Mutilations sexuelles
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À Nantes, une prise en charge spécifique a été mise en place en 2006 pour les femmes victimes de mutilations sexuelles. Au cours d'une grossesse, notamment, certaines d'entre elles demandent « réparation ».
Véronique Carton, le médecin gynécologue responsable de l'unité nantaise spécialisée dans la prise en charge des femmes vulnérables, ne peut taire sa révolte. Tout récemment, elle a vu une petite fille de 4 ans de retour d'un séjour dans le pays d'Afrique de l'Ouest d'où sont originaires ses parents. « La tante m'a dit : "je sens qu'il y a quelque chose d'anormal chez elle depuis qu'elle est revenue", raconte-t-elle. Au cours d'une promenade dans la brousse, une tante par alliance avait excisé la petite, alors même que la maman était contre ! »
Depuis 2006, l'équipe de l'unité de gynécologie-obstétrique médico-psycho-sociale (Ugomps) du CHU de Nantes collectionne malheureusement ce type de témoignages, recueillis par le biais de la prise en charge pluridisciplinaire proposée aux femmes victimes de mutilations sexuelles. Ces jeunes filles prépubères et ces femmes adultes sont excisées la plupart du temps dans leur pays d'origine, soit avant d'arriver en France, soit au cours de vacances passées dans la famille restée sur place. Nantes comptant notamment une forte population guinéenne et des femmes excisées à 98 % lorsqu'elles arrivent, la question de leur suivi s'est posée. Mais, il a fallu du temps. « Dans les années 80 et 90, nous n'abordions pas réellement la question de l'excision, raconte Véronique Carton. On suivait bien entendu des femmes excisées pendant leur grossesse, mais on pensait que ce problème était tabou, que c'était leur culture. Et puis, il faut dire que les femmes elles-mêmes ne voulaient pas en parler. Elles tournaient la tête sur le côté, une manière de nous signifier : "ce n'est pas vos affaires !". Peu à peu, le Professeur Henri-JeanPhilippe, à l'initiative de l'unité, nous a sensibilisés sur le sujet(1). D'un point de vue médical, avant tout, car, même quand la femme est en position gynécologique, un professionnel non informé peut ne pas voir une excision, surtout quand son attention est concentrée sur un autre problème. Et puis, le contexte social a évolué. »
Outre une judiciarisation progressive de cas d'excision depuis les années 80 (2), qui va contribuer à la médiatisation de cette réalité, une avancée médicale va peser considérablement dans la prise en compte, par les soignants et surtout par les femmes touchées, de ce problème de santé publique. Pierre Foldes et Jean-Antoine Robein, deux urologues français, mettent au point, dans le même temps, une technique de réparation complète du clitoris. « Cette réparation possible et l'existence d'une prise en charge spécifique au CHU ont modifié en profondeur le regard des femmes sur leur excision, juge Véronique Carton. Une étude récente a montré que très peu d'entre elles ignorent leur mutilation. Quand on aborde la question, généralement, elles se saisissent de la perche qu'on leur tend et sont très contentes de constater qu'un professionnel de santé, maintenant, sait. Le bouche- à-oreille a bien fonctionné au sein des communautés, et nous recevons désormais des femmes qui viennent directement pour l'intervention chirurgicale que pratique le Professeur Henri-Jean Philippe. »
Mobiliser ces femmes est le fil conducteur de la prise en charge pluridiscipli- naire, assurée par quatre médecins(3), deux infirmières, une sage-femme, deux assistantes sociales, deux psychologues et une sexologue. « La demande doit venir d'elles-mêmes, précise Caroline Jouhair, une des deux infirmières de la consultation de gynécologie-obstétrique de l'Ugomps, qui est donc amenée à recevoir des femmes excisées. Elles ne peuvent pas solliciter de réparation si elles ne sont pas prêtes. C'est souvent un long chemin avant d'entrer dans le bloc opératoire... »
Parfois, c'est à la faveur d'un suivi de grossesse classique que la démarche s'enclenche. Le service de gynécologie-obstétrique, situé dans le même bâtiment de l'hôpital Mère-Enfant, et que dirige le Professeur Henri-Jean Philippe, oriente des patientes vers l'Ugomps, bien identifiée localement pour son travail effectué auprès des femmes en situation de vulnérabilité, comme peuvent l'être des mineures enceintes isolées, des personnes toxicomanes, des victimes de violences intra- familiales. Ces femmes peuvent aussi être adressées par la Protection maternelle et infantile ou d'autres organismes. « Si nous nous rendons compte qu'une excision a été réalisée, on dit les choses simplement : vous avez été coupée, vous avez été excisée, explique Véronique Carton. Ensuite, on les laisse maîtriser le temps. Comme pour les victimes de violences conjugales, nous sommes en position d'accueil de la parole, pas d'interrogatoire. »
« L'arbre à palabres », un groupe de parole qui se réunit chaque mois, est également un bon moyen d'accrocher ce public. Comme les séances d'information organisées dans les centres médico-sociaux. Au cours de ces moments d'échange, les possibilités de réparation sont mentionnées et des photos exposées. L'une d'elles les intéresse particulièrement : celle qui montre un clitoris coupé.
