L'Infirmière Magazine n° 261 du 01/06/2010

 

Anton Lacalle

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Grâce à sa spécialité d'infirmier social, acquise en Belgique, Anton Lacalle coordonne aujourd'hui une résidence d'accueil, à Marseille, destinée à des patients SDF souffrant de troubles psychiatriques.

Pas de seringue. Pas de blouse blanche non plus... Dans l'établissement où il exerce aujourd'hui, Anton Lacalle n'a aucun des principaux attributs d'un infirmier. Comme il le déclare lui-même, à chaque fois qu'il passe la porte du Marabout, une résidence d'accueil dédiée aux malades psychiatriques sans logis, il lui faut « mettre en sourdine » l'infirmier qui est en lui. Il ne doit pas empiéter sur le rôle des deux autres infirmières qui interviennent dans ce lieu de vie thérapeutique. Dans cette institution sanitaire plutôt spéciale, financée par le ministère de la Santé et dont le concept reste encore à l'état expérimental, il a en effet la fonction de travailleur social. Embauché en tant que référent d'accueil, il est chargé de coordonner le quotidien des treize patients hébergés sur place. S'il travaille ici, c'est d'abord parce qu'il a choisi de vivre dans le Sud, à Marseille, pour suivre son conjoint qui achève ses études dans l'académie. Mais cela s'explique aussi par son projet professionnel, dans lequel soin et accompagnement social s'entremêlent en permanence.

Double culture

D'où lui vient cette envie de franchir les barrières qui partagent ces deux secteurs professionnels, si voisins et si différents à la fois ? Peut-être de sa double culture, à cheval entre les systèmes français et belge... Né en France, à Épinay-sur-Seine, il y a trente ans, il a grandi dans le giron de sa mère flamande. Paradoxalement, sa langue maternelle a été le français. Mais, dès l'âge de 14 ans, il rattrape son retard en néerlandais lorsque sa famille s'installe à Anvers, située dans la partie flamande de la Belgique. Dès lors, il poursuit ses études dans le plat pays. Tiraillé entre le souhait d'embrasser une carrière d'infirmier et celui de devenir assistant social, il finit par choisir la première option. Probablement à cause du « côté tactile du métier ». Sans doute aussi en raison de sa courte expérience dans l'équivalent d'un d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), lors d'une mission effectuée durant l'été, à la fin du lycée.

« J'ai travaillé auprès de personnes atteintes de démences, mais ça ne m'a pas du tout fait peur, se souvient-il. Je faisais un peu fonction d'aide-soignant. » Aussi, lorsque vient l'heure d'entrer dans le supérieur, il ne doute plus. L'école d'infirmiers semble répondre à ses attentes, d'autant qu'en Belgique, « il n'y a pas de concours d'entrée à passer ».

Il démarre sa formation et apprend alors les bases, comme la physiopathologie, le droit et l'éthique, l'anatomie. Les cours se font en néerlandais, « mais il y a beaucoup de mots latins. De plus, je parle français depuis la naissance. De temps en temps, il m'arrivait de chercher à traduire certains termes en français », commente Anton. De quoi faciliter plus tard son retour dans l'Hexagone. C'est en deuxième année qu'il commence à se spécialiser. Cinq voies s'offrent à lui. Il écarte les filières d'infirmiers gériatrique, pédiatrique, psychiatrique et hospitalier. Ce dernier étant « plutôt orienté vers les soins techniques comme la réa ou les urgences », décrit Anton. Reste l'option d'infirmier social. Un Ovni en France...

Mise en avant du relationnel

Ce métier hybride, placé à la croisée du sanitaire et du social, suscite l'intérêt de l'étudiant. « Etant donné mes hésitations à la fin du lycée, c'était complètement adapté à mes objectifs, explique-t-il. L'infirmier social prodigue à la fois des soins et un accompagnement social. Il peut remplir un formulaire de demande d'aide, mais il est aussi habilité à dispenser des formations de prévention en santé. » En somme, sa principale qualité réside dans le relationnel qu'il noue avec ses patients.

En juin 2002, Anton obtient son diplôme. Il débute sa carrière dans un service de protection maternelle et infantile (PMI) dans un quartier populaire d'Anvers. De mémoire, Anton estime que la part des visites à domicile représente alors près de 60 % de son activité. La PMI étant particulièrement développée en Belgique, il est alors confronté à de nombreux foyers en détresse. « C'était psychologiquement très lourd », admet-il aujourd'hui. Il abandonne sa place pour « s'aérer ». D'abord en poste dans un service d'infectiologie à l'hôpital Saint-Pierre de Burxelles, il effectue ensuite de courtes missions d'intérim. Après une escapade peu concluante en Pologne, il décide de retourner sur sa terre natale, à Paris.

