L'Infirmière Magazine n° 261 du 01/06/2010

 

médico-social

Enquête

Les lits d'accueil médicalisé prennent en charge les personnes exclues des filières de soins traditionnelles. Ils sont expérimentés par trois structures médico-sociales, où infirmières et travailleurs de service social oeuvrent main dans la main.

Au commencement étaient les « lits halte soins santé » (LHSS). Encadré par un décret (1), ce dispositif est, depuis 2005, dédié aux personnes majeures « sans domicile fixe, quelle que soit leur situation administrative, dont l'état de santé nécessite une prise en charge sanitaire et un accompagnement social », selon les termes du code de l'action sociale et des familles. La genèse de cette expérimentation s'inspire elle-même des lits infirmiers, mis sur pied par le Samusocial de Paris en 1993. Fin 2009, on comptait quelque 670 LHSS sur le territoire. D'ici à la fin 2011, 1 170 devraient être ouverts. La mission des LHSS est d'accueillir durant deux mois maximum des personnes nécessitant une prise en charge médicale et infirmière « à domicile », mais ne réclamant pas d'hospitalisation. Difficile, en effet, de soigner une grippe carabinée ou de s'en rétablir quand on vit dans la rue, ou encore, pour une infirmière, de panser dans les règles de l'art un ulcère variqueux quand le patient survit dans un abri de fortune. Concomitamment aux soins, un travail social est initié avec les personnes accueillies afin qu'au sortir des LHSS, elles aient, d'une part, recouvré des droits sociaux et, d'autre part, intégré une structure d'hébergement. Voilà pour le principe.

Face au dilemme

En réalité, en deux mois, il est quasi impossible de ravauder le parcours de vie de personnes fortement marginalisées et désocialisées, enracinées dans la grande précarité, voire la misère absolue, afin de régler administrativement et socialement leur situation. De surcroît, il était fréquent qu'au détour de maladies relativement bénignes soit découverte une pathologie sévère, au pronostic parfois sombre : cancer, troubles neurologiques, troubles psychiatriques..., requérant une présence médicale et paramédicale régulière, de jour comme de nuit. Par ailleurs, le séjour en LHSS mettait également en évidence des comportements addictifs aigus (alcool, drogue, tabac) et des pertes de l'autonomie importantes, appelant eux aussi une prise en charge pluridisciplinaire au long cours. Tous ces maux étant souvent mêlés. Bref, dans ces conditions, les équipes se trouvaient face à un dilemme : passer outre le délai réglementaire d'accueil et poursuivre la prise en charge ; ou renvoyer les personnes à la rue. Consciente des difficultés rencontrées par les équipes, mais voulant éviter que le dispositif ne soit détourné de son but initial, la Direction générale des affaires sociales (DGAS) a créé un groupe de travail et entamé une réflexion de fond. Cette dernière a abouti, il y a un an, à une nouvelle expérimentation portant sur 45 « lits d'accueil médicalisé », les LAM. Le cahier des charges de ce dispositif étant, lui, cadré par un arrêté ministériel (2). Trois structures médico-sociales ont été choisies pour tester les LAM durant trois ans : l'Association baptiste pour l'entraide et la jeunesse à Lille (Abej) (15 lits), le Samusocial de Paris (24 lits) et le Foyer aubois à Troyes (6 lits). Pour l'heure, le Samusocial, en bute à des problèmes de locaux, n'a pas encore inauguré ses LAM. Seuls l'Abej et le Foyer aubois ont ouvert les leurs l'été dernier. C'est à Troyes que nous sommes rendus pour rencontrer l'équipe soignante et l'équipe sociale qui travaillent main dans la main.

