villevêque
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Dans une bourgade du Maine- et-Loire, un « village » atypique a émergé autour d'une idée phare : mettre des personnes âgées dépendantes au contact des enfants.
Villevêque est un petit bourg tranquille situé à une quinzaine de kilomètres d'Angers. Trois mille habitants environ, un château, un moulin en bordure du Loir... et son « Village des générations », un établissement géré par la Mutualité française d'Anjou-Mayenne. Un lieu innovant, où se côtoient quotidiennement des bébés, des enfants et des personnes âgées. Ici, l'intergénérationnel a été pensé bien avant la conception et la construction du bâtiment. Et tout le projet repose sur le « vivre- ensemble » : entre générations, bien entendu, mais aussi entre personnes « différentes ». Le Village des générations abrite une maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes (Mapad) ainsi qu'une unité destinée aux personnes handicapées âgées (Upha). Sans parler des jeunes adultes issus d'un établissement et service d'aide par le travail (Esat) qui y sont employés.
À peine 8 heures. Un père de famille dépose sa petite fille de 2 ans au « Nid du Loir », la crèche du Village. Suivent d'autres parents qui accompagnent leurs bambins. Certains sont encore des bébés de quelques mois. Pour madame Papin, maman de Romane et Malo, des petits jumeaux, « ce projet d'intergénération a été un plus dans le choix de l'établissement pour nos enfants. Maintenant, ils sont habitués à aller jouer avec les mamies et les papys » ! À la crèche, une journée commence, remplie de jeux et d'activités pour découvrir la vie en groupe.
À quelques pas de là, dans le bureau des infirmières, l'équipe soignante s'organise pour s'occuper des personnes de la résidence « Les couleurs du temps ». Les aides-soignantes ou les aides médico-psychologiques sont arrivées dès 6 h 45, afin de croiser l'équipe de nuit, qui leur dresse le bilan des évènements survenus. Les infirmières commencent leur travail dès 8 heures. Les toilettes ont débuté dans les chambres des six îlots. C'est une des spécificités de l'établissement : bâti de plain-pied, le bâtiment est divisé en unités de vie, chacune accueillant dix résidents au maximum. Les chambres ont été aménagées par les familles, avec le mobilier et les souvenirs des résidents. « Nous avons voulu recréer un environnement où chacun puisse garder des repères de sa vie d'avant, résume Madeleine Ménard, la directrice de la résidence. Ici, tout est fait pour le bien-être des personnes. » Chaque îlot possède sa salle à manger, qui sert également de lieu de vie. Des fauteuils, une banquette, des tables, un poste télé... Une configuration qui ressemble assez à celle d'un appartement. Il y a même une petite cuisine équipée d'un réfrigérateur et de quoi se faire du thé ou du café.
Quelques résidents « lève-tôt » prennent leur petit-déjeuner. D'autres se succéderont jusqu'à 10 heures. « L'organisation des tâches se fait en fonction du réveil des résidents et non pas en fonction du travail dans l'îlot », précise la directrice. Autre spécificité de la maison, le personnel ne porte pas de blouse (en dehors des heures de soins ou de toilette). « Nous avons travaillé sur le pouvoir de la blouse, et si ce vêtement était vraiment en adéquation avec notre projet, explique Madeleine Ménard, la blouse rappelle l'hôpital, la maladie..., et ce n'est pas cette représentation que nous voulons donner aux résidents ni aux enfants de la crèche. Nous sommes avant tout un lieu de vie ! »
La résidence et la crèche ont leur propre fonctionnement. « Pour les aînés, c'est un lieu de vie, alors que pour les enfants, c'est un lieu d'accueil », résume parfaitement Clothilde, animatrice auprès des personnes âgées. Mais l'intergénérationnel est un projet à part entière. Et, en ce milieu de matinée, quelques tout-petits, accompagnés par des assistantes maternelles, ont quitté la crèche pour rejoindre le salon « Au coin du feu ». Trois ou quatre résidentes sont présentes pour cette animation. L'inter- action fonctionne mieux en petit nombre. Une musicienne entonne des chants et des contes, accompagnés à la guitare. Les barrières tombent et tout le monde participe à sa manière, chacun s'étant équipé de percussions artisanales. Fous rires et cris de joie. « Il faut du temps pour que la relation se mette en place, précise Clothilde, on essaie de positionner les résidents en tant qu'adultes, voire d'éducateurs. Il est très important qu'il se passe quelque chose. Mais, à aucun moment, l'enfant ne doit être considéré comme "un soin de mieux-être". »
