L'Infirmière Magazine n° 259 du 01/04/2010

 

Vous

Horizons

Né voici un an dans un village de la Gironde, Handivillage 33 accueille des résidents vieillissants qui, au-delà des soins liés à leur handicap, bénéficient d'un accompagnement riche et solidaire. C'est le credo de l'établissement.

Sur les murs principaux de chacune des ailes du bâtiment, les mots du poète s'affichent en lettres déliées : « L'essentiel est invisible pour les yeux, seul le coeur peut le voir. » Une phrase du Petit Prince de Saint-Exupéry, comme un écho à la philosophie qui habite les concepteurs des lieux : créer, pour les personnes handicapées vieillissantes, un espace de vie « pensé comme un havre de confort, de sérénité, de dignité et d'amitié », selon les mots de celle qui fut à l'initiative du projet, Odette Trupin, ancienne députée de la Gironde et aujourd'hui présidente de l'association Handivillage 33.

Que faut-il imaginer pour tenir compte de l'évolution des pathologies avec l'âge ? Comment mettre en place une prise en charge soignante adaptée ? Quel lieu de vie quand vient la perte d'autonomie ? Particulièrement lorsque l'on a 50-60 ans. Trop vieux pour être accepté par la majorité des maisons d'accueil spécialisées (MAS) et des foyers, trop jeune pour avoir une place en maison de retraite, trop malade pour que la vie à domicile, souvent compliquée par la nécessité de soins adaptés, soit supportable. Les réponses à ces interrogations sont à peine esquissées, et le manque de structures spécifiques aux besoins des personnes handicapées vieillissantes est toujours criant au plan national. Face à ce constat, Odette Trupin et quelques autres ont pris leur bâton de pèlerin. Quelques années ont été nécessaires pour donner corps à leur projet, réunir les bonnes volontés, discuter avec les autorités de tutelle (Ddass et conseil général, qui, avec l'association Handivillage 33, financent l'établissement). La première pierre a été posée en juin 2008, et, moins d'un an plus tard, le 15 février dernier, Handivillage 33, centre d'hébergement, de soins et d'activités pour personnes handicapées vieillissantes, situé à Camblanes-et-Meynac,près de Bordeaux, accueillait ses premiers résidents.

Entre 50 et 60 ans

Au total, l'établissement - qui a le statut de foyer d'accueil médicalisé (FAM) - dispose de 60 places d'hébergement permanent : 15 pour des résidents traumatisés crâniens, 15 pour des cérébro-lésés, 15 pour des infirmes moteurs cérébraux et polyhandicapés, et 15 pour des personnes handicapées psychiques. Sur ces 60 places, deux sont réservées à l'accueil temporaire, afin d'offrir un temps de répit aux familles de personnes désireuses de vivre à domicile, et une à l'accueil d'urgence. S'y ajoutent huit places d'accueil de jour, avec un espace de repos dédié. L'ensemble des résidents accueillis ont entre 50 et 60 ans (la plus jeune a 47 ans, le plus âgé, 63 ans). Pour le moment ! Car l'idée des lieux est bien d'accompagner chacun par-delà les années, jusqu'au décès a priori, sauf contre-indication médicale.

« La décision d'accueillir des personnes souffrant de ces différents types de handicaps est un véritable choix », explique Anne Cohadon, cadre de santé de l'établissement. Ces pathologies sont particulièrement fragilisantes, et les places en structures traditionnelles manquent souvent. » Handivillage 33 s'est donné comme objectif d'être, aussi, un lieu d'entraide et de solidarité. La démarche n'a rien d'évident car elle va à l'encontre de bien des cloisonnements. Sans compter que chacune de ces pathologies nécessite un accompagnement, notamment soignant, spécifique. Celui-ci n'a pas été oublié, et les équipes ont été formées à l'accueil de chacun : « Une prise en charge, un apprivoisement, des soins plus lourds, des activités de réadaptation pour les traumatisés crâniens et les cérébro-lésés... », souligne Anne Cohadon. Mais l'équipe tient à ce que cet objectif de solidarité et d'échange n'exprime pas seulement un idéal. « D'ailleurs, précise la cadre de santé, nous avons tenu compte, dans nos critères d'accueil, des capacités de sociabilisation de chacun, d'un minimum d'envie d'aller vers les autres, de leur capacité à supporter le regard d'autrui. » Les premiers arrivés semblent apprécier, comme Bernard, qui, la démarche hésitante suite à un AVC, dit combien « c'est positif d'avoir à la fois un espace à soi et la possibilité d'être utile - pousser le fauteuil de certains, guider ceux qui sont perdus dans les arcanes d'un jeu de cartes - aux autres ».

