urgence
Conduites à tenir
Essentiellement rencontré lors de catastrophes ou en cas de guerre, le crush syndrome peut également concerner des accidentés du travail ou de la vie quotidienne. C'est une pathologie complexe dont les répercussions sont graves.
La toute première description cyto- pathologique du crush syndrome a été faite par Seigo Minami, dermatologiste, qui mena, en 1922, une étude microscopique des tissus de trois soldats allemands morts de maladie rénale, suite à des blessures, lors de la Première Guerre mondiale.
Ce même syndrome a été décrit lors des bombardements de Londres, en 1941, par Bywaters et Beall (Crush injuries with impairment of renal function BR MED J 1941, 1 : 427- 432).
Le crush syndrome est l'ensemble des manifestations systémiques consécutives à une lésion des myocytes, par une compression importante, pure, lente et prolongée des masses musculaires. Le syndrome local et général qui en résulte est à l'origine d'une insuffisance rénale myoglobinurique. Il faut distinguer deux temps :
Elle est directement liée à la compression ou à l'écrasement. Il s'ensuit un syndrome local comprenant une ischémie pure (le sang ne revient plus vers le coeur et fait collection en aval de l'écrasement), mais aussi un désordre métabolique local. Cet obstacle mécanique à la circulation sanguine entraîne une acidose liée à une libération d'ions H+ et de lactates et une hyperkaliémie liée à la libération de potassium par le sarcolemme alors que le sodium et l'eau entrent dans le myocyte, aboutissant à un oedème intracellulaire aggravant l'étirement des cellules. La faible extensibilité des aponévroses musculaires explique que le développement de l'oedème s'accompagne d'une augmentation de la pression interstitielle, comprimant les vaisseaux nourriciers et les nerfs : c'est le syndrome des loges. En outre, cette ischémie entraîne une lyse cellulaire avec libération de myoglobine. En quelques heures, on aboutit à une rhabdomyolyse. Une translocation locale bactérienne est systématique.
Cette phase provoque une hypovolémie de séquestration par le syndrome des loges, se manifestant par une instabilité hémodynamique avec hémoconcentration. Une insuffisance rénale et hépatique s'installe, le tractus gastro-intestinal est sidéré.
Il s'ensuit un passage systémique d'endotoxine, de cytines (tnf) avec apparition d'une inflammation et d'un état de choc. La libération de thromboplastine tissulaire peut provoquer, dans les cas les plus graves, une coagulatioin intracellulaire disséminée (CIVD).
La levée de compression va revasculariser tout ou partie de la zone d'aval de la lésion. C'est cette décompression qui entraîne le crush syndrome. D'un point de vue local, la levée de l'obstacle va favoriser l'aggravation de l'inflammation et l'oedème local par apport de plasma sanguin.
Au niveau général, les premiers risques sont un désamorçage de la pompe cardiaque par hypovolémie massive pouvant aboutir à un arrêt cardiaque à la levée de l'obstacle, et une anémie hémