L'Infirmière Magazine n° 259 du 01/04/2010

 

Florence Coric

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Jeune Bretonne éprise de voyages et de défis, Florence, infirmière, a délaissé l'humanitaire pour l'armée. Rare femme sur son navire, elle savoure l'alliance exigeante de la discipline et de l'imprévu.

C'est jour d'escale sur le Courbet, l'une des cinq frégates furtives de type Lafayette de la Marine française. Dans la chaleur épaisse de Montevideo, la capitale de l'Uruguay, Florence Coric, cheveux longs défaits, tongs aux pieds et sac de plage à l'épaule, rentre au bercail après une journée de farniente. Toute petite au pied de la forteresse de métal qui brille sous le soleil de l'été austral, la jeune infirmière de 24 ans n'a vraiment pas l'air d'une militaire. Pourtant, chez elle, la Marine est une histoire de famille : père marin, soeur marin-pompier, frère ex-mécano dans la Marine. Florence, elle, est arrivée au Courbet par le biais de ses études d'infirmière.

la tentation humanitaire

Après avoir passé les concours dans le civil et dans l'armée et avoir été reçue aux deux, cette Bretonne d'origine choisit le seul Ifsi militaire de France, à Toulon. Premier déracinement d'une longue série à venir. « Plus je pars, plus je m'épanouis », confie la jeune femme, qui, pour l'heure, se trouve à près de 11 000 km de ses bases françaises. Vivre en perpétuelle partance, c'était pour elle une exigence. Mais cela aurait pu être dans le cadre d'une activité humanitaire. Bac S en poche et après un IUT de technicien de laboratoire, elle a d'ailleurs commencé ses études par trois mois à l'Ifsi de la Croix-Rouge de Nantes. « Mais, en fait, ils partent peu. Il faut parler trois langues et il y a des tests éliminatoires », déplore- t-elle. Qu'à cela ne tienne, ce sera donc l'armée ! Et l'armée, ça commence pour tout le monde à Brest, par quatre mois et demi de formation militaire initiale, commune à tous les métiers de l'armée : la future infirmière y côtoie les futurs électriciens ou cuisiniers à l'école de Maistrance. Ce n'est qu'après que chacun se spécialise. Pour Florence, cap sur le sud de la France et l'école du personnel paramédical des armées où elle suit trois ans de formation infirmière. « C'est le même diplôme que pour les autres infirmières, avec des matières en plus : sport obligatoire, anglais et TP militaires », explique-t-elle. À l'issue de la formation, le choix d'affectation se fait au classement. « Je voulais un bateau depuis le début », se souvient la jeune femme, qui a donc choisi l'Alfan de Toulon, la force d'action navale qui regroupe, sous l'autorité d'un amiral, une centaine de bâtiments. Là, elle intègre un pool d'infirmières à terre, mobilisables à tout moment pour partir en mission.

missions imprévues

Quelques mois plus tard, coup de chance, l'infirmier du Courbet part en retraite. Florence est nommée pour le remplacer. Pour l'équipage de la frégate, c'est un sacré changement générationnel... Et pour Florence, c'est la première affectation : son destin est désormais lié à celui du bâtiment et de son équipage pour trois ans. Et là, l'aventure, la vraie, commence, avec au programme, « beaucoup d'imprévus » et la perspective, enfin, de « partir du jour au lendemain ».

Les missions du Courbet sont multiples. Le bâtiment est armé de missiles opérationnels et doté d'un hélicoptère, mais, en temps de paix, ses principales fonctions relèvent de la police maritime : lutte contre le narcotrafic, contre l'immigration clandestine, la pollution maritime ou encore la piraterie. Le navire mesure 125 mètres de long pour 15 mètres de large, il est équipé pour que ses 153 membres d'équipage puissent vivre en totale autonomie pendant une soixantaine de jours, allant jusqu'à produire sa propre eau potable à partir de l'eau de mer. Mais, ponctuellement, lorsque la situation l'exige, il peut être amené à transporter un nombre bien supérieur d'occupants. « Souvent, on récupère des migrants, indique ainsi Florence. Il faut alors faire face aux problèmes de langue, aux différences culturelles, et gérer les urgences sanitaires. » Il arrive « qu'il y ait des cadavres à repêcher. On vide alors les frigos dans les cuisines du navire et on les met dedans », raconte l'infirmière.