Pas de précipitation

Comme le déclare d'emblée Nathalie Mangot, infirmière coordinatrice des LAM et des LHSS, « nous ne sommes pas un hôpital pour pauvres. » On veut y croire, tant l'énergie déployée par l'ensemble des professionnels impliqués dans ce dispositif tend à gommer cette réalité. Cependant, si les LAM existent aujourd'hui, c'est bien parce que les personnes qui y sont accueillies sont exclues des filières de soins régulières. En un mot, du droit commun. Pourquoi ? C'est l'une des questions à laquelle devra répondre cette expérimentation d'ici à deux ans maintenant, et dont l'évaluation a été confiée au Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie). « Actuellement, 80 % des patients nous sont adressés par l'hôpital public. Aujourd'hui, dès que ce type de patients est stabilisé, l'hôpital ne veut plus les garder », confirme l'infirmière, qui affiche vingt-deux ans d'ancienneté dans divers services hospitaliers. Pour pallier l'effet « débarras », et ne pas travailler dans la précipitation, le Foyer aubois a mis en place une procédure d'admission. « Après tout, s'il y a urgence, c'est à l'hôpital d'assurer la prise en charge. En revanche, si une personne en grande détresse nous est adressée, par exemple par le 115, la procédure peut être accélérée », explique l'infirmière. Concrètement, un dossier confidentiel d'admission, qui comporte un volet médical rempli par un médecin hospitalier ou de ville et un volet social renseigné par le travailleur social qui envoie la personne, est étudié par l'équipe : médecin, infirmière coordinatrice, aide-soignant, référent social et directrice du pôle hébergement dont dépendent les LAM. Bien entendu, l'intrication de problèmes médicaux et sociaux est le critère qui légitime une demande de prise en charge en LAM. « La maladie aggravant la souffrance sociale », commente la coordinatrice. Mais la non-observance d'un traitement, dès lors qu'elle met en jeu la vie ou l'autonomie du patient, peut également motiver une demande d'admission pour, par exemple, mettre en place une action d'éducation thérapeutique. Après ce premier examen et si l'équipe pluridisciplinaire est d'accord pour accueillir le patient, il est reçu deux jours plus tard en entretien par le médecin et l'infirmière, puis par le référent social. L'objectif de ces rendez-vous est de cadrer avec le « patient- résident » les règles qui régissent la vie de la structure.

Espace de vie

« Si, actuellement, la moyenne d'âge des patients est de 50 ans, le plus jeune en a 28 et le plus âgé 72. Nous sommes donc très attentifs au "vivre ensemble", d'autant que la promiscuité peut être un élément compliqué à gérer pour des personnes qui vivaient seules et assez souvent dans l'isolement », développe Nathalie Mangot ; et qu'il adhère au projet social et de santé qui lui est proposé et tient compte de ses souhaits. Ensuite, un temps de réflexion de 48 heures lui est donné. Après ce laps de temps, s'il se sent prêt pour intégrer la structure, il peut y prendre ses quartiers aussi longtemps que nécessaire. Financée à 100 % par la caisse primaire d'assurance maladie, la structure perçoit 182, 70 euros de forfait journalier par personne. Une enveloppe qui englobe l'ensemble de la prise en charge, y compris les salaires du personnel.

Mitoyens de ceux des LHSS, les locaux flambant neufs des LAM du Foyer aubois forment une petite unité de soins et de vie organisée autour d'une salle commune. Ils accueillent aussi bien des hommes que des femmes. Ceux qui le peuvent prennent leur repas au restaurant du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), auquel est adossé le dispositif, les autres sur place. Les six chambres individuelles sont sans chichis, mais ne manquent de rien et sont pourvues d'une télévision. Au coeur de ce « module », l'équipe paramédicale dispose d'un bureau et d'une salle de soins. L'effectif affiche l'équivalent de 3,5 temps pleins infirmiers, 2 temps pleins d'aide-soignant et un mi-temps de travailleur social. Un médecin de ville assure cinq heures de consultation par semaine. Ici, la prise en charge globale du patient n'est pas un vain mot, elle fonde le travail de chaque professionnel. « À mon niveau, il est important que je connaisse l'état de santé de chacun et son degré d'autonomie, car c'est en fonction de cela que je vais pouvoir construire et adapter le projet de vie et de sortie », explique Antoine Livin, le référent social.

Le but ultime des LAM est que les patients n'y restent pas. « Nous mettons tout en oeuvre pour favoriser leur autonomie », insiste Béatrice Carles, infirmière hospitalière récemment arrivée. Les LAM se veulent, en effet, un tremplin vers un habitat pérenne, que ce soit en hébergement social, en famille d'accueil, en Ehpad, en maison de retraite..., voire, quand cela est possible, au domicile ou en appartement thérapeutique. Un élan pas toujours facile à impulser, même quand les patients sont solvables. « Via les aides sociales, certaines personnes offrent toutes les garanties financières, et pourtant, on peine à trouver une solution de sortie, constate Marianne Storogenko, chargée de mission santé à la DGAS et cheville ouvrière de l'expérimentation. Mon hypothèse est que ce non- accès à une prise en charge est dû à des facteurs sociaux. Parce que lorsqu'une personne est atteinte d'un syndrome de Korsakoff, on est confronté aux mêmes difficultés de sevrage, qu'elle soit aisée ou SDF. Alors, pourquoi une telle différence de traitement ? »

