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Mort subite du nourrisson, décès inattendu ou périnatal... En Seine-Saint-Denis, Empathie 93 accompagne les parents frappés par un drame. Unique en France, cette structure s'appuie sur une expérience de près de trente ans.
Notre travail est de jalonner le chemin de deuil des familles », explique Annie Jourdan, pédiatre au centre de Protection maternelle et infantile (PMI) départementale Empathie 93 depuis sa création en 1982. Un deuil assurément plus difficile que bien d'autres du fait de sa soudaineté (grande majorité de cas de morts subites et inattendues (1)) et parce qu'il touche des enfants de moins de deux ans en parfaite santé.
À l'origine du dispositif Empathie 93, qui demeure unique en son genre en France, un constat posé au début des années 1980 par le département mais également au plan national : la mortalité, sans cause de morbidité identifiée, dans leurs premiers mois, de nourrissons et de jeunes enfants, et qui se traduisait en Seine-Saint-Denis par une cinquantaine de décès par an. La prise de conscience des acteurs de santé publique est d'ailleurs à l'origine de campagnes nationales d'information et de prévention en direction des parents et des professionnels de la petite enfance pour, notamment, modifier la position de couchage des bébés.
La posture de sommeil décrite par les parents lors de la découverte de leur enfant inanimé - le plus souvent couché à plat ventre et visage face au matelas - a conduit, en effet, à plusieurs recommandations : couchage à plat dos, sans couette, sans oreiller et dans une pièce tempérée entre 18 et 20 degrés. Ces messages de prévention, qui perdurent aujourd'hui, ont donné des résultats spectaculaires. En quelques années, la mortalité subite du nourrisson (MSN) a chuté d'environ 75 % dans l'Hexagone. Elle reste néanmoins la première cause des décès post-néonataux.
Cependant, comme le souligne Annie Jourdan, le phénomène de la mort subite ou inattendue demeure mal connu. « Diverses hypothèses causales ont été avancées autour d'anomalies respiratoires. On a même postulé que ces bébés oubliaient simplement de respirer. Puis, peu à peu, l'idée d'une cause unique a été abandonnée. Aujourd'hui, des travaux portent, par exemple, sur les mécanismes intimes et d'éveil de l'enfant. Et il est admis que la cause de la mort est plurifactorielle. Plusieurs éléments s'associeraient, au même moment, sur un terrain particulier, et provoqueraient le décès. Mais ce terrain n'a encore jamais pu être mis en évidence. De fait, il est actuellement impossible de dépister les enfants à risque et, par conséquent, de prévenir ce type de décès. C'est d'ailleurs pour cette raison que les comportements et gestes de prévention valent pour tous. » Et d'ajouter : « Contrairement à ce qui se dit encore parfois, la MSN ne se produit pas plus dans les familles défavorisées ; elle touche toutes les catégories sociales : nous accompagnons aussi bien des ouvriers, des enseignants que des soignants. »
Lorsque le conseil général décide de mettre sur pied Empathie 93, l'équipe, composée d'un pédiatre, d'une puéricultrice et d'une psychologue, tâtonne. « À l'époque, se souvient le médecin, nous avons pris contact avec le CHU Jean-Verdier, centre de référence de la MSN pour notre territoire, afin que soignants et parents nous connaissent. » Mais, très vite, l'équipe s'aperçoit que cela ne fonctionne pas. « Émotionnellement et psychologiquement, les parents étaient anéantis, sidérés, et dans l'incapacité de faire cette démarche », explique Emilia Bruniera, puéricultrice et directrice de la PMI. « On s'est alors dit que c'était à nous d'aller vers eux, chez eux, dans leur environnement », relate Annie Jourdan.
Rapidement, un partenariat est formalisé entre l'hôpital et la PMI. Il vaut encore aujourd'hui et concerne également plusieurs maternités du département pour la prise en charge des parents touchés par un deuil périnatal. Après information aux parents, l'hôpital transmet à la PMI, généralement dans les quarante-huit heures, des renseignements sur l'enfant et les circonstances de son décès, ainsi que les coordonnées des parents. Après examen de ces éléments, la PMI adresse un courrier aux parents en expliquant sa démarche et leur propose une visite à domicile. « Parfois, il arrive qu'il n'y ait personne. Nous renvoyons une seconde proposition. Si la porte reste close et que les parents n'ont pas cherché à nous joindre, nous arrêtons. C'est aux parents de décider, nous n'avons rien à leur imposer », dit l'équipe. Les refus sont rares : 98 % des familles acceptent la main tendue. Parfois, des parents appellent la PMI plusieurs mois après le décès de leur enfant. Les rencontres peuvent avoir lieu le soir voire le samedi.