Jérôme Debruyn, le psychologue clinicien, travaille deux jours par semaine au Village. Ce matin, il rend visite aux résidents des « Mariniers ». Cette Upha fonctionne comme les autres îlots. Les résidents sont atteints de pathologies mentales diverses. Ils ont, pour la plupart, passé leur vie en institution avant de rejoindre l'établissement. Le psychologue est en compagnie de Christiane. C'est elle qui lui a demandé de venir dans sa chambre. Assis au bord du lit, il l'écoute attentivement, la rassure... « L'approche est un peu différente de celle que je propose aux autres résidents, reconnaît-il. Ceux-ci sont déjà très entourés et encadrés par leurs AMP (totalement rattachés aux Mariniers, contrairement à ce qui se passe dans les autres îlots, où le personnel tourne régulièrement). Je travaille avec l'équipe, on envisage des pistes d'accompagnement... » Le thérapeute est soudain interrompu par des petits cris qui annoncent l'arrivée d'enfants chahuteurs ! Une bonne transition pour évoquer la notion d'intergénération : « Psychologiquement, pour la plupart des personnes âgées, c'est très stimulant, reprend Jérôme Debruyn, la vieillesse renvoie bien évidemment à la notion de fin de vie. Être entouré d'enfants, cela peut parfois aider à garder le moral. Mais certains résidents s'en moquent complètement, voire s'en trouvent gênés ! »
Quelques personnes âgées se reposent dans les longs couloirs baignés de soleil. Elles attendent le déjeuner. Madame Isambert, 85 ans, est plongée dans un magazine. « Je vivais à Meudon (92). Comme ma fille habite la région, nous avons visité quelques établissements. Celui-ci m'a emballée ! Regardez toutes ces fleurs devant nos fenêtres... Et tous ces enfants, ils nous apportent de la joie et de la vie ! » Sa voisine, madame Jacquier, 90 ans, est arrivée en décembre 2007. Elle vient de passer la matinée à la bibliothèque municipale avec les enfants, accompagnée d'autres résidents, d'une AMP et d'assistantes maternelles. « Je leur lis des histoires. Immédiatement, je pense à mes petits-enfants ! Mais ce n'est pas toujours facile de maintenir leur attention ! »
Les gamins jouent maintenant dans le couloir, sous l'oeil attentif de Fanny Gardie-Moyon, la directrice de la Maison de l'enfance. Une curiosité de plus dans cet établissement vraiment pas comme les autres : des jeux d'enfants ont été installés dans les jardins mais aussi dans tous les couloirs de la résidence ! « Cette spontanéité des rencontres n'est qu'une facette du projet, précise-t-elle. Nous travaillons en étroite relation avec Clothilde, l'animatrice de la résidence. Par exemple, pour les visites à la bibliothèque, nous préparons ensemble un thème : ce peut être les loups ou les princesses. »
Sur place, la bibliothécaire a choisi quelques livres sur le sujet, et les petits écoutent les histoires lues par les résidents.
Bientôt le déjeuner. À l'îlot des Mariniers, l'atelier cuisine se termine. Les résidents ont préparé des petits gâteaux qui seront servis au goûter, en fin d'après- midi. Pour l'instant, ils dressent eux-mêmes la table. Le service, comme dans tous les îlots, est orchestré par les employés issus d'un Esat. « Ils font partie du projet », insiste la directrice.
À l'îlot des Quernons, le repas est beaucoup plus encadré. « Le Cantou (centre d'activités naturelles tirées d'occupations utiles) est une petite unité qui prend en charge des personnes âgées présentant des symptômes de démence ou de la maladie d'Alzheimer. Il faut davantage de personnel pour s'occuper de ces résidents, explique Laurence Jaspart, l'infirmière coordinatrice. Un véritable projet de vie s'est mis en place autour de la personne âgée, qui permet de faire face de manière globale à la problématique de la démence. »
La crèche est plongée dans le silence. En ce début d'après-midi, tous les enfants font la sieste. Du côté des Couleurs du temps, guère plus d'activité, en dehors de quelques séances de jeux qui s'improvisent dans les différents salons. De nombreux résidents se reposent dans leur chambre. Un atelier mémoire est proposé dans le salon Au coin du feu. Clotilde réussit à regrouper une quinzaine de personnes pour participer à un genre de Trivial Pursuit destiné à faire travailler la mémoire. Des questions d'actualité récente, mais aussi beaucoup plus ancienne, sont lancées par l'animatrice !
À 16 h 30, voici le goûter, servi dans chaque îlot. Les résidents des Mariniers ont invité quelques enfants à partager les pâtisseries préparées ce matin. Aux Quernons, des activités sont proposées. « La fin d'après-midi est un moment critique pour les plus dépendants, reconnaît Laurence Jaspart, ils déambulent et errent sans but. Nous avons décidé d'expérimenter un nouveau dispositif : le personnel détaché à l'animation s'installe dans les couloirs. Cela a l'effet d'un aimant ! Les résidents viennent vers nous, des discussions, des jeux s'improvisent. Cependant, notre projet est en perpétuelle évolution. Il faut savoir se remettre en question à tout instant. »
Il est 19 heures, et les derniers enfants sont repartis avec leurs parents. Le Nid du Loir ferme ses portes tandis que les résidents se retrouvent pour le dîner. L'équipe de nuit va prendre ses fonctions, l'une à 20 heures, et l'autre à 21 heures. De retour à la maison, Romane et Malo, les petits jumeaux, n'ont pas oublié de raconter à leur maman la visite auprès des papys et des mamies ! Demain, les couloirs de la résidence pour personnes âgées résonneront à nouveau de cris d'enfants.