L'Infirmière Magazine n° 258 du 01/03/2010

 

Gérontotechnologies

Questions à

Malgré les avancées techniques et le nombre croissant de personnes âgées dépendantes de plus de 60 ans, les « gérontotechnologies » ne parviennent pas à se généraliser.

Alors que le maintien à domicile concerne plus de 90 % des personnes âgées, le développement des nouvelles technologies à leur usage ne semble pas à la hauteur de l'enjeu...

C'est vrai qu'il existe des réticences, de nombreuses représentations peu fondées des nouvelles technologies, véhiculées, à mon avis, davantage par les medias que par les soignants eux-mêmes... On pense souvent que les nouvelles technologies vont accentuer la détérioration du soin, de la relation soignants-patients, qu'on se dirige vers un technicisme froid, dénué d'humanité, et que l'obsession de la rentabilité va prédominer. Ces craintes persistent. Elles ont, en partie, des raisons culturelles, et sont explicables, car, dans un contexte où les aidants familiaux sont de moins en moins nombreux, il existe une tentation de pallier le manque de ressources humaines par des ressources technologiques... Pourtant, j'estime que ce sujet ne soulève aucun dilemme : nous sommes soumis à un interdit moral qui empêche de remplacer des humains par des machines. Et personne n'en a envie.

Depuis la remise de votre rapport, en 2007, que s'est-il passé ?

De nombreuses actions ont été menées, qui montrent que ces technologies peuvent être très « aidantes » et que les soignants peuvent intégrer ces outils dans leur pratique. Quelques mois après la publication de mon rapport (1), le Professeur Joël Ménard a remis le sien : il comprenait une mesure spécifique à l'équipement domotique pour les personnes âgées. L'année suivante, en 2008, le plan Alzheimer 2008-2012 préconisait, dans sa mesure 7, d'améliorer le soutien à domicile grâce aux nouvelles technologies (2).

Parallèlement, la recherche a été très productive. Ce n'est, en fait, pas nécessaire de la stimuler davantage. Le problème actuel est que ces technologies ne sont pas encore suffisamment disponibles.

Pouvez-vous donner des exemples de technologies disponibles ?

Outre la téléalarme, née il y a plus de vingt ans, pour laquelle la France est très en retard sur ses voisins européens, les dispositifs sont très variés. À domicile, on trouve des sièges permettant d'éviter les chocs et des pèse-personnes qui renseignent sur le surpoids. Certains outils mesurent l'actimétrie (mouvement ou absence de mouvement). Grâce à des capteurs, on peut se rendre compte qu'une personne reste dans un coin de son logement de façon anormale, qu'elle ne se déplace pas. Cela permet de détecter les chutes. Quand on sait qu'en France, chaque année, environ 9 000 décès de personnes de plus de 65 ans sont liés à une chute, on voit tout l'intérêt d'un tel dispositif. Les taux de morbidité et de mortalité dus à une chute sont très corrélés avec la rapidité d'intervention des secours.

On peut également contrôler, sous la responsabilité de l'équipe soignante et avec l'accord de la personne et de sa famille, la distance à laquelle se trouve un patient par rapport à son logement, grâce à un dispositif d'alarme. Un autre outil permet de retrouver un malade atteint de troubles cognitifs. Grâce à un système de géolocalisation, sa position est repérée sur une carte et transmise à une adresse téléphonique ou à un navigateur Internet.

Pensez-vous que le public et, en particulier, les familles sont prêts à une généralisation de ces nouvelles technologies ?

Oui. J'ai mené avec l'association France Alzheimer Seine-Saint-Denis une enquête auprès de 270 familles pour mieux connaître les besoins des aidants de malades Alzheimer. Il apparaît, notamment, que les techniques de géolocalisation permettant de retrouver les personnes disparues sont les plus plébiscitées (53 % de « beaucoup »), en particulier par les aidants âgés de 60 ans en moyenne. Je note, également, que la plupart des commentaires évoquaient la présence humaine comme indispensable et la technologie comme « un coup de pouce » !

Que manque-t-il, alors, à votre avis, pour que ces matériels soient davantage utilisés ?

La consultation et l'évaluation gérontologiques doivent ménager une place à la préconisation d'outils technologiques. Il existe déjà des consultations technogérontologiques, mais elles sont très rares. Le marché doit aussi se stabiliser ; il est encore incertain, avec des outils encore inaccessibles et une couverture inégale dans le pays.

1- http://www.travail-solidarite.gouv.fr/ IMG/pdf/rapport.technologies_nouvelles.pdf

2- http://www.plan-alzheimer.gouv.fr/ mesures/mesures-7.html

Vincent Rialle Praticien hospitalier au CHU de Grenoble.

Vincent Rialle est maître de conférences à l'université Joseph-Fourier à Grenoble. Docteur ès sciences, il consacre ses travaux, appliqués à la gérontologie, à l'informatique médicale, aux technologies de communication et à l'éthique. Il est l'auteur d'une thèse de doctorat publiée en 2007, intitulée « Technologie et Alzheimer : appréciation de la faisabilité de la mise en place de technologies innovantes pour assister les aidants familiaux et pallier les pathologies de type Alzheimer ».