désertification médicale
Reportage
En Picardie, un bus de prévention santé tente de pallier la désertification médicale en sillonnant les villages pour sensibiliser la population. Unique en France, cette expérimentation a débuté en septembre dernier, et va durer trois ans. En route...
Si la Thiérache, territoire le plus pauvre de l'Aisne, ne se meurt pas, elle se bat pour survivre. Prostrées dans le bocage, nombre de ses communes rurales et agricoles n'ont déjà plus d'école, plus de boulangerie, plus de poste, plus de curé et... même plus un bistrot ! Du côté de l'offre de soins de ville, le tableau n'est guère plus séduisant. « Sur mon canton, qui compte 19 villages, ne reste plus qu'un médecin pour 4 000 habitants », se désespère Michel Lefevre, conseiller général de l'Aisne et maire de Rougerie, qui dénombre 240 âmes. Une situation qui n'est pas sans conséquences sur l'état de santé de la population. Ainsi, la Picardie enregistre- t-elle une surmortalité significative par rapport à la moyenne nationale. Pour tenter de contrecarrer les effets de la désertification médicale, le Pr Guy Vallacien, chef du département d'urologie à l'Institut mutualiste Montsouris à Paris et membre du conseil scientifique et médical de la Mutualité française, a eu l'idée, voilà deux ans, d'initier un bus itinérant pour conduire des actions de prévention et de dépistage au plus près de la population.
En accord avec l'ex-ARH de Picardie, le conseil régional et les conseils départementaux, trois sites pilotes ont été choisis : la Thiérache (nord-est de l'Aisne), la Picardie maritime (nord-ouest de la Somme) et le Grand Beauvaisis (sud-ouest de l'Oise). Cible prioritaire : les communes de moins de 400 habitants n'ayant pas ou plus de médecin généraliste, volontaires pour accueillir le bus et préparer sa venue auprès des habitants. Les élus locaux doivent, en effet, s'investir pour expliquer à leurs concitoyens les objectifs de l'opération, soit par courrier, soit en organisant des réunions publiques ou en faisant du porte-à-porte. À bord du bus santé, des infirmières hospitalières et des médecins chargés de sensibiliser le grand public sur les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2, la vaccination et le dépistage des cancers du sein, du col de l'utérus et du colon. L'opération se déroule en trois temps : deux demi-journées consécutives de prévention ; le deuxième jour, si nécessaire, des prélèvements sanguins sont proposés ; et, une dizaine de jours plus tard, une demi-journée avec un médecin est prévue pour le rendu des résultats.
14 heures tapantes, le bus santé flambant neuf, garé entre l'école primaire et la mairie de Rougerie, est opérationnel. C'est le grand calme dans le centre du village, où sont blotties des maisons de briques rouges. Un habitant se montre enfin. Il confie venir par curiosité même si, dit-il, « je n'ai pas de penchant pour la prévention ». Il va en être quitte pour plus de trente minutes de consultation avec le Dr Michel Lambert et Annick Pépin, infirmière au centre hospitalier de Vervins. Poids, taille, tension, comportement alimentaire, consommation d'alcool, qualité du sommeil, dépistage du diabète... Tout y passe. « Le diabète de type 2 est de plus en plus répandu. Si on ne met pas davantage l'accent sur la prévention, d'ici à dix ans, 30 % de la population en souffrira. Déjà, on coupe plus de pieds qu'il y a quinze ans », constate le médecin. Au sortir de l'entretien, l'homme de 70 ans semble satisfait et admet qu'il serait bénéfique « de modifier deux ou trois choses de ses mauvaises habitudes... ».
C'est au tour de l'ancienne maire du village, et ex-pharmacienne, de grimper dans le bus. À presque 80 ans, elle avoue fumer trois paquets de cigarettes par jour. Mais comme elle n'a pas « du tout » l'intention de s'arrêter, difficile de lui faire entendre raison. « Essayez au moins de réduire », incite l'infirmière. Le temps s'égrène et on ne se bouscule pas au portillon de la prévention. « Il faut que le dispositif entre dans les moeurs, et pour cela, il faut du temps », avance Annick Pépin. Un quadragénaire se présente. D'emblée, sa consommation d'alcool est mise sur le tapis. L'homme estime en consommer « un petit peu. Trois à quatre litres de rosé par jour achetés en vrac », précise-t-il. « Malheureux, s'exclame le médecin, y'a pas pire que le rosé en cubi pour te bousiller le foie ! » « Le but de la prévention est de modifier les comportements. S'agissant des addictions, notamment à l'alcool, c'est un peu plus compliqué car il faut que les personnes aient déjà un peu cheminé. Mais les diffi- cultés sociales - chômage, séparation, pauvreté... - maintiennent souvent les gens dans leur dépendance. Cela dit, le simple fait d'en parler peut provoquer une prise de conscience. Un déclic qu'il faudra ensuite cultiver dans le cadre d'une prise en charge spécialisée », estime Annick Pépin. L'homme se fera également « sermonner » car il est loin d'être à jour de ses vaccins.
« D'une manière générale, le retard vaccinal est très inquiétant. Sur le secteur de l'Aisne, de la Haute-Marne et de la Marne, on note déjà une nette recrudescence des cas de coqueluche. Quant au tétanos, les gens ne sont plus protégés, alors qu'ils travaillent souvent la terre », s'inquiète le Dr Lambert.
Quelques jours plus tard, c'est à Leschelles, 285 habitants, que le bus santé stationne. Seule l'équipe a changé. Deux infirmières, Christelle Bouton (hôpital de Guise) et Véronique Mercier (hôpital du Nouvion-en-Thiérache), vont animer cette première matinée de prévention. C'est Madame le maire qui donne l'exemple : « Il faut soutenir l'initiative, et j'espère que les jeunes viendront. » Les 30/50 ans sont la cible de choix de cette expérimentation. « C'est dans cette tranche d'âge que les actions de prévention portent le plus leurs fruits à long terme », atteste Christelle Bouton. Ça tombe bien. Une jeune femme se présente. Mère depuis un an, elle devait faire une série d'examens voilà six mois, mais « le temps a passé vite... Une fois par mois, je vais chez le médecin pour ma fille, mais je ne prends pas le temps de m'occuper de moi. » Le bus reviendra demain. Ce sera, pour cette année, l'ultime campagne dans la Thiérache. C'est dans la Somme maritime qu'il est désormais attendu, où d'autres infirmières prendront le relais.