TCA
Cours
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) de type anorexie et boulimie touchent un nombre croissant de personnes, essentiellement des femmes. Ces pathologies, graves, peuvent aller jusqu'au décès des patients. Des établissements hospitaliers proposent une prise en charge spécifique, construite autour d'un contrat de soins, comme à la clinique de la Villa Montsouris. Ce cours et les articles qui suivent ont été rédigés par des membres de cette même clinique.
Les sociétés modernes génèrent de plus en plus de troubles du comportement alimentaire. L'individu est amené à se préoccuper de son apparence plutôt que de prendre soin de lui-même et d'avoir conscience de qui il est. Au travers des médias et de la mode, « l'idéal » minceur qui est prôné ne correspond en rien à la « norme biologique ». La minceur symbolise la réussite, la maîtrise, la force, tandis que l'embonpoint est très souvent associé à un manque de volonté, à une forme de faiblesse psychique, voire intellectuelle. Le marché de la minceur est partout. Les magazines, qu'ils soient féminins ou masculins, regorgent de « régimes miracles » et de conseils « beauté » pour raffermir, affiner, et sculpter notre corps... Il serait grand temps de réagir et de parler davantage en termes de santé plutôt qu'en termes d'image. L'impact de tout cela sur les adultes en devenir est fort, le comportement alimentaire de nombreux adolescents s'en trouvant modifié et perturbé. Pour certains, ce sera le début de réels troubles conduisant à un état pathologique du type TCA. Nous traiterons des troubles alimentaires rencontrés chez les personnes que l'on prend en charge dans les services spécialisés : l'anorexie (de type restrictive ou à de type boulimique) et la boulimie.
Elle se manifeste par différents symptômes :
- un amaigrissement ;
- une modification du comportement alimentaire ;
- une peur intense de devenir gros ;
- une altération de la perception du corps, un déni des troubles ;
- une aménorrhée ;
- un refus de maintenir son poids au-dessus d'un IMC 17,5, la personne pouvant avoir un IMC inférieur à 13.
Les formes restrictives :
- restrictions quantitatives : diminution des portions, stockage ou dissimulation de la nourriture ;
- restrictions qualitatives : élimination de certaines catégories d'aliments ;
- apparition d'un végétarisme plus ou moins justifié ;
- stratégie de contrôle de poids (hyperactivité physique) ;
- potomanie ;
- mérycisme ;
- régurgitations ;
- restrictions hydriques ;
- consommation excessive d'épices ou de condiments.
Les formes boulimiques :
Elles se caractérisent par l'absorption de grandes quantités de nourriture de façon compulsive, suivie d'une période de culpabilité, avec comportements compensatoires : vomissements, prise de laxatifs et de diurétiques.
Elle se traduit par une consommation exagérée d'aliments ingérés de façon impulsive et irrésistible avec un sentiment de perte de contrôle au cours d'accès boulimiques tout en gardant un poids dans la norme, ou proche de la norme (voir encadré IMC p IV).
Caractéristiques de l'accès boulimique :
- ingurgitation massive et frénétique d'une grande quantité de nourriture, rapide, en cachette, indépendamment des repas, souvent suivie de vomissements provoqués, ± automatiques ;
- état de torpeur avec culpabilité ;
- conscience du trouble mais poursuite de la conduite ;
- fréquence variable : 2 crises par semaine à 15 crises par jour.
Ces troubles surviennent généralement chez des adolescents et des adultes jeunes, mais ils ont également un potentiel d'évolution chronique. Des femmes adultes souffrant d'anorexie depuis de nombreuses années peuvent voir leur état s'aggraver, et entrer dans le dispositif de santé hospitalier. Les troubles alimentaires de type anorexie mentale et/ou boulimie ont, en outre, un potentiel de morbidité et de mortalité très élevé.