Parmi ces femmes, une quarantaine vont être prises en charge par l'unité chaque année. Certaines iront jusqu'à la réparation(4). C'est le cas de deux femmes reçues en février par Caroline Jouhair. « Après l'intervention, elles m'ont parlé de leur douleur, raconte l'infirmière, qui avait été sensibilisée à l'excision par une amie lorsque, jeune, elle vivait en Afrique. Je les vois en moyenne deux fois par semaine pendant trois mois, le temps nécessaire pour que la douleur s'atténue. Le clitoris est très tuméfié. Il faut alors les aider à gérer cette douleur, ce qui n'est pas facile. Dans un premier temps, elles peuvent, en effet, être déçues, car elles ne s'attendaient pas à souffrir autant. Souvent, l'intervention fait ressurgir le traumatisme et la violence de l'excision. » L'excision complète est la mutilation la plus rencontrée à Nantes, ce qui implique l'ablation du clitoris et des petites lèvres. Mais, étant donné les conditions dans lesquelles elle est pratiquée, avec une lame de rasoir ou au couteau, sur des petites filles qui se débattent, le Dr Véronique Carton évoque de nombreux cas qui se rapprochent de l'infibulation (5). « Les conséquences des excisions sont catastrophiques », ajoute la gynécologue : surinfection, gangrène, kyste, décès, bien entendu... Pour les survivantes, « cicatriser le mental et le physique », selon les mots de Caroline Jouhair, prendra du temps.
Le risque qui pèse encore sur les petites filles résidant en France, qu'on estime à 30 %, peut aider ces femmes africaines à prendre conscience et à dépasser ce qu'elles- mêmes ont vécu. Comme l'explique Véronique Carton, « quand on parle de stérilité, des difficultés pour accoucher, du risque d'hémorragie pouvant provoquer la mort, elles prennent conscience que l'excision est dangeureuse pour la santé. »
1- Depuis 2006, deux circulaires demandent que ce thème soit abordé en Ifsi, en école de sage-femme et dans les facultés de médecine.
2- Il n'existe pas de législation spécifique à l'excision. La jurisprudence a d'abord reconnu, en 1983, l'ablation du clitoris comme une mutilation puis, quatre ans plus tard, comme un crime.
3- Quatre médecins pour 1,5 équivalent temps plein.
4- L'opération est aujourd'hui pratiquée dans une quinzaine d'hôpitaux et cliniques en France.
5- Excision complétée par l'ablation des grandes lèvres dont les deux moignons sont suturés bord à bord. La vulve est remplacée par une cicatrice fibreuse, l'ouverture vaginale disparaît pour laisser la place à un minuscule orifice.
Gynécologie sans frontières, http://www.gynf.org
« Parmi les filles des femmes excisées, 11 % sont elles-mêmes excisées », note les auteurs de l'enquête Excision et Handicap (1), conduite par l'Institut national d'études démographiques entre 2007 et 2009 auprès de 2 882 femmes migrantes ou filles de migrants. Ce chiffre de 11 % tombe à 3 % quand on considère uniquement celles qui sont nées en France. Mais, si la pratique est progressivement abandonnée, « une partie des fillettes non excisées peuvent encore l'être, notamment celles qui sont âgées de moins de 15 ans », peut-on lire dans l'enquête. Dans trois cas sur dix, ce risque persiste lors d'un retour en Afrique.
Les professionnels de santé, comme tout citoyen, qui ont connaissance d'un tel risque, ont l'obligation de signaler une fillette en danger. L'abstention constitue une infraction sanctionnée par le code pénal. Le plus difficile sera de soutenir les mamans car la pression de l'entourage peut être très forte.
1- Téléchargeable sur : http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/22698/telechargement_fichier_fr_exh.pdf
- Ugomps, hôpital Mère-Enfant
38, boulevard Jean-Monnet, 44093 Nantes Cedex 1.
Tél. : 02 40 08 30 32