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Horizons
À Nantes, deux soirs par semaine, Médecins du monde va à la rencontre des personnes se prostituant. L'association leur propose aussi un accueil de jour. Objectifs : leur apporter un soutien sanitaire et les éclairer sur leurs droits.
Nantes, 22 heures. Le Funambus embarque ses passagers, deux ou trois bénévoles qui vont sillonner les rues de la ville jusqu'à 3 heures du matin. Grâce à ces tournées, l'association Médecins du monde maintient le contact avec les personnes se prostituant. Celles-ci reconnaissent le bus de loin. Si elles ne le voient pas arriver à l'heure attendue, elles n'hésitent pas à l'appeler par téléphone portable. Dans ses trajets du jeudi et du vendredi, le bus suit les grandes artères du centre-ville : contrairement à ce que l'on observe dans nombre de villes, la prostitution, ici, n'a pas été reléguée à la périphérie.
Quand le bus rencontre des personnes se prostituant, il s'arrête et les bénévoles descendent pour gagner l'arrière du véhicule. Ils prennent des nouvelles et distribuent du matériel de prévention. Les préservatifs sont très demandés. La prévention, fondamentale, est aussi un moyen d'entrer en contact. « Ces personnes sont très informées, notamment par le bouche-à-oreille, mais nous ignorons ce qu'elles ont précisément intégré de l'ensemble du message de réduction des risques, explique Irène Aboudaram, coordinatrice de la mission. Nous essayons de nous adapter à leurs demandes. Il y a également des choses à répéter, comme l'attitude à adopter si un préservatif craque. »
Environ 120 personnes, presque exclusivement des femmes, composent le public de l'association. Parmi elles, un tiers de Nigérianes, un tiers de Camerounaises. Suivent ensuite les Européennes de l'Est, les Françaises et les équatoriennes. Les nouvelles venues sont rapidement connues de Funambus. Toutes ces femmes partagent les risques de la rue : les mauvaises rencontres, la violence de certains clients. « Ces personnes peuvent connaître d'importantes crises d'angoisse ou se trouvent parfois en état de grande déprime. Nous sommes là pour les rassurer, tout en restant réalistes », résume éléonore Amicel, éducatrice spécialisée. L'ambiance à l'arrière du bus est souvent joyeuse et chaleureuse. C'est plus tard, au fil des rencontres individuelles, que ces femmes racontent leurs souffrances.
« Nous souhaitons que ces personnes s'approprient leur santé et les soins dont elles ont besoin », revendique Irène Adoudaram. Une des missions de l'association est ainsi de les aider à intégrer le réseau de santé. Une permanence de jour vise à les suivre et à les orienter. Une éducatrice spécialisée assure des entretiens individuels. La vingtaine de bénévoles de Funambus vient d'horizons variés, mais les professionnels de santé sont largement représentés : six infirmières, cinq médecins et une psychologue. Dans l'association, on leur demande d'abandonner les réflexes qu'ils ont souvent développés au cours de leur vie professionnelle : ils ne doivent pas faire, mais écouter. écouter sans a priori, informer sans influencer. L'association tient aussi à ne suivre aucune des positions idéologiques sur la prostitution. Il ne s'agit ni d'en demander l'abolition, ni de militer pour son encadrement réglementaire, ni de demander la pénalisation de tous ses acteurs, clients compris.
Au-dessus du local de la permanence de Funambus se tient le Centre d'accueil de soins et d'orientation de Médecins du monde, qui propose surtout des consultations médicales, régulièrement adaptées à un public étranger. Mais Funambus entend diriger les personnes vers la médecine de droit commun. « Nous refusons qu'il y ait deux mondes parallèles, précise Irène Aboudaram. Ces personnes ont des droits, prévus par la société. Nous les leur faisons connaître. » L'association aide ses interlocutrices à s'intégrer au système de soins français, leur précisant notamment l'existence du secret médical. Elle entretient des liens avec les structures du CHU, telle la Permanence d'accès aux soins et de santé. Les personnes inquiètes de s'y rendre seules peuvent être accompagnées. Des tournées conjointes sont organisées avec le Centre de dépistage anonyme et gratuit, rattaché au CHU. Les prises de sang sont effectuées sur le lieu de travail et le résultat fourni dans le Centre. Des liens existent aussi avec le Centre de planification, où travaille d'ailleurs, à temps partiel, une bénévole de Funambus. Un accompagnement est possible en cas d'interruption volontaire de grossesse et notamment pour l'entretien préalable.
