L'Infirmière Magazine n° 260 du 01/05/2010

 

Suicides en prison

Questions à

Depuis le début de l'année, en France, 23 détenus se sont donné la mort. Retour, avec Luc Massardier, psychiatre, sur ce que certains praticiens qualifient de « mal français ».

Le nombre de suicides en prison croît d'année en année. Qu'en est-il dans le détail ?

Le taux moyen de suicides dans les prisons françaises est passé de 5 pour 10 000 détenus dans les années 1960 à 20 pour 10 000 actuellement, soit le taux le plus élevé d'Europe de l'Ouest. Et les chiffres grimpent : 96 suicides en 2007, 115 en 2008, 122 en 2009, selon l'Observatoire international des prisons. Il y a sept fois plus de suicides en prison que dans la population générale.

Plus de la moitié d'entre eux concernent des prévenus en attente de jugement, et ont lieu dans les semaines suivant leur incarcération. Et le taux de suicide en isolement au quartier disciplinaire est sept fois plus important qu'en cellule ordinaire.

Y a-t-il une fragilité marquée des détenus ?

Il existe une sur-représentation de personnes souffrant de troubles psychiatriques en prison. Une récente étude de la Direction générale de la santé évoque 40 % de dépressions, 33 % d'anxiétés généralisées, 7 % de schizophrénies et 7 % de psychoses chroniques chez les détenus. Plus du tiers d'entre eux souffrent aussi d'addictions.

Reste que le suicide, expression aiguë d'une souffrance individuelle, n'est pas qu'un problème sanitaire qu'il faudrait aborder sous le seul prisme de la pathologie psychiatrique. Le fort taux de suicide en milieu carcéral est aussi une manifestation des problèmes structurels de la prison.

Vous évoquez la prison comme un « milieu suicidogène ». Qu'entendez-vous par là ?

Les facteurs iatrogènes majorant le risque suicidaire en prison sont multiples : vétusté des locaux ; manque de personnel, de structures pour les primo-arrivants, d'ateliers de travail ; surpopulation carcérale, synonyme de manque d'intimité et de violence accrue entre détenus. Actuellement, avec plus de 60 000 détenus pour 54 988 places, la France a la densité carcérale la plus élevée d'Europe.

À cet égard, quel regard portez-vous sur la loi pénitentiaire adoptée l'été dernier ?

Malheureusement, l'essentiel des mesures annoncées sont des gadgets qui ne régleront rien. On a surtout parlé de la généralisation de « kits de protection » pour les détenus fragiles : matelas anti-feu, draps indéchirables et pyjamas en papier à usage unique pour éviter les pendaisons, moyen en effet utilisé dans 90 % des tentatives de suicide. Bref, on s'attelle davantage aux moyens qu'à la cause.

Qu'en est-il sur le terrain ?

Au niveau des établissements, il y a un vrai souci de repérage et de suivi des prisonniers fragiles, et les moyens pour y faire face sont dérisoires. Surveillants, soignants, éducateurs, assistantes sociales sont tous débordés. Ici ou là, cependant, on note quelques progrès. Pour tenter de parer au choc de l'incarcération, des « réunions entrants », rassemblant tous les intervenants, existent dans nombre d'établissements. La formation des personnels pénitentiaires et des soignants au repérage des détenus fragiles s'améliore elle aussi. Mais on est loin du compte. D'autant que les surveillants ne sont pas assez nombreux. Tout comme le personnel soignant, médecins, infirmières...

Dans ces conditions, quelle place pour le soin en prison ? Et quel rôle pour les infirmiers ?

Il y a un manque cruel de soignants en prison. Schématiquement, les soins, aujourd'hui indépendants du ministère de la Justice, y sont dispensés par deux structures : les SMPR (service médico- psychologique régional) assurent les soins psychiatriques, et les UCSA (unité de consultations et de soins ambulatoires) prennent en charge les soins généraux.

Il existe 189 UCSA, une par établissement, et 26 SMPR, situés dans les prisons les plus grandes, la couverture psychiatrique étant, ailleurs, assurée par les hôpitaux de rattachement. Selon les prisons, et selon les moyens des hôpitaux de rattachement, les possibilités de soins apparaissent donc comme très variables.

Dans ce contexte, le rôle des infirmières est crucial, en matière de soins généraux comme dans le repérage et le suivi des détenus fragiles. Cela implique, naturellement, une certaine maturité professionnelle. Mais le métier est riche : distribution de médicaments ; animation d'ateliers thérapeutiques, de groupes de parole... Les infirmières exercent, en prison, leur rôle soignant dans toutes ses dimensions, préventive, curative, éducative, relationnelle.

Luc Massardier Psychiatre à la prison de la Santé à Paris.

Luc Massardier intervient dans le milieu carcéral depuis 1994. Après avoir été responsable du SMPR de Nice, il travaille depuis 2001 à la prison de la Santé à Paris. Il a été vice-président de l'ASPMP, l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, et s'est intéressé, notamment, au suivi des pères incestueux. Il a publié Questions d'inceste, en collaboration avec Patrick Ayoun et Ginette Raimbault (éd. Odile Jacob, 2005).