Pour nombre de personnes concernées, la demande de soins émane de l'entourage, du médecin traitant, inquiet de la dégradation de l'état physique, ou de la personne elle-même. L'hospitalisation en service spécialisé est possible après avoir évalué le stade de gravité de la maladie, soit lors d'une consultation en ville, soit via un service d'urgence. Afin d'assurer la prise en charge, plusieurs établissements se sont spécialisés en créant un service spécifique. Ces établissements publics ou privés ont construit des projets et constitué des équipes pluridisciplinaires : médecin psychiatre, diététicienne, infirmière, aide-soignante, psychologue, psychomotricienne et, souvent, art thérapeute, formés aux soins spécifiques auprès de ces patients.
Les principaux programmes de traitement en hospitalisation s'articulent autour d'un contrat de soins. Celui-ci constitue, en dehors du règlement intérieur de l'établissement, la référence pour tous les acteurs tout au long de l'hospitalisation et permet d'appliquer les techniques comportementales afin de déconditionner les comportements inadaptés les plus ancrés. Ce contrat est un outil de soins, il doit être connu et son utilité comprise par le patient avant son hospitalisation, ainsi que par sa famille ou son entourage proche (voir la fiche p. XI).
La prise en charge est mixte : psychiatrique et somatique. Dans le cas de l'anorexie mentale, l'urgence somatique, en lien avec la dénutrition et ses complications avec possible mise en jeu du pronostic vital, doit être considérée. Dans le cas des conduites boulimiques, ce sont les troubles métaboliques qu'il faut rechercher (hypaliémie en particulier). L'évaluation somatique se fait à l'aide d'indicateurs cliniques et biologiques. Les patients doivent être interrogés sur l'occurence des vomissements et/ou la prise de laxatifs, même si le poids est normal ou proche de la normale. Ces comportements entraînent une hypaliémie qui doit être traitée au-dessous de 3mEq/1 en raison du risque de troubles du rythme cardiaque.
Les crises boulimiques peuvent prendre une forme qualifiée « d'état de mal » boulimique ou crises de gloutonnerie interrompues par les vomissements, se succédant toute la journée. C'est cela qui conduit la patiente à un état d'épuisement physique et psychique avec un risque suicidaire important qui impose souvent une hospitalisation pour casser ce cycle infernal.
L'hospitalisation permet une mise à distance avec la famille épuisée et impuissante. En effet, cette dernière est confrontée, pour les patientes anorexiques, à la maigreur et au refus de manger, qui est vécu de façon agressive. Dans le cas de la boulimie, ce qui déstabilise la famille, ce sont les conduites alimentaires, les vomissements, les vols de nourriture.
La stratégie thérapeutique future va dépendre de différents indicateurs :
- l'indice de masse corporelle est calculé en pesant et mesurant le sujet. Il ne faut pas se contenter de valeurs déclaratives ;
- la fatigue signe un épuisement physique ;
- la présence de vomissements doit faire l'objet d'un ionogramme urgent à la recherche d'une hypaliémie ;
- la prise de laxatifs est également sous- estimée par les patients et peut atteindre plusieurs dizaines de comprimés de laxatifs irritants ou préparations aux plantes par jour ;
- une prise chronique de laxatifs est à l'origine d'une hypaliémie mais aussi de troubles fonctionnels digestifs (constipation sévère à l'arrêt) et d'une atteinte de la muqueuse colique ;
- l'usage déviant des diurétiques est très dangereux, avec pour conséquences une déshydratation et un risque d'insuffisance rénale pas toujours réversible ;
- une potomanie, qui se caractérise par la consommation excessive de boissons non alcoolisées, est fréquemment associée aux troubles alimentaires, et est utilisée par les patientes comme une stratégie pour couper la sensation de faim, mais devient aussi un comportement autonome avec un besoin irrépressible d'ingérer plusieurs litres de liquide par jour (eau, thé...). Ce comportement entraîne fréquemment des troubles métaboliques, en particulier une hyponatrémie, et peut induire convulsions ou coma ;
- la rapidité de la perte de poids est un facteur de gravité lié au fait que l'organisme s'est beaucoup moins adapté à la dénutrition que dans le cas d'une évolution plus lente ou plus chronique ;
- il est nécessaire de rechercher d'autres troubles des conduites tels que : prise d'alcool, achats compulsifs, kleptomanie associée à la boulimie, troubles de la personnalité, troubles dépressifs, tentatives de suicide ou scarifications, phobie sociale ou scolaire justifiée par le comportement boulimique ;
- l'entretien psychiatrique met souvent au jour une maîtrise, un déni, une absence de liens sociaux pour l'anorexie ;
- l'aménorrhée, détectable en l'absence de traitement hormonal, doit être recherchée ;
- les troubles de l'image corporelle - les patients se voient gros, voire énormes, alors qu'ils sont très maigres - constituent un signe fort qui permet de distinguer l'anorexie mentale d'une autre cause d'amaigrissement.
