L'Infirmière Magazine n° 258 du 01/03/2010

 

roumanie

Reportage

Vingt ans après la chute du régime communiste, la prise en charge des séropositifs a progressé. Mais l'accès aux soins reste inégal, en particulier pour les héroïnomanes. Tel est l'amer constat de l'association Aras.

Flori Georgescu tend des cachets de méthadone à un patient. « Quelle satisfaction quand l'un d'eux arrive à suivre son traitement ! », s'exclame-t-elle. Cette infirmière de 38 ans travaille au centre de traitement de substitution intégré à l'hôpital Colentina des maladies infectieuses de Bucarest. Un centre géré, depuis son ouverture en 2007, par l'Association roumaine anti-sida (Aras), dont Flori est salariée et qui est partenaire de la structure française Aides (1).

Deux cent usagers de drogues injectables, âgés en moyenne de 25 ans, y sont pris en charge. Ils ont commencé à se shooter lorsqu'ils étaient adolescents. Nombreux sont issus de la minorité rom, très discriminée. « Pour moi, ce sont des patients comme les autres », insiste l'infirmière. Flori a peu de répit dans ce service : « Nous avons une liste d'attente de 300 personnes ! »

La Roumanie compterait près de 40 000 usagers de drogues injectables, soit 2 % de la population de la capitale. Or seules 1 000 places en centre de traitement de substitution existent et la méthadone n'est pas gratuite dans le pays. Pour donner une chance aux drogués dépourvus de sécurité sociale, Aras arrive à admettre un tiers de ses patients gratuitement. Pour cette association de lutte contre le sida et les hépatites, il s'agit d'aider ces jeunes marginalisés à réduire leur consommation et les risques qui y sont liés : à cause du partage des seringues, 80 % d'entre eux sont atteints de l'hépatite C. En comparaison, une petite minorité est séropositive. « 3 % de nos patients ont le sida », remarque l'infirmière.

Loi spécifique

« Ne pas pouvoir soigner totalement quelqu'un est difficile », affirme-t-elle, déplorant la cherté du traitement à l'interféron, un médicament contre l'hépatite C. « Il est rarement accessible à nos patients ! » En revanche, les trithérapies sont prises en charge par le gouvernement, le sida étant, en Roumanie, la seule maladie bénéficiant d'une loi spécifique. Adoptée en 2002, elle garantit l'accès aux soins des malades et tente de lutter contre les discriminations qu'ils subissent.

Pour en arriver là, il a fallu se battre. Aras en tête, de jeunes associations ont manifesté dès les années 1990 pour défendre le droit à la vie des séropositifs. « Et pour cause : la situation était difficile après la révolution, parce que nous étions confrontés à une épidémie de sida pédiatrique qui avait été cachée par le régime communiste », rappelle la directrice d'Aras, Maria Georgescu.

On se souvient, en France, des images d'enfants roumains élevés dans les sinistres orphelinats de Ceausescu. En 1989, quand ce dictateur tombe, le drame du sida apparaît au grand jour : dans les orphelinats et les hôpitaux sous-équipés du régime, plus de 7 000 enfants ont été contaminés lors de vaccinations ou de micro-transfusions.

Devenu volontaire à Aras, l'une de ces victimes raconte : « J'ai probablement été contaminé à l'âge de deux ans dans un hôpital de province. Mais je ne l'ai su qu'à onze ans, lorsque je suis tombé très malade. » Aujourd'hui jeune adulte, il reçoit certes une trithérapie, mais se dit inquiet : le stock de médicaments de l'hôpital semble si réduit qu'on lui demande de passer chercher son traitement plus souvent. « Tous les trois jours ! C'est triste parce que beaucoup d'efforts avaient été réalisés. »

Criminalisation

En Roumanie, 15 000 personnes sont atteintes du sida et 8 000 reçoivent une trithérapie. « Chaque année, 400 nouveaux cas de VIH sont enregistrés, mais le nombre de trithérapies distribuées reste le même, regrette Maria. Dans les hôpitaux, surtout en province, on manque de seringues, de médicaments. Comme il y a vingt ans, quand des pénuries avaient provoqué la première épidémie de sida. Nous sommes face à une nouvelle épidémie de VIH en Roumanie ! »

Avec la crise économique, les caisses médicales se vident et il devient chimérique de sensibiliser le ministère de la Santé au sort des nouveaux groupes à risque : les drogués, les prostitués, les enfants des rues. « Les autorités criminalisent ces gens, prétendant que leur situation est de leur faute ! », s'insurge Maria.

Aras organise des maraudes en ambulance dans les quartiers de Bucarest fréquentés par cette population. Des files se forment, chaque nuit, devant la camionnette où les éducatrices distribuent des seringues à usage unique et des préservatifs. « Deux ou trois pharmacies acceptent bien de nous vendre des seringues, relate un habitué, mais elles sont souvent surveillées par les flics ! »

Avant de travailler au centre de méthadone, Flori officiait au point d'échange de seringues d'Aras, un « drop center » intégré au même hôpital. L'association en a ouvert un second l'an passé au coeur du quartier Titan, dans un container placé au pied des immeubles.

Route de l'héroïne

Une blonde joliment rondelette y est éducatrice : « J'ai arrêté l'héro il y a deux ans. Je pesais 40 kilos. Vous m'auriez vu ! », dit-elle, dévoilant son histoire : « En 1989, j'étais étudiante. A la fac, soufflait un vent de liberté. L'ouverture du pays permettait le passage de la drogue. La Roumanie se trouvait sur la route de l'héroïne en provenance d'Asie vers l'Europe. J'ai commencé à en consommer sans savoir ce que c'était... »

Depuis le 1er janvier 2007, le pays est membre de l'Union européenne. Mais les nouveaux fonds disponibles ont peu concerné la santé. La plupart des programmes d'Aras ont été financés par le Fonds mondial de lutte contre le sida. Cependant, cet organisme stoppera ses subventions en Roumanie cette année.

Flori Georgescu est justement préoccupée par ces soucis financiers. « J'ai appris à aimer tous les aspects de mon métier sauf un : ce qui concerne l'argent ! », ironise-t-elle. Elle n'évoque pas seulement le salaire dérisoire d'une infirmière en Roumanie (de l'ordre de 300 euros mensuel), elle fait aussi référence au prix des services de santé. « Il faudrait rendre gratuits seringues, méthadone, interféron et trithérapies ! », argumente la soignante. Un désir qui risque de rester voeu pieux.

1- http://www.aides.org