L'Infirmière Magazine n° 260 du 01/05/2010

 

Psychiatrie

Éthique

La pratique psychiatrique « hors les murs » fait débat chez les soignants. Comment, à la fois, assister la personne en détresse et respecter son choix de ne pas être prise en charge ?

Les équipes mobiles de psychiatrie (EMP) « hors les murs », bien que peu nombreuses sur le territoire, se sont développées au cours des dernières années. Le plus souvent, elles sont adossées à des établissements hospitaliers, mais des dispositifs associatifs existent également. Les équipes interviennent à la demande d'un professionnel (médecin généraliste, pédiatre, enseignant, infirmière scolaire, travailleur social...). Elles complètent ainsi une offre de prise en charge (visites à domicile, psychiatre de liaison), dont le rôle est de répondre à la problématique d'accès aux soins psychiatriques. Néanmoins, cette pratique « hors les murs », qui interroge l'éthique du soin, entre autres le principe d'autonomie du patient, fait débat chez les soignants de la sphère psychiatrique. La mission de ces équipes mobiles est, en effet, d'aller à la rencontre de groupes spécifiques (jeunes, jeunes errants, SDF...), dont le point commun est la non-demande de soins.

À Lille et à Rennes, des EMP sont dédiées aux adolescents. Pour Vincent Garcin, pédo- psychiatre et responsable du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de Lille, c'est au nom de l'éthique de responsabilité que le travail des EMP se justifie. Pourtant, des professionnels du champ psychiatrique critiquent cette pratique, la jugeant intrusive. « Ils considèrent que nous n'avons pas à aller vers quelqu'un qui ne nous demande rien », explique, ainsi, Vincent Garcin. Or, pour le pédopsychiatre, « il y a, au contraire, une éthique à intervenir. Par exemple, en expliquant à des parents qui font appel à nous, car leur fille vit cloîtrée depuis plusieurs jours : "dites à votre fille que nous ne la verrons pas si elle n'est pas d'accord" - position éthique -, "mais que nous ne partirons pas sans l'avoir vue" - position de responsabilité. »

Libre choix

Infirmier de secteur psychiatrique à l'hôpital de Laragne (Hautes-Alpes) et vice-président de l'association Soins études et recherche en psychiatrie (Serpsy)(1), Dominique Friard estime également « que les EMP remplissent leur mission, qui est d'aller au devant de la population et d'essayer d'entrer en contact le plus tôt possible avec les personnes en détresse. Bien entendu, cette démarche doit respecter la liberté de chacun d'accepter ou de refuser notre proposition ». Et c'est là, tout à la fois, la limite et la complexité de l'exercice.

Un exercice que connaît bien Sylvie Quesemand- Zucca(2), psychiatre et psychanalyste au sein de l'équipe mobile Souffrance et précarité de l'hôpital Esquirol (94). « Secret, écoute, observation et recherche de la meilleure aide possible à apporter à quelqu'un qui souffre sont ici plus que jamais de rigueur. Cette position déontologique est, en effet, aussi celle qui permet à l'équipe soignante d'avoir constamment en tête la question du libre arbitre du patient et de son droit à refuser le soin - fut-il un simple contact. » Pour le médecin, cette approche « constitue donc le plus sûr rempart aux tentations et aux dérives idéologiques, des mieux intentionnées aux pires. Une partie de la complexité de notre travail se joue à ce niveau : où se situe la frontière entre non-assistance à personne en danger et respect du libre choix du recours à un soin » ? Une question difficile à trancher.

1- http://www.serpsy.org

2- Identité du SDF, identités soignantes. Texte collectif. Également auteur de Je vous salis ma rue. Éd. Stock.

TÉMOIN

Olivier Buisine « Établir le contact »

« Dans la rue, nombre de personnes en grande précarité refuseraient mon intervention si je n'avais pas établi un premier lien avec elles lors des permanences que je tiens dans des centres d'accueil de jour et de nuit, explique Olivier Buisine, infirmier de psychiatrie de l'équipe mobile précarité psychiatrie de la Drôme. Pour nouer un premier contact, je ne m'appuie souvent que sur le soin somatique. Parfois, si la personne est d'accord pour me rencontrer après qu'un travailleur social lui a parlé de moi, nous y allons ensemble. En revanche, si je juge que la personne est en danger, ou qu'elle est décrite comme telle, j'y vais seul. Comme ce jour où j'ai reçu plusieurs appels pour un SDF qui tenait des propos délirants. Dès que j'arrivais, il s'arrêtait. Manifestement, il était en détresse psychique, mais une hospitalisation d'office aurait conforté son sentiment de persécution. On travaille dans une certaine urgence, à nous de prendre une décision. Dans mon travail, le questionnement éthique est permanent. »