Il est nécessaire de les évaluer :
- bien entendu, la cachexie avec épuisement physique conduit à une hospitalisation urgente ;
- la rapidité de l'amaigrissement est un facteur de gravité car l'organisme s'adapte moins et la décompensation est plus probable ;
- la présence d'oedèmes des membres inférieurs, de pétéchies, doit alerter, indépendamment d'un bilan biologique qui peut s'avérer normal ou peu perturbé ;
- la perturbation du bilan électrolytique et/ou hépatique. Les indications à un traitement nutritionnel sont : un IMC < 13, une hypaliémie, une cytolyse hépatique et une hypophosphorémie.
Lors du diagnostic, plusieurs associations sont à rechercher telles que boulimie/scarifications ou boulimie/conduites alcooliques.
D'autres causes de perte de poids doivent être écartées :
- les états dépressifs s'expriment essentiellement par anorexie-amaigrissement, mais sans les troubles du schéma corporel. Les autres causes de perte de poids doivent être recherchées : cancer, hémopathies, sida, maladies endocriniennes, maladies infectieuses, pauvreté ou malnutrition, grève de la faim ;
- dans les autres causes d'excès alimentaire, on peut retrouver une hyperphagie, un état maniaque, une dépression atypique (syndrome affectif saisonnier) ou l'impulsivité de la personnalité border line ;
- les vomissements dus à une affection médicale générale ou à une prise de substances émétiques ; ils sont décrits comme spontanés.
On relève :
- des troubles obsessionnels compulsifs (lavages, vérifications). Les préoccupations obsédantes concernant l'alimentation, les rituels alimentaires peuvent être exacerbés par la dénutrition, ils sont réversibles à la renutrition ;
- des troubles de l'image du corps ou dysmorphophobie, qui se présentent cliniquement comme des perceptions « subdélirantes » uniquement centrées sur le corps et le fonctionnement digestif, sans être associés à des troubles alimentaires ;
- des troubles de la personnalité avec pour conséquences des difficultés relationnelles ;
- un état dépressif ou trouble anxieux associé.
Le passage d'une forme clinique à une autre, entre anorexie et boulimie, est habituel. Environ 50 % des patients ayant présenté un épisode d'anorexie caractérisé ou fait un régime très strict, présenteront à un moment donné de leur évolution des conduites boulimiques.
- ionogramme (recherche d'une hypaliémie)
- glycémie
- phosphorémie
- bilan hépatique
- formule numération sanguine
- bilan d'hémostase
- urée, créatininémie
- examen dentaire et salivaire (dans la boulimie) : l'hypertrophie des glandes salivaires (parotides et sous-maxillaires), en dehors de la déformation du visage qu'elle entraîne, peut être douloureuse.
Avant toute prise en charge hospitalière, une évaluation complète à la fois somatique et psychiatrique est indispensable, les comportements pathologiques doivent être listés. Il faut également tenir compte des interactions familiales et de la situation sociale du patient.