Le relationnel prime

En dehors des soins infirmiers « classiques », les infirmières organisent l'ensemble des soins ambulatoires de ville et à l'hôpital. « Nous avons également constitué un bon réseau de partenaires, notamment dans les domaines de la prise en charge des addictions et psychiatrique. La très grande majorité de nos patients souffrent, en effet, de névrose, de psychose, psychose délirante ou maniaco-dépressive », indique Nathalie Mangot. Avec l'accord de la personne, une infirmière l'assiste lors de certaines consultations telles la cancérologie ou la gastro-entérologie. « On s'assure ainsi d'entendre la même chose que le patient, ce qui permet, si nécessaire, de reformuler ce qui a été dit par le médecin et de lui expliquer pourquoi, par exemple, tel ou tel examen a été prescrit et comment évolue la maladie », explique Béatrice Carles. Mais une des lignes forces du travail infirmier en LAM est de focaliser son intervention sur la relation d'aide, l'écoute et l'accompagnement. « Ici, c'est une technique de soins à part entière. Ce qui prime, c'est le relationnel », commente Béatrice Carles.

« Nous avons affaire à des personnes très désocialisées, il faut, en quelque sorte, les réapprivoiser pour leur redonner confiance afin qu'elles reprennent goût à la vie et aussi le goût d'elles-mêmes. Cela passe par une grande disponibilité d'écoute de la part de l'équipe, infirmières et aides-soignantes. » Dans cet esprit, tout est propice, les soins comme le quotidien, pour tisser du lien, instaurer et soutenir les échanges. « La nuit est particulièrement favorable aux confidences et à la libération des angoisses. Il est donc essentiel, en dehors même des soins, qu'un infirmier soit présent », estime Béatrice Carles. Elle ajoute : « Les choses qui sont confiées sont parfois très lourdes à dire et aussi à entendre. Il faut savoir garder la bonne distance, même si ces instants de partage sont pour nous de grands moments d'humanité. »

Il est bien sûr trop tôt pour juger de la pertinence d'un tel dispositif, bien que certains patients, grâce au travail de fond accompli, aient déjà pu réintégrer le droit commun après leur séjour. Mais il paraît évident que cette expérimentation fera déjà tomber quelques a priori au sujet de la prise en charge de personnes en grande précarité qu'on étiquette souvent comme ingérables.

1- Décret n° 2006-556, du 17 mai 2006.

2- Arrêté du 20 mars 2009 portant agrément d'une expérimentation d'actions médico-sociales en faveur de personnes en situation de précarité.

témoignage

« APRÈS, JE NE SAIS PAS... »

Atteint du syndrome de Korsakoff sévère, Jean-Paul Momber est accueilli en LAM depuis sept mois, après un séjour de deux mois en LHSS. À 49 ans, cet ancien chauffeur poids lourd a été découvert inanimé à son domicile par des voisins. « J'ai disjoncté. C'est l'alcool, je crois », dit-il. « Ici, poursuit-il, c'est rassurant de savoir qu'on n'est pas seul. S'il arrive quelque chose, les infirmières sont toujours là. » Souffrant de troubles mnésiques importants, Jean-Paul ne se repère ni dans le temps ni dans l'espace. « Il a besoin d'être assisté pour la prise de son traitement mais également dans toutes les activités quotidiennes », explique Nathalie Mangot. En revanche, stimulé, il participe facilement aux activités proposées par l'animatrice du foyer ou par des bénévoles. « Il est aussi très aidant avec les autres patients et s'investit volontiers dans la vie de l'unité », observe l'infirmière. « Je suis ici pour me faire soigner. Après, je ne sais pas..., mais je ne veux pas finir ma vie ici », avoue-t-il. Une des pistes envisagées par l'équipe pour prendre Jean-Paul en charge est celle d'une famille d'accueil pour adulte. « Faudra-t-il encore la trouver », conclut Antoine Livin, référent social.