamique de changement n'a été réellement possible qu'à partir du moment où nous avons ciblé notre réflexion sur les besoins de soins des adolescents et pas seulement sur le constat de l'insuffisance de notre offre. Il nous est alors paru possible d'adapter nos capacités de réponses en se référant à nos missions de service public. Nous estimons ainsi que notre service doit permettre un accès aux soins à tous y compris à ceux qui n'en font pas la demande. Nous englobons donc les jeunes qui ne viennent pas. La création d'une équipe mobile pour adolescents, donc d'un dispositif spécifique de soins pour les 12-18 ans, était l'outil pour aller vers ces jeunes. Il a fallu du temps pour convaincre que cela serait plus simple de recevoir dans les huit jours plutôt que dans les huit mois, en disant d'abord que durant ce laps de temps les troubles se détériorent. Avant, on répondait bien sûr à l'urgence, mais la réponse n'était pas organisée. Nous devions alors supprimer un rendez-vous ou prendre sur la pause du déjeuner. Ce qui, à terme, est un facteur d'épuisement pour le soignant. Désormais, l'urgence est traitée par l'équipe mobile. Le relatif confort d'avant (attendre que la personne fasse la démarche de venir à nous) a laissé place à une qualité et un effort professionnels complètement différents.
En quoi l'organisation sectorielle est-elle aujourd'hui différente ?
L'équipe mobile, la clinique d'hospitalisation et les groupes thérapeutiques s'inscrivent dans une réorganisation d'ensemble de l'accès aux soins. Les professionnels qui interviennent dans le dispositif spécifique de soins aux adolescents ne sont pas détachés du dispositif général. De ce fait, le passage de l'information est facilité puisque tous les membres du service participent à la même réunion. On voit l'impact que cela a sur le suivi de ces jeunes vus d'abord par l'équipe mobile, puisque plus de neuf sur dix vont ensuite en consultation classique. C'est plus complexe, mais cette répartition entre consultations et équipe mobile, qui concerne tous les professionnels - psychologues, assistante sociale et infirmiers -, permet d'éviter les cloisonnements.
Comment cette nouvelle offre a-t-elle été possible en terme de moyens ?
Elle a été mise en place grâce à un redéploiement des moyens. Rappelons qu'avant notre unité d'hospitalisation était saturée. Depuis 2004, la liste d'attente est supprimée, et le délai de première consultation est passé de huit mois à trois semaines par la création d'un accueil infirmier dans nos centres de consultation. Le travail ambulatoire qui devait être réalisé avant pour pallier l'impossibilité de l'hospitalisation n'était plus utile ; cela a libéré du temps sur l'accueil. De même pour la durée moyenne de séjour, passée d'environ un an à dix-sept jours.
Quels changements dans les pratiques professionnelles observez-vous ?
L'accès aux soins hors nos murs apporte une nouvelle posture clinique. L'intervention de l'équipe mobile s'effectue en binôme. Le fait de ne pas travailler seul, et en plus avec un professionnel d'une autre discipline, était impensable avant. Il faut alors assouplir nos propres représentations et laisser une place à l'autre, y compris pendant l'entretien. Cette élaboration in vivo entre professionnels a aussi comme intérêt de montrer au jeune que quelque chose est possible, ce qui peut désamorcer le sentiment d'être seul et incompris.
Vincent Garcin est président de l'Association des équipes mobiles de psychiatrie. À noter que la création d'équipes de pédopsychiatrie (une dizaine seulement à ce jour) est encouragée par le plan Santé Jeunes lancé par la ministre de la Santé en février 2008. Co-auteur avec Sylvie Tordjman de Les Équipes mobiles auprès des adolescents en difficulté (Paris, éd. Masson, 2010, 25 euros).