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Reportage
Depuis onze ans, les musiciens de l'association Euphonie jouent chaque semaine pour des enfants hospitalisés à Rennes. Une activité moralement aussi riche que difficile.
«Ce matin, nous avons préparé des chansons ensoleillées et des chansons à gestes pour des enfants âgés de trois à quatorze ans ! », annonce Catherine Macé. Depuis 1999, chaque mardi après-midi, avec l'association Euphonie, la saxophoniste apporte des notes de gaieté dans le service d'hémato-oncologie pédiatrique de l'hôpital Sud de Rennes. À l'origine de cette initiative, sa collègue Christine Fourrier, présidente de l'association et clarinettiste à l'orchestre de Bretagne. À l'époque, elle a pourtant peu de rapport avec le monde médical. Tout juste indique-t-elle que son époux est médecin. « Il a pu m'éclairer sur la difficulté de la tâche », commente-t-elle, alors que Catherine Macé, qui l'accompagne depuis le début de l'aventure, avoue en avoir été « tout à fait inconsciente ».
Leur souhait est de « donner de la joie aux enfants », expliquent-elles simplement, tout en précisant qu'Euphonie ne fait pas de la musicothérapie mais bien de la musique. L'association compte aujourd'hui huit musiciens, guitaristes, percussionnistes, flûtistes ou encore chanteurs, tournés aussi bien vers le classique que la variété et le rock. à deux ou trois, ils créent au sein du service de l'hôpital une ambiance conviviale, prétexte à des échanges entre enfants, parents et soignants, loin de considérations médicales. La salle de vie commune s'y prête.
En ce début d'après-midi, Christine et Catherine préparent leurs instruments au milieu des boîtes à jouets. À leurs côtés, deux infirmières rangent des jus de fruit dans les buffets de la cuisine. Au fourneau, une éducatrice et une maman préparent un thé et une tasse de chocolat chaud. L'institutrice du service, qui vient de terminer un cours, passe le fer à repasser en attendant le début du spectacle !
Un bémol néanmoins : seule la petite Louna est à l'heure au début de la session, vers 14 h 30. Cela apparaît comme une évidence, mais « souvent, quand les enfants sont très malades, ils n'ont pas envie de chanter. Parfois, même frapper dans les mains leur est difficile », rappelle Catherine Macé.
En attendant les enfants, les musiciennes confient des instruments de percussion - un vibraslap et une lamelle - à deux mères spectatrices chargées de les accompagner sur le morceau qu'elles entonnent. Dans une joyeuse cacophonie, les apprenties percussionnistes tapent à contretemps sur les étranges appareils, malgré les indications que les musiciennes, occupées à souffler dans leurs instruments à vent, donnent du bout du nez.
Elles sont sauvées par l'arrivée de Killian. Après un premier tour de chant hésitant, le jeune homme réclame lui-même ses titres préférés, parmi lesquels le succès rock « J'Veux du soleil ». Cela est en revanche moins facile avec Yann. L'adolescent, arrivé en fin de session, refuse de participer à une valse qu'il ne juge pas de son âge. « Les adolescents nous voient un peu comme ringardes, souffle Catherine Macé. Nous nous sommes longtemps demandé s'il fallait insister lorsqu'ils refusent de participer. Mais la psychologue du service nous a expliqué que la musique est la seule chose à laquelle ils peuvent dire "non" à l'hôpital. » Alors les membres d'Euphonie n'insistent plus, le jour même. Mais ils se permettent de relancer les récalcitrants chaque semaine. Il n'est pas rare que ces derniers trouvent finalement du plaisir à participer à l'activité. Aujourd'hui, Yann a pris place sur la chaise du pianiste, au fond de la pièce, dans une attitude passive. Il sera le premier à applaudir, un sourire gêné, à l'issue de la valse.
Il est maintenant 16 heures. Le moment pour les musiciennes de rendre visite aux enfants qui n'ont pu accéder à la salle commune. Sans défense immunitaire, ils sont maintenus dans leurs chambres dans un contexte stérile. Aymeric est le premier d'entre eux. « Il venait de subir un soin pas très agréable et je ne pensais pas qu'il accepterait la musique, s'étonne sa mère. Mais vous lui avez rendu le sourire. » La chambre voisine est celle de la petite Lisa, qui a subi une amputation du pied. Véritable boule d'énergie, elle attend le passage des musiciennes qu'elle a réclamé à sa maman tout l'après-midi. Ce qu'ignorent Christine et Catherine, c'est qu'une patiente vient d'être installée dans la même chambre qu'elle. Ses parents, les yeux rougis, en larmes, aux pieds du lit de leur enfant, sont tout à leur douleur. Après leur avoir demandé la permission, les musiciennes vont tout de même jouer. Et la nouvelle compagne de chambre de Lisa reprendra même quelques refrains.
Des situations difficiles comme celle-là, les membres d'Euphonie en ont vécu de nombreuses depuis onze ans. Certains musiciens n'ont pas résisté plus d'une séance. D'autres « n'ont pas le truc, ils ne s'intègrent pas au groupe et on ne les garde pas », explique Christine Fourrier. Quant à ceux qui s'accrochent, il leur faut ne pas s'effondrer. Et revenir toujours aussi fort.
Cela peut paraître secondaire, mais le fait pour l'association de s'être structurée administrativement et d'avoir salarié ses membres, grâce au soutien d'associations et à la vente de deux albums réalisés avec les enfants, a été salutaire.
« Il est plus facile de se détacher d'une situation difficile quand on est salarié ; on vient faire son travail », explique Catherine Macé, un peu comme une infirmière ferait le sien. « Récemment, nous avons eu un bel échange, au sein de l'association, à propos du fait d'être tenu au courant ou non des disparitions dans le service. Personnellement, je refuse de l'être. Mais d'autres collègues y tiennent absolument. » Pour tenir le coup, les membres d'Euphonie bénéficient également du soutien de la psychologue du service. Il leur arrive enfin de s'accorder des pauses de quelques mois. Ça sera bientôt le cas pour Catherine. L'occasion de fignoler un album de jazz qu'elle prépare avec Christine Fourrier. Mais elle promet de vite revenir.