un objectif ambitieux

Handivillage 33 ne manque pas d'atouts pour répondre aux attentes de ses patients. À commencer par l'architecture des lieux. Flambant neuf, l'établissement est constitué d'un bâtiment de plain-pied de près de 7 000 m2 sur un terrain de 2 hectares. Chaque type de handicap a son pôle, ou « pétale » d'hébergement de 15 chambres s'organisant autour d'un espace de vie et de services commun. Ainsi, salle à manger pour les petits déjeuners, espace d'animation, sofas moelleux et fauteuils adaptés pour la détente sont mis à la disposition des résidents. Les chambres, individuelles, font chacune 26 m2 et sont pourvues de grandes baies vitrées qui donnent toutes sur un accès direct au jardin. « C'est un luxe, commente Bernard, on peut se créer un chez-soi. » Permettre la vie sociale, en dépit du handicap, en dépit de l'âge, telle est la vocation de l'établissement. Que ce soit en petit comité, au niveau de chaque pétale... ou au niveau de l'établissement. Car Handivillage 33 dispose également d'une salle à manger commune de quelque 400 m2 agrémentée d'une terrasse où les fumeurs profitent déjà des premiers rayons de soleil, d'un espace multimédia, d'une bibliothèque... sans parler des espaces centraux de soins et d'animation, d'une balnéothérapie, d'un salon de coiffure...

équipe pluridisciplinaire

Autre atout, et non des moindres, une équipe nombreuse et véritablement pluriprofessionnelle. Un médecin coordonnateur à mi-temps, une cadre de santé, quatre infirmières, 27 aides-soignantes, 22 AMP, mais aussi deux ergothérapeutes, un kiné, un psychomotricien, une psychologue et une assistante sociale à mi-temps, et sept personnes chargées de l'animation... Sans compter le personnel administratif et d'entretien ou les intervenants extérieurs. Afin que chacun se familiarise avec la structure et le projet, l'ensemble de l'équipe a bénéficié de trois semaines de formation avant l'ouverture de l'établissement. « Une chance rare, souligne Céline, jeune animatrice, qui travaillait auparavant dans un foyer pour personnes autistes. Cela nous a permis de nous connaître, car nous venons tous d'horizons professionnels très différents, et de nous former aux problématiques spécifiques auxquelles veut répondre Handivillage. Pour que le travail d'équipe ne soit pas un vain mot, souligne Nathalie Belair-Gonzalez, médecin coordonnateur, « nous avons tenu à formaliser certains points. Depuis l'élaboration en commun des protocoles d'évaluation jusqu'au fait qu'une journée toutes les trois semaines, aides-soignantes et AMP soient détachées à l'animation. »

Naturellement, le travail des infirmières varie en fonction du handicap de chacun. Auprès des personnes handicapées psychiques et des infirmes moteurs cérébraux, tous valides, leur rôle est majeur en termes d'étayage relationnel - le soin est souvent parole. Auprès des traumatisés crâniens et des cérébro-lésés, la prise en charge sera plus technique, parce qu'il faut tenir compte des fréquents handicaps moteurs. Mais la vigilance relationnelle est tout aussi importante car ces pathologies entraînent des séquelles neuropsychologiques d'ordre cognitif et comportemental. Au-delà de leurs attributions propres, les infirmières sont impliquées dans tous les projets d'équipe, notamment en matière d'animation.

diverses animations

Un axe majeur dans l'accompagnement des résidents, comme pour insister sur la volonté de faire d'Handivillage 33 un lieu vivant. Sept personnes y travaillent à plein temps. Mais tout le monde est invité à s'y investir, et déjà, note Anne Cohadon, quelques soignantes passionnées de danse ou férues de peinture se sont proposées pour monter des projets. Quant aux résidents, les premiers concernés, ils ne sont pas en reste. Jean-Claude, membre des Vitamines TC, un groupe de musique monté dans la région par des traumatisés crâniens, compte bien organiser prochainement un petit concert. Entre deux parties d'échecs, Bernard voudrait, lui, s'investir dans un atelier multimédia pour « aider les autres à maîtriser Word et Excel ». Son voisin, féru de pétanque, aimerait reprendre ce jeu sur la place de Camblanes, tandis que les autres rêvent de pêche, de sorties cinéma ou de courses à la superette.

« L'important, c'est de partir des voeux de chacun. De ce qu'ils disent ou de ce qu'ils taisent tout en nous faisant comprendre leurs désirs, dans le souci permanent d'échanger avec les familles », souligne Céline. Accorder une véritable place aux proches des résidents est d'ailleurs un autre élément phare des lieux. Recevoir chaque famille lors des entretiens de préadmission, écouter les angoisses des uns et des autres et, bientôt, mettre en place un programme d'aide aux aidants. « Cela passe par des actions classiques... et d'autres qui le sont moins », note Céline. Ainsi de la mise à disposition de deux studios près du bâtiment principal pour accueillir les familles qui le souhaitent. « Ou, ajoute-t-elle, des tables et jeux d'enfants disposés dans le salon-salle à manger. Un détail qui symbolise la considération des concepteurs d'Handivillage envers les personnes que nous accueillons. Qui sait..., cela donnera peut-être des idées ailleurs ? »

contact

- Handivillage 33, route de Créon, chemin de Sissan 33 360 Camblanes-et-Meynac

Tél : 05 56 92 91 74

handivillage33@gmail.com