L'Infirmière Magazine n° 259 du 01/04/2010

 

qatar

Reportage

À Doha, l'Académie Aspire(1) est l'école d'élite de l'un des plus beaux complexes sportifs du monde. L'équipe médicale de son centre de santé apporte aux jeunes athlètes un soutien psychologique et moral. Ces enfants, mis parfois à rude épreuve, sont les champions de demain.

P armi nos jeunes athlètes, un Algérien de 15 ans se plaignait beaucoup. Il avait mal partout mais nous ne pouvions poser aucun diagnostic. En fait, cet enfant de parents divorcés dont l'entraînement était ardu avait besoin d'attention. » Pour Roula Mattara, l'une des deux infirmières du centre de santé de l'Académie Aspire, l'aspect psychosocial du rôle des soignants est essentiel.

Nous sommes à Doha, la capitale du Qatar. Ce petit émirat désertique s'est énormément enrichi grâce à l'exploitation de son pétrole. Son développement repose sur quatre piliers : l'éducation, la culture, le sport et la santé. Aspire, qui s'étend sur 290 000 m2, est à la pointe en matière d'entraînement, d'organisation d'événements sportifs, de formation, de recherche ou de médecine sportive.

L'ambition de l'Académie est de former les meilleurs espoirs sportifs de la région, pour qu'ils deviennent des athlètes internationaux de haut niveau dans toutes les disciplines. L'environnement d'apprentissage est exceptionnel : internat, équipements sophistiqués, infrastructures technologiques à la pointe, laboratoires scientifiques, terrains de football en plein air et en salles climatisées, salles de musculation et de physiothérapie...

Des liens forts

Cette institution de renommée mondiale, fondée en 2004, prend aussi en charge la santé de ses jeunes sportifs. L'équipe pluridisciplinaire du centre de santé se démarque par la relation particulière qu'elle entretient avec eux. Des liens forts, notamment avec les jeunes du programme Football Dream : une cinquantaine de joueurs sélectionnés chaque année parmi plus de 600 000 enfants à travers l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine. À l'issue d'une évaluation sur place, au Qatar, seuls cinq d'entre eux obtiendront une bourse pour cinq années d'études sportives. « Ce qui est intéressant, explique Matthieu Sailly, le responsable du centre médical, c'est la proximité avec nos jeunes. On peut les suivre de A jusqu'à Z, et s'il y a un problème, il arrive que je vois un enfant deux fois dans la journée. »

L'Académie accueille 220 jeunes athlètes à plein temps et 100 à mi-temps. Les sportifs ont entre 8 et 17 ans. Ils se lèvent à 6 heures, s'entraînent, suivent ensuite leurs cours dans l'enceinte de l'institution, puis s'entraînent à nouveau tout l'après-midi. « Les journées sont longues et dures, il faut leur redonner du punch, surtout à ceux qui sont loin de leurs familles, explique Olivier Materne, physiothérapeute et kinésithérapeute. Le "toucher" est très important. Ahmed, mon confrère jordanien, parle arabe et peut établir des contacts plus forts avec ceux qui comprennent mal l'anglais ou le français. »

Les sportifs se rendent au centre de santé pour les grosses blessures, les « petits bobos » ou dans des moments de fragilité psychologique. Un équipement d'urgence est à la disposition des infirmières et du médecin chef, ainsi qu'une pharmacie. Pour les problèmes de santé plus importants, le centre bénéficie de tous les équipements de l'hôpital de médecine du sport et d'orthopédie d'Aspire, le plus important du Moyen-Orient : quatre salles d'opération numérique, scanners, IRM...

Pluridisciplinarité

L'aspect relationnel fait partie intégrante du soin. « Quand un jeune vient pour un mal de gorge ou un pansement, souvent, les langues se délient. Au début, ce n'était pas évident car, dans leur culture, on ne se dévoile pas ainsi devant une femme », explique Anoosh Merzoiam, infirmière arménienne et canadienne d'origine irakienne. Avec Roula, elle s'occupe de faire le lien avec les parents, de les rassurer. Leur rôle est déterminant et interdépendant avec celui de toute l'équipe : elles sont aussi impliquées dans l'antidopage et la préparation des départs pour les entraînements et les tournois à l'étranger, dans des pays à risques.

L'engagement et l'investissement des soignants reposent sur la pluridisciplinarité et l'interaction tant au niveau médical qu'humain. Les différentes nationalités, langues, cultures et habitudes, le déracinement de certains jeunes sportifs, mais aussi leur force de caractère et leurs moments de doute sont autant de réalités à prendre en compte. « On est dans un contexte particulier, difficile à comparer avec ce qui existe en Occident. Les enfants ne sont pas éduqués au système de soins ni à l'approche psychologique, développe le responsable du centre. Par ailleurs, il faut parfois batailler avec les entraîneurs et négocier pour qu'un jeune fasse une pause. »

Comme tout collégien

Adama, Ghanéen de 16 ans, est considéré comme un footballeur à fort potentiel. Après un accident sur le terrain, il a dû subir une intervention chirurgicale. Il marche encore avec des béquilles et, pour lui, ne pas jouer est très dur : « Je suis un peu déprimé, mais il faut que je m'accroche. » Il écoute Michael Jackson dans sa chambre tandis que le kinésithérapeute discute avec lui tout en lui faisant faire des mouvements de la jambe. Conor Kilgaller, psychologue irlandais, travaille sur le mental des athlètes : « L'objectif pour eux ? Avoir confiance et toujours regarder en avant. »

Sur le palier, Samuel est accoudé à la balustrade et regarde ses camarades dans le grand hall du rez-de-chaussée où sont installés tables de ping-pong, de baby-foot et billards. Sur un large écran plat, la chaîne de sport d'Al Jazeera diffuse un match de football. Pendant leurs pauses, les jeunes sont comme tous les collégiens : ils s'amusent, viennent échanger quelques mots avec un kinésithérapeute ou une infirmière, poussent la porte du bureau de Christine King, la diététicienne néo-zélandaise : « La dimension humaine est essentielle quand on s'occupe de jeunes. »

1 - http://www.aspire.qa