Retour en France

Désillusion, en 2005, lorsqu'il arrive dans la capitale de son enfance. Certes, la traduction de son diplôme ne représente qu'une formalité. Aucun examen supplémentaire ou test de langue n'est nécessaire. Il doit, en revanche, mettre de côté sa qualité d'infirmier social, qui n'existe pas ici. Il devient donc « simple » IDE. D'ailleurs, rares sont les établissements qui prêtent attention à sa double compétence. Il décroche un emploi en Ehpad où il doit gérer cinq étages avec un collègue. Il ne s'y épanouit guère, mais le poste lui offre suffisamment de temps libre pour décrocher quelques vacations dans un centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) de la Croix-Rouge.

Outre les prises de sang, il doit également assurer les entretiens individuels, en amont de ceux réalisés par le médecin. À travers ce recueil d'informations, l'écoute du patient et l'éventuel discours de prévention à délivrer, il redécouvre alors les missions auxquelles il aspire depuis l'école d'infirmiers. « Il faut s'adapter à chaque personne, voir comment amener son message. C'est cela qui me paraît particulièrement intéressant », confie-t-il. Après plusieurs déceptions dans l'Hexagone, il débusque donc enfin un poste où il peut renouer avec la profession telle qu'il l'envisage. « Comme quoi, le métier d'infirmier social n'a peut-être pas d'intitulé en France, mais il se pratique tout de même. » Manque de chance, le CDAG en question ne propose alors aucun contrat à durée indéterminée. Il le quitte donc avec regret...

Prendre en charge « l'humain »

Les expériences positives s'enchaîneront cependant. En infectiologie, à l'hôpital de Cognaq-Jay, il se sent comme un poisson dans l'eau. Son intervention ne se borne pas à la prévention, il est également chargé du suivi des patients, voire de leur « réadaptation à la vie » après les phases aigües de la maladie. De même, à l'occasion d'une nouvelle échappée en Belgique, il n'a pas de souci pour reprendre ses marques comme infirmier social dans le cadre d'une association oeuvrant auprès de garçons prostitués.

Armé de ses multiples expériences, il revient de nouveau en France. Sur les CV qu'il envoie, il jongle entre plusieurs intitulés. « Parfois je mettais éducateur, parfois infirmier, parfois travailleur social », sourit Anton. Et son profil fait mouche dans une structure marseillaise. À Habitat alternatif social (HAS), une association spécialisée dans le logement et la santé des personnes vulnérables, on apprécie sa double casquette. « Il a un vrai regard sur le travail social », observe sa chef de service. Voilà pourquoi la direction lui propose un poste au Marabout courant 2009. Parfois frustré par l'absence d'un volet purement sanitaire, il y trouve néanmoins l'occasion de s'enrichir. Au-delà de l'aspect dédié au logement, comme les demandes d'allocation personnalisée au logement (APL) pour les patients de la résidence, et de la logistique du quotidien, son travail implique une prise en charge assez particulière. « J'essaie de ne pas voir les patients en fonction de leur pathologie. Il y a suffisamment de personnel pour s'occuper de cela. Pour ma part, je tâche de m'occuper de l'humain avant tout », explique Anton. Aucune chance de s'ennuyer, entre la gestion du collectif et le suivi individuel de chaque résident du Marabout. D'autant que l'infirmier social passe près de 35 heures hebdomadaires sur place, uniquement en journée.

Pour l'heure, Anton se dit incapable de dresser un bilan de cette expérience, si ce n'est qu'il a un nouveau regard sur la psychiatrie. N'en demeure pas moins qu'à son petit niveau, il jette un pont entre le social et le sanitaire, deux secteurs encore très cloisonnés...

moments clés

- 1980 : naissance à Epinay- sur-Seine.

- 1994 : à l'âge de 14 ans, il emménage avec sa famille à Anvers (Belgique).

- 2002 : il obtient son « diplôme d'infirmier social » en Belgique, acquis au bout de trois années d'études post-bac dont deux en partie dédiées à sa spécialité.

- 2005 : il revient en France et devient IDE.

- 2009 : il est embauché comme travailleur social au Marabout, une résidence d'accueil pour malades psychiatriques sans abri.