L'Infirmière Magazine n° 258 du 01/03/2010

 

Législation

Éthique

Tout en maintenant le principe d'interdire la recherche sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires, un groupe de députés souhaite assouplir son mode dérogatoire.

Rapporteur de la mission d'information sur la révision des lois bioéthiques, le député jean leonetti a déposé à l'Assemblée nationale, le 20 janvier, le fruit de ses travaux (1). Le projet fixant les nouvelles lois de bioéthique devrait être soumis au Parlement au printemps. La Mission s'est, entre autres, déclarée opposée à la légalisation de la pratique des mères porteuses, à la levée de l'anonymat sur les dons de gamètes et, en revanche, favorable au dépistage de la trisomie 21 dans le cadre du diagnostic préimplantatoire.

Elle a par ailleurs proposé, tout en maintenant le principe de l'interdiction, un assouplissement des modalités dérogatoires encadrant la recherche sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Cet aménagement n'est pas mineur. Rappelons que le stade embryonnaire couvre la période du 15e au 56e jour après la fécondation. Les cellules souches embryonnaires, elles, ont la propriété d'être pluripotentes (indifférenciées). Cultivées in vitro, il est donc possible d'orienter leur différenciation pour créer un type cellulaire voulu : neurones, cellules musculaires, cellules sanguines...

« Finalité médicale »

Si depuis la loi Veil (2), l'embryon n'est pas considéré comme un être en devenir à part entière, le législateur a toujours tenu à le protéger afin qu'il ne soit pas utilisé comme un simple matériel biologique que l'on pourrait triturer à loisir. C'est d'ailleurs cette posture éthique qu'ont voulu imprimer les lois de bioéthique de 2004 en interdisant toute manipulation sur lui ou à partir de lui.

Néanmoins, à titre dérogatoire et sous le contrôle de l'Agence de biomédecine, certaines recherches pouvaient être pratiquées sur des « stocks » d'embryons fécondés dans le cadre de l'assistance à la procréation mais ne faisant plus l'objet d'un projet parental.

De fait, il est interdit de créer des lignées cellulaires à seule fin de recherche. Limités à cinq ans, ces travaux devaient être également « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et, de surcroît, justifier que la recherche ne pouvait être conduite avec la même efficacité à partir, par exemple, de cellules animales ou d'autres cellules.

La proposition de la Mission vise donc à supprimer la limite de temps et à substituer l'idée de progrès thérapeutiques majeurs par celle de « finalité médicale ». Deux postulats difficilement tenables pour les équipes de recherche qui ne pouvaient prédire le temps nécessaire à leurs travaux et affirmer que leurs résultats déboucheraient sur une avancée médicale importante.

Recherche dynamisée

« Tout en préservant les principes éthiques, la proposition de la Mission me semble très positive », souligne le Pr Jacques Touchon, président du conseil scientifique de la Fédération pour la recherche sur le cerveau. Et de conclure : « Toutes les dispositions visant à faciliter l'utilisation des cellules souches embryonnaires sont de nature à dynamiser la recherche dans le domaine de la thérapie cellulaire, dont on espère beaucoup pour proposer, notamment aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives, de nouveaux traitements. »

1 - Rapport d'information n° 2235, sur http://www.assemblee-nationale.fr

2 - La loi du 17 janvier 1975 a dépénalisé l'avortement dans certaines conditions.

TÉMOIN

Eva Étienne « Conserver un esprit critique »

« La recherche dans le domaine de la santé, qu'elle soit fondamentale ou clinique, n'est pas un champ qui doit être délégué, sans contrôle, aux seuls scientifiques et médecins. Même s'ils sont rares, l'histoire est jalonnée d'épisodes dans lesquels des scientifiques ont "joué avec le feu" ou, pis, servi des régimes politiques totalitaires, estime Eva étienne, infirmière en service d'hospitalisation à domicile de rééducation. Par conséquent, et dans la très grande majorité des cas, la recherche scientifique médicale doit engager la responsabilité éthique et morale de la société tout entière. C'est donc à elle, par le biais des parlementaires, de définir ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Sachant que le plus difficile est de savoir garder nos émotions à distance - je pense notamment aux problématiques de la fin de vie, la stérilité, les maladies génétiques touchant les enfants -, pour conserver un esprit critique via deux questions qui me semblent essentielles : le remède peut-il être pire que le mal lui-même et peut-il bouleverser des équilibres naturels qui régissent la vie ? »