L'étiologie des TCA est complexe. Des conflits précoces peuvent en être l'origine (par exemple, dans la phase orale, annale ou oedipienne du développement psychique), mais de multiples facteurs sont à considérer : l'histoire familiale, les évènements de la vie... On retrouve souvent des problématiques de faille narcissique et des difficultés à gérer les moments de prise d'indépendance.
L'enfant se construit par identification aux modèles parentaux et le fonctionnement familial peut transmettre des comportements et des traits de personnalité allant parfois jusqu'à la pathologie. Chez beaucoup de patientes anorexiques, on retrouve un fonctionnement familial trop conventionnel, rigide, une famille fermée sur elle-même, avec la peur du monde extérieur et dans l'évitement du conflit. (Delvenne 2000, voir Biblio p. X). Pour des patientes boulimiques, c'est plutôt un fonctionnement familial avec des épisodes de rupture dans la communication, un manque de contrôle, et parfois même de la violence et/ou de l'impulsivité.
D'un point de vue systémique, le symptôme alimentaire pourrait être une réponse à un mode de fonctionnement familial pathologique (par exemple, une famille où les rôles sont inversés).
Il convient d'aborder cette question avec prudence et mesure, car, s'il existe des perturbations pathologiques dans le lien mère-fille - mère ayant une difficulté à répondre de manière adaptée aux besoins de son enfant -, il ne s'agit pas d'être injuste, culpabilisant et accusateur face à la souffrance de ces mères si souvent pointées du doigt quand on parle d'anorexie. Si l'enfant s'identifie à ses parents, à sa famille, ce processus est particulièrement fort « de fils à père » et « de fille à mère ». On s'intéresse plus particulièrement au lien mère-fille en regard de la prévalence nettement féminine de l'anorexie et de la boulimie. Mère et fille fusionnent alors dans un même bloc narcissique, la séparation nécessaire au fil du développement et des prises d'autonomie de l'enfant peut s'en trouver entravée.
À l'adolescence, les pulsions instinctuelles font irruption dans le psychisme et le corps. Dans l'anorexie, l'adolescente peut s'en défendre en y opposant des interdits : le corps et ses besoins vécus comme méprisables sont rejetés. Entre l'esprit et le corps, le bon et le mauvais sont clivés (A. Freud, 1949, voir Biblio p. X). Dans l'anorexie et la boulimie, les changements à la puberté et la demande psychosociale induisent une préoccupation sur la silhouette, le poids. Les tentatives excessives pour s'approcher d'un corps idéal perturbent la relation au corps, investi dans un désir de maîtrise. Les pratiques sexuelles de plus en plus précoces confrontent les adolescents à des transformations rapides qui ne peuvent pas toujours être assumées physiquement.
L'anorexie comme la boulimie marquent l'échec du travail psychique pour atteindre l'indépendance et prendre de réelles responsabilités dans un contrôle de pression interne et sociale. Cet échec peut aboutir à une fuite vers la régression. Les adolescents utilisent plus le comportement que l'élaboration psychique comme stratégie de résolution des conflits, la répétition de ces comportements peut couper l'adolescent des échanges relationnels dynamiques.
Au niveau psychanalytique, l'acte de manger symbolise une consommation illustrative d'autres désirs : la sexualité et la haine. En mangeant, on ingère ce qu'on aime et on le détruit. La punition est infligée par l'empoisonnement, le grossissement, la perte du contrôle, la graisse est perçue comme une souillure, l'obésité est associée à la laideur ou à la perte de valeur (Brusset, 1998, voir Biblio p. X). Le corps devient, dans l'anorexie mentale, un lieu de projection des conflits autrement ingérables, un moyen de s'affirmer par rapport aux autres et à la famille, de faire pression sur autrui. La personne souffrant d'anorexie mentale recherche une identité et une singularité que lui fournit sa maladie en la légitimant par un sentiment de valorisation. L'anorexie représente une solution aux conflits et donne un sentiment de supériorité, voire de toute-puissance par le contrôle et un sentiment d'autonomie (Brusset, 1998, ). Dans l'anorexie, l'image réelle du corps est déniée, comme la maladie elle-même, la perception du volume corporel est surestimée. Dans l'histoire des patientes souffrant de boulimie, on retrouve des épisodes abandonniques, une fragilité dans les limites, des assises narcissiques et une grande dépendance à l'égard des sources externes de valorisation. Des perceptions de dégoût de soi et de dévalorisation sont fréquentes après les crises et persistent entre elles.
