Principe de précaution
Éthique
à partir de quel niveau un risque doit-il être considéré comme potentiel ou avéré ? Une interrogation scientifique nécessaire pour distinguer la précaution de la prévention.
Devenu valeur constitutionnelle en 2005, à travers la Charte de l'environnement, le principe de précaution secoue la société. Dernièrement, le choix du gouvernement de lancer une campagne de vaccination de masse contre la grippe A(H1N1) a alimenté la controverse autour de ces questions : fallait-il en faire autant et « donner le plus grand poids au plus petit risque » (1), selon l'expression du philosophe François Ewald, pour caractériser le principe de précaution ? Ou faut-il plutôt parler de principe de prévention et non plus de précaution, comme l'a proposé Raphaël Larrère, directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique (Inra), au cours de la 7e journée d'éthique organisée, le 16 janvier, par le Groupe nantais d'éthique dans le domaine de la santé du CHU de Nantes ? « La politique décidée répondait bien au principe de prévention, qui veut qu'on prenne en compte un risque avéré, scientifiquement établi, plus qu'au principe de précaution qui se préoccupe d'un risque potentiel non encore établi scientifiquement », a-t-il souligné.
La question de la connaissance scientifique est au coeur de la problématique éthique posée par l'émergence du principe de précaution. Et le domaine de la santé et de l'environnement est concerné de manière forte. Le groupe nantais consacrait d'ailleurs ses rencontres à ce thème. Dans le débat, quelques interrogations sont revenues de façon récurrente. « L'incertitude étant un fait central en santé- environnement », le docteur Georges Salines, directeur du département « Santé-environnement » à l'Institut national de veille sanitaire (InVs), suggère de parler, dans ce domaine, de « responsabilité sociale » plutôt que d'éthique. Dans cette requête, on devine que, sous couvert d'un discours éthique, certains, qu'il ne cite pas nommément, nourrissent la confusion entre prévention et principe de précaution. Dans ces conditions, pourrait-on faire émerger d'autres approches et lectures scientifiques ? Et de quelle manière ?
Doit-on se limiter à la « vérité » scientifique posée par les agences institutionnelles, comme l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), dont André Picot, toxico-chimiste, ancien directeur de recherche au CNRS, dénonce, par exemple, les conclusions relatives aux effets du mercure contenu dans les amalgames dentaires et plus précisément son rôle potentiel dans la survenue de sclérose en plaques ? « Pourtant, ce problème renvoie bien à une question éthique, estime-t-il. Ces amalgames ne comprennent que des métaux toxiques, mais alors que ceux-ci sont utilisés pour effectuer un soin, ils ne sont pas soumis à l'autorisation de mise sur le marché. Pourquoi ? » Pour Raphaël Larrère, le processus de constitution des avis d'experts doit être réinterrogé. « Ces avis s'appuient sur des études publiées dans des revues scientifiques célèbres. Mais on a déjà constaté que la publication d'articles peut être retardée car leur conclusion n'entre pas dans le cadre du paradigme dominant sur lequel se positionne telle revue. » Alors, précaution ou prévention ?
I- Le Monde du 10 janvier 2010.
« Réfléchir au principe de précaution permet de s'interroger sur un acte sans conséquence actuellement, mais qui a un risque potentiel dans le futur sans avoir été prouvé scientifiquement, souligne Philippe Hamonic, cadre de santé au CHU de Nantes et membre du Groupe nantais d'éthique. Cette démarche doit englober le fait que, par son comportement, par l'utilisation d'un produit, par le non-respect d'une réglementation, on fait courir à une personne un risque non immédiat mais possible dans le futur. Au sein du service, cette réflexion a pu s'appliquer lorsque nous avons été sollicités pour nous faire vacciner contre la grippe A(H1N1). Le fait de se faire ou non vacciner était bien une question de choix individuel. Mais mon choix ne met-il pas en danger mes patients ? Nous n'avions pas le droit d'imposer une position ou une autre. Il fallait alors aider à faire prendre conscience de l'ensemble des interrogations. Et se demander ce que vaut mon choix individuel au regard du devoir professionnel qui impose de protéger le patient. Bref, il s'agit d'une vraie question éthique... »