Les militants de Funambus informent aussi les personnes se prostituant sur l'AME (Aide médicale de l'Etat, assurance- maladie destinée aux personnes en situation irrégulière) et peuvent aussi les accompagner lors de démarches administratives souhaitées et réalisées par les personnes. Bénévoles et employés peuvent également jouer le rôle d'interprètes.
La mission de l'association va au-delà de la prévention en santé. Avec la loi pour la sécurité intérieure (cf. encadré), les personnes se prostituant sont encore plus fragilisées. Risquant jusqu'à deux mois de prison, elles se tiennent à distance de la police, d'autant qu'une part importante d'entre elles n'ont pas de papiers en règle.
Des clients se sentent en position de force et profèrent des menaces ou commettent des agressions. L'association commence par un message de prévention, souvent connu de son public : éviter d'être seule, donner l'alarme quand une camarade tarde trop à revenir, garder un téléphone portable ouvert sur soi, noter la plaque d'immatriculation d'un client qui s'est avéré violent afin de le faire connaître aux autres.
En cas d'agression, il s'agit de parler le plus possible avec la victime. L'équipe de Funambus fait connaître le droit : un sans-papiers a aussi le droit de porter plainte, même s'il court alors le risque d'une reconduite à la frontière. Ce choix doit être mûrement réfléchi. Funambus est en relation avec le bureau des victimes du commissariat.
Depuis deux ans, un travail important est mené sur les pratiques « indoor », c'est-à-dire sur la prostitution en appartement. Ce type de prostitution permet d'échapper à la brutalité et aux dangers de la rue. Mais les personnes qui le pratiquent, parfois de manière très épisodique, se retrouvent très isolées et sans aucun moyen d'information sur la réduction des risques ou sur leurs droits.
Funambus participe à un projet européen (aux côtés de l'Allemagne, de la Bulgarie, de l'Italie et du Portugal) visant à mieux connaître cette pratique. Une pratique beaucoup plus difficile à recenser, mais qui pourrait actuellement représenter 70% de la prostitution. Cinq membres de l'association effectuent un travail de recherche à partir de sites Internet spécialisés. Ils tentent ensuite d'entrer en contact téléphonique avec ces personnes. La prise de contact est beaucoup moins aisée que lors des tournées en bus. Le téléphone attise la méfiance. Et les personnes pratiquant l'« indoor » refusent l'étiquette de la prostitution, qu'elles jugent péjorative.
L'association a conscience de ne pas encore avoir trouvé la bonne méthode pour travailler au mieux avec ce public. Son efficacité pourrait s'améliorer quand Funambus aura réalisé l'un de ses projets : l'intégration de personnes se prostituant, via des « groupes de travail de pairs ». Plusieurs femmes suivies sont désireuses de devenir à leur tour bénévoles.
Au nom du droit à disposer librement de son corps, la prostitution n'est pas à proprement parler un délit. Avec la loi de 1946, les maisons closes sont fermées et la surveillance administrative qui s'exerçait sur les personnes se prostituant prend fin. La prostitution sur la voie publique est autorisée de facto.
En novembre 1960, un décret définit et punit le délit de racolage sur la voie publique.
Le Code pénal de 1993 ne retient plus que le délit de « racolage actif », punissable de 10 000 francs d'amende.
La loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 instaure la notion de « racolage passif » sur la voie publique. Les peines prévues peuvent aller jusqu'à 3 750 Û d'amende et deux mois de prison. Cette loi, qui introduit également le délit de « traite des êtres humains » est censée permettre de lutter contre les réseaux de prostitution. Ainsi, les personnes étrangères dénonçant leur proxénète se voient promettre l'obtention d'un titre de séjour pour un temps limité. Dans les faits, cette disposition s'avère difficilement applicable.
Irène Aboudaram
Funambus
33, rue Fouré 44 000 Nantes
02 40 47 36 99