En amont des missions, elle se charge de prévoir des lots pédiatriques avec lait en poudre et couches, au cas où. Le bâtiment peut aussi servir à évacuer des ressortissants français qui se trouveraient en danger dans un pays étranger, ou intervenir en renfort humanitaire lors de catastrophes naturelles, comme il l'a fait à Phuket, en Thaïlande, après le tsunami de 2004. Autant de situations qui requièrent une forte capacité d'adaptation, et c'est justement ce qui fait briller les yeux bleu intense de Florence, pour qui l'armée permet d'« allier travail et aventure ».

vie en collectivité

Après quelques voyages de courte durée, elle savoure, depuis le 2 décembre 2009, sa « première vraie mission » : ce jour-là, le Courbet a quitté le port de Brest pour escorter le navire-école Jeanne d'Arc pendant six mois. Au programme, pas moins de 17 escales en Afrique, en Amérique et en Europe, sans jamais revenir au port d'attache. Et, dans l'intervalle, de longs jours en mer, pendant lesquels il faut supporter la vie en collectivité dans un espace très confiné.

Le navire compte seulement quatre femmes dans l'équipage, et Florence est la seule qui soit sous-officier. Or, à bord, la vie des différents gradés s'organise par quartiers. Dans le quartier des sous-officiers, au nombre de 50, elle est donc la seule femme. Hors escale, elle passe, ainsi, tout son temps avec des hommes : à la cantine, dans la salle de sport et, bien sûr, dans son infirmerie. Le soir venu, elle partage une chambre plus spacieuse que celles de ses co-gradés avec une femme officier, ce qui lui vaut d'ailleurs quelques jalousies, comme pour d'autres « privilèges » dont jouissent les infirmières, qui, notamment, avancent plus rapidement dans la hiérarchie militaire.

Tous les matins, réveil général à 7 h 45, puis, après le petit-déjeuner, appel par compagnie à 8 h 45. Ensuite, vient le « poste de propreté » jusqu'à 9 h 20 : chacun fait le ménage dans la partie du navire qui lui incombe. Pour quelqu'un qui ne voulait surtout pas travailler en hôpital à cause de « la routine des horaires et des protocoles dans les services », c'est réussi ! « J'aime ce qui est cadré , admet la jeune infirmière, mais à l'intérieur d'un contexte qui, lui, est très variable », commente-t-elle en souriant.

« célibataires géographiques »

Au moins une fois par jour, les sirènes retentissent et Florence, à l'instar des autres marins, lâche immédiatement ce qu'elle est en train de faire pour participer aux exercices militaires : « homme à la mer, simulation d'incendie, poste de combat », énumère-t-elle. Hormis les urgences, elle assure une consultation fixe matin et soir, dans un local de 15 m2. Au programme, radios et points de suture, car le navire, avec ses longs couloirs en enfilade, ses innombrables portes blindées ovales et très basses, et ses échelles qui relient les différents niveaux, est propice aux chocs et aux contusions. Il y a aussi les épidémies à gérer car, « quand un marin attrape la gastro, tout l'équipage suit », les campagnes de vaccination, et un gros travail de prévention. Il s'agit, avant chaque escale, de mettre en garde les marins contre les spécificités du pays, les maladies qui y circulent, les vecteurs de contamination... Sans oublier, bien sûr, la gestion des stocks pour toute la durée de la mission.

Quand on lui demande quelle est la spécificité de son travail, ce ne sont ni le confinement des lieux, ni l'éloignement des siens, ni l'hyper-masculinité de son environnement qui lui viennent à l'esprit. « C'est qu'on est seul. Contrairement à l'hôpital, il n'y a pas d'équipe, et même pas de médecin si la mission n'excède pas trois semaines, note- t-elle. À l'Ifsi, les infirmières sont formées à travailler sur prescription, ce qui n'est pas du tout adapté à ce mode d'exercice. Ici, on travaille beaucoup par télémédecine, par téléphone ou par fax, ce qui implique de savoir très vite reconnaître une urgence. »

Mais, pour l'ambitieuse jeune femme, cette mission reste « soft ». « J'étais volontaire pour l'Afghanistan, lâche-t-elle fièrement, pour le côté opérationnel. » Et tant pis si ce métier doit l'éloigner de longs mois du jeune homme avec qui elle partage sa vie depuis trois ans. Lui est aussi marin, mais sur le porte-avions Charles de Gaulle. Pendant les six mois que dure la mission de Florence, les deux « célibataires géographiques », comme on dit dans la Marine, communiquent par téléphone et par Internet. Et entretemps ? « Je me mets à fond dans le travail et j'oublie un peu, sinon ça me rend triste. »

moments clés

- 1997 : la frégate furtive Courbet entre en service.

- 2004 : après trois mois à l'Ifsi de la Croix-Rouge de Nantes, Florence Coric entre à l'école de la Marine de Brest.

- 2005 : elle intègre l'école du personnel paramédical des armées de Toulon.

- 2008 : diplôme d'infirmière en poche, elle attend, à terre, d'être mobilisée.

- 2009 : elle reçoit son affectation au Courbet et part pour sa première longue mission, six mois dans les eaux de l'Atlantique et du Pacifique.