L'équipe travaille toujours en binôme : psychologue/puéricultrice, médecin/puéricultrice, psychologue/médecin. « À deux, le regard est plus riche ; et seule, pour l'avoir pratiqué au début, c'est difficile. Par ailleurs, lors de la première rencontre, les parents souhaitent souvent aborder des questions médicales, il est donc important de pouvoir y répondre », confie Annie Jourdan. Si les grands-parents souhaitent également un soutien, un autre binôme les accompagne pour éviter les « interférences » entre les deux prises en charge.
Une fois amorcé, l'accompagnement varie de quelques mois à quelques années, selon le souhait des parents. Dans le cas d'un deuil périnatal, la peur et les angoisses se concentrant durant la grossesse ou juste à son sortir, il est fréquent que les parents décident de l'arrêt de l'accompagnement dès la naissance d'un nouveau bébé, qui se produit souvent dans les douze mois. Les rendez-vous ont lieu toutes les trois semaines ou tous les mois. Ils peuvent s'espacer au fil du temps ou se resserrer par période, selon les besoins exprimés par les parents. Actuellement, l'équipe suit une centaine de familles. Les familles peuvent aussi être épaulées par des associations (2) ou des psychothérapeutes.
Beaucoup de choses se disent et se jouent lors des entretiens. « Pour les parents, c'est d'abord un espace de libre parole. Nous sommes étrangers à la famille et nous ne sommes pas en deuil de cet enfant. Souvent, ils racontent le moment de la découverte, l'hôpital, l'après, les relations avec la famille, l'entourage, les collègues. Ils évoquent aussi le manque ; leur impossibilité à penser "le plus jamais" », dit le médecin. « Les premières visites sont très difficiles. L'émotion et la souffrance sont intenses. Nous allons les chercher dans leur détresse, relate Catherine Picard, une des deux psychologues. Un bébé est totalement dépendant de la personne qui s'en occupe. Les parents ont donc un immense sentiment d'impuissance qui se traduit par une grande culpabilité, d'autant que, dans la plupart des cas, l'enfant était en bonne santé. » Une culpabilité qu'il faut laisser s'exprimer, entendre, car ils ont besoin de la dire pour pouvoir la dépasser, selon l'équipe.
Ce soutien psychologique s'adresse également à l'ensemble des professionnelles de la petite enfance du département - assistantes familiales, auxiliaires de puériculture - car il est arrivé qu'un enfant décède alors qu'elles en avaient la garde. Mais il peut être étendu à d'autres professionnels (médecins, infirmières, sages-femmes). « Nous sommes également attentives à la fratrie. Parfois, elle assiste à la première rencontre ou aux suivantes. Elle aussi doit faire face au deuil et il est double : celui d'un frère ou d'une soeur et celui de leurs parents "d'avant" », note la puéricultrice.
Plus l'enfant est mort jeune, plus les parents craignent que son souvenir ne s'efface dans leur mémoire. Comme s'ils l'abandonnaient une seconde fois. « Or, il faut vraiment que cet enfant mort trouve sa place dans leur vie », insiste la puéri- cultrice. Souvent, ils évoquent rapidement leur désir d'avoir un autre enfant, mais se ravisent, redoutant qu'il ressemble trop ou pas du tout à celui décédé, de ne pas savoir l'aimer, de lui donner une place particulière et, surtout, de ne pas être à la hauteur. « À ce stade, notre travail est de leur dire que c'est possible et qu'ils en sont parfaitement capables. Nous sommes là pour en témoigner, au nom des centaines de familles que nous avons accompagnées ces trois décennies », justifie le médecin. Souvent, le travail de l'équipe se renforce lorsque le désir d'enfant a pris le pas sur la peur, même si elle n'a pas disparu, puis s'achève lorsque le nouvel enfant a dépassé l'âge de l'enfant précédent. Alors une autre histoire peut commencer.
1- La mort subite du nourrisson concerne des enfants âgés de vingt-neuf jours à un an. La mort périnatale s'entend dès la vie foetale jusqu'au 28e jour de vie. Le décès inattendu s'observe chez des enfants âgés de un à deux ans ; une cause médicale ou pathologique préexistante peut alors être à l'origine de la mort de l'enfant ou découverte après le décès, mais ce n'est pas toujours le cas.
- PMI Empathie 93, 22, rue Hector-Berlioz, 93000 Bobigny.
Tél. : 01 48 95 31 20