Dans l'anorexie comme dans la boulimie, il y a un trouble de la conscience interoceptive, c'est-à-dire une difficulté à percevoir et à décoder les signaux du corps.
Dans le cas de l'anorexie, les premières restrictions semblent résoudre magiquement les conflits et affects qu'ils engendrent. Ainsi, l'anorexie peut être vue comme une stratégie défensive dans la mesure où elle semble résoudre et apaiser les conflits par une source de plaisir ou de gratification où la personne se sent en dehors d'elle- même (comme le toxicomane). La logique d'autodestruction est comparable, il y a dépendance psychique et somatique, et un déni du danger. La conduite déviante s'automatise et capte peu à peu les autres investissements (Jeammet, 1993, voir Biblio p. X).
S'agissant de la boulimie, Fénichel (1945), cité par Delvenne, en parle comme d'une « toxicomanie sans drogue », le désir ne pouvant se poser que sur la nourriture. Dans leur relationnel, les boulimiques alternent avidité et rejet, oscillant entre le tout et le rien, ce qui les empêche de maintenir un fonctionnement stable.
Les entretiens individuels se font sur prescription du médecin : l'objectif est d'amorcer un travail de psychothérapie ou de le poursuivre en permettant de donner du sens aux symptômes. Le psychologue travaille avec la patiente sur l'acceptation des émotions négatives et sur la mise en mots du vécu et des émotions. Il évalue peu à peu son fonctionnement psychique et la possibilité de mener une thérapie en fonction de la demande, de la problématique, des défenses et des ressources. Il faut évidemment tenir compte de l'état physique de la patiente et des répercussions cognitives chez une personne souffrant de dénutrition majeure : la concentration, la vigilance et la mémorisation sont perturbées. Ces troubles sont transitoires et disparaîtront au fur et à mesure de la reprise de poids.
Le psychologue participe aussi avec l'équipe à l'évaluation de l'état psychique de la patiente. Cela passant par l'identification et l'évaluation de troubles comme les préoccupations alimentaires et leur l'impact sur le comportement. La pensée est souvent parasitée par des idées obsédantes sur le poids et la nourriture.
La prise en charge psychologique au niveau groupal permet aux patientes de confronter leur vécu de la maladie aux expériences des autres. Cette réflexion étaye le travail psychologique individuel. Pour chaque patiente, le groupe donne une dimension resocialisante, et le fait de prendre sa place au sein de ce groupe participe à l'affirmation de soi.
Le psychologue participe enfin aux staffs - il peut donner des éclairages théoriques pour contribuer à la compréhension de problématiques difficiles - et, également, à l'élaboration du projet de soins en équipe.
Les objectifs principaux de la prise en charge diététique des TCA sont de traiter la dénutrition s'il y a lieu, et de ramener les personnes à un IMC dans la norme avec une alimentation adaptée.
Quel que soit le diagnostic médical d'anorexie restrictive, d'anorexie-boulimie ou de boulimie, le traitement prioritaire est de remédier à la dénutrition. Due à la restriction alimentaire ou aux vomissements, elle a engendré bon nombre de carences en vitamines et minéraux impliqués dans le métabolisme des nutriments. L'absorption rapide d'une trop grande quantité de nutriments peut induire des défaillances multiviscérales, notamment ce que l'on appelle le syndrome de renutrition inapproprié (voir encadré ci-contre).
Un régime sans sel strict, médicalement prescrit, sera également nécessaire si le patient a un IMC inférieur ou égal à 13, en lien avec le risque accru d'oedème.
Afin de définir une ration alimentaire adaptée aux caractéristiques physiques et biologiques de la patiente, un bilan est réalisé au cours du premier entretien diététique. Le but est d'évaluer les ingestas (apports nutritionnels), d'un point de vue quantitatif et qualitatif, et de repérer les évitements alimentaires. Pour les personnes souffrant de boulimie, on recense les aliments « déclencheurs » de leurs compulsions. Cela permet d'établir un « protocole alimentaire », c'est- à-dire une ration adaptée à l'état nutritionnel de la personne, la moins anxiogène possible. Pour cela, dans un premier temps, il faut veiller à respecter les évitements alimentaires et l'exclusion des aliments « déclencheurs » de compulsion.
Pour atteindre l'objectif de renutrition, la diététicienne dispose de l'alimentation classique, de compléments diététiques oraux et, selon les prescriptions médicales, de la nutrition entérale.
Les aliments. Le protocole établi en première intention comporte souvent des aliments de base, des produits non élaborés, en plus ou moins petite quantité. En effet, la représentation des patientes par rapport à l'alimentation peut généralement se résumer ainsi : « Manger fait grossir, en particulier les sucres et les graisses. » L'exclusion alimentaire se caractérise par l'impossibilité pour la patiente de manger une ou plusieurs catégories d'aliments. Ces exclusions sont généralement basées sur des règles diététiques reconnues comme, par exemple, « la consommation exces- sive de graisses animales entraîne un risque accru d'avoir du cholestérol et favorise l'apparition des maladies cardio-vasculaires », qui sont alors détournées de leur utilisation initiale.
C'est sous couvert de justifications « scientifiques » et avec des applications excessives, que débute la restriction qui, par exemple, peut commencer par la simple diminution de la quantité de beurre au petit-déjeuner, et s'acheminera vers un régime totalement sans graisse, où les aliments sont cuits à la vapeur et les yaourts choisis, à 0 %.
Les aliments exclus sont ceux considérés comme trop « riches » ou évoquant, parfois à tort, une charge calorique importante : les graisses, mais aussi les poissons dits « gras », comme le saumon qui, même cuit à la vapeur, est peu apprécié ; tous les sucres rapides en morceaux ou en poudre, les pâtisseries, les bonbons, mais aussi les carottes... ; les sucres complexes « lents ». La texture est parfois en cause, la banane, pâteuse donc « lourde », ou la couleur. L'assiette de l'anorexique est constituée de vert et de blanc : salade, légumes verts vapeur, poisson « blanc », fromage blanc, pomme verte.
À l'intérieur de chaque catégorie d'aliments se crée une nouvelle hiérarchisation. Beaucoup de patientes anorexiques se disent végétariennes, ou excluent toutes les viandes : les viandes rouges en premier lieu, le porc et les viandes blanches ensuite, pour ne conserver que le poisson. Ces exclusions s'accompagnent de préférences marquées pour les aliments acides : citrons, kiwis, pommes « granny ».
Les compléments diététiques oraux.
Ils sont prescrits en complément de l'alimentation orale ou entérale, et ne sont pas « systématiques ». Ces compléments sont hypercaloriques et hyperprotéinés, et se présentent sous forme de crème ou de boisson lactée. Ils sont le plus souvent proposés lors de collation.
L'alimentation entérale. C'est une prescription médicale. Elle peut-être partielle ou exclusive. Elle n'est pas prescrite de façon systématique, mais elle tient compte de l'état psychique et somatique de la patiente. L'alimentation entérale est dispensée par sonde naso-gastrique. On utilise, en début de réalimentation, des produits isocaloriques (1 ml - 1 calorie) afin de favoriser la normalisation de la vidange gastrique, ralentie par la dénutrition. Pour éviter les intolérances digestives (nausées, diarrhées), on commence avec un faible débit. La mise en place de l'alimentation entérale, exclusive ou non, amorce la renutrition. L'apport d'énergie est en continu, cela limite les sensations de « lourdeurs digestives », les sensations de faim, donc les compulsions. De plus, la patiente n'est pas confrontée visuellement à la nourriture ni à son mode d'ingestion classique.
Le sevrage consiste à tout mettre en oeuvre pour éviter et supprimer ces comportements qui génèrent une extrême souffrance psychologique chez les patientes. En pratique, les sanitaires seront fermés et la patiente n'aura pas libre accès à la nourriture. La présence des soignants est importante, elle permet d'accompagner les moments de grande angoisse (entretien infirmier selon les besoins, aidant à la verbalisation des ressentis). Quand cela est nécessaire, on met en place une alimentation entérale exclusive.
C'est un point fondamental de la prise en charge nutritionnelle. Il ne s'agit pas uniquement, pour guérir, de retrouver un poids normal, il faut aussi revenir à une alimentation qualitativement et quantitativement suffisante et variée, qui ne soit plus synonyme d'angoisse.
Au cours de l'hospitalisation, le plus grand nombre possible d'aliments et de plats doivent être réintroduits. On commence avec les groupes d'aliments de base (fruits et légumes, produits laitiers, produits céréaliers et légumineuses, produits carnés, matières grasses, boisson), pour réintroduire par la suite des produits élaborés, par exemple de la tarte salée ou des lasagnes... Le rôle de la diététicienne sera, à ce moment-là, d'accompagner les patientes en leur donnant des repères quant au fonctionnement de leur organisme et de ses besoins, ainsi qu'à la façon dont tel ou tel nutriment est utilisé.
En dehors des entretiens individuels, la diététicienne participe aux repas thérapeutiques et aux staffs.
L'exercice infirmier, dans tout service, demande la compréhension du projet, une adhésion au projet de soins, une implication et une réflexion sur sa pratique. Dans les services assurant la prise en charge de personnes souffrant de TCA, cela est primordial. L'infirmier est le professionnel qui assure, avec l'aide-soignante, une présence continue sur 24 heures et participe activement à la continuité des soins.
Garant du respect du contrat thérapeutique (voir p. XI), il reste au plus près des patientes. Les soins infirmiers couvrent les deux versants des troubles : psychiques et somatiques. L'infirmier contribue à la prise en charge alimentaire en assurant le suivi des protocoles, la surveillance de ce qui est pris ou non pris, il organise et participe aux collations et a une place importante lors des repas thérapeutiques (voir p. XV) qu'il co-anime souvent avec la diététicienne du service. Son rôle est donc important et, parfois, difficile à tenir. Les patientes anorexiques et anorexiques-boulimiques ont besoin de tout contrôler. En acceptant l'hospitalisation, elles perdent ce qui sous-tend leur trouble : la maîtrise.
Ce besoin de maîtrise durant l'hospitalisation va se traduire par des comportements de vérification du travail des soignants, par l'envahissement physique des espaces de soins ainsi que par le pointage de chaque dysfonctionnement...
La dynamique du groupe de patients est forte, elle participe aussi à ce « contrôle » du travail des soignants. L'infirmier, pas toujours formé à la gestion de groupe, peut parfois se trouver en difficulté et être « dépassé » par la situation. L'ensemble de ces comportements peut être mal vécu, voire vécu comme agressif par les soignants s'ils ne mettent pas de mots dessus et n'en donnent pas un sens clinique. Le travail d'équipe propose un temps et un espace de parole. L'expression du personnel permet le réajustement et le positionnement de chaque soignant et garantit la bienveillance nécessaire dans un service spécifique de la prise en charge de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Tout en étant à l'écoute de ce qui est dit, l'infirmier, par son attitude et son professionnalisme, rappelle aux patientes leur statut de personne soignée quand cela est nécessaire.
Un travail personnel sur la juste distance thérapeutique ainsi que sur ses propres représentations de la normalité du corps doit obligatoirement être mené. Il n'empêche qu'un jeune diplômé en soins infirmiers peut trouver sa place de soignant de façon pertinente dans un service spécialisé en TCA dès lors qu'il s'y implique réellement et qu'il est encadré par une équipe solide sur laquelle il peut s'appuyer pour éclairer son questionnement.
IMC = BMI = poids en kg / taille au carré en mètres
- 18 < IMC < 25 : norme pondérale
- IMC < 18 : maigreur
- IMC < 13 : dénutrition majeure
- 25 < IMC < 30 : surcharge pondérale
- 30 < IMC < 35 : obésité modérée
- 35 < IMC < 40 : obésité moyenne
- IMC > 40 : obésité sévère
Pour la dénutrition majeure IMC inférieur à 13, le risque est vital. Le risque de décès est non négligeable si l'IMC est inférieur à 11.
Les troubles des conduites alimentaires représentent une pathologie dont les déterminismes restent mal connus. Ils touchent en grande majorité la population féminine, de l'ordre de 9 cas féminins pour 1 cas masculin dans l'anorexie et de 5 cas féminins pour 1 masculin dans la boulimie.
Les données épidémiologiques pour l'anorexie sont d'une prévalence de 1 % de la population de jeunes femmes. Le taux de mortalité est de 15 à 20 % sur une catamnèse de 20 ans, selon l'étude de H. W. Hoek en 2003.
Principalement, et en fonction du bilan sanguin, le médecin prescrit du phosphore, du potassium du calcium, de la vitamine D.
Un traitement anti-dépresseur ainsi qu'un traitement anxiolytique sont possibles mais non systématiques.
Le syndrome de renutrition inappropriée - ou refeeding syndrome - est un ensemble d'anomalies métaboliques et physiologiques survenant lors du début de la renutrition de malades sévèrement dénutris. Les signes sont multiples, principalement cardio-vasculaires (troubles du rythme et de la conduction, mort subite, insuffisance cardiaque) et neurologiques (convulsions, confusion, paresthésies), mais aussi digestifs, hématologiques, rénaux et métaboliques. La prévention repose sur la supplémentation systématique en phosphore en début de renutrition et sur une surveillance biologique régulière. La réalimentation doit être progressive : la ration journalière en apport calorique est inférieure à 1 000 calories, elle est toujours précédée ou accompagnée d'une supplémentation en vitamines et minéraux, prescrite par le médecin. Pour être plus explicite, si le bilan hépatique est normal, la ration peut apporter 30 à 40 calories par kilo et par jour ; si le bilan hépatique est perturbé, la ration sera, pour commencer, d'un apport inférieur ou égal à 15 calories par kilo et par jour.
- Le moi et les mécanismes de défense, A. Freud, 1949.
- Psychopathologie de l'anorexie mentale, B. Brusset, Dunod, 1998.
- Quand manger n'est plus manger, V. Delvenne, 2000. Revue Prisme n° 32.
- L'énigme de l'anorexie : la cage dorée, H. Bruch, 1983, PUF.
- Le jeune et la purification, B. Brusset, 1994. In : Revue Nervure N° 7.
- L'approche psychanalytique des troubles des conduites alimentaires, P. Jeammet, 1993. In : Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.
- Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, de Philippe Jeammet, 2004.
- Anorexie, boulimie et autres troubles du comportement alimentaire, de Daniel Rigaud, éd. Les Essentiels Milan, 2002.
- Faire face à l'anorexie, une démarche efficace pour guérir, de A. Perroud, éd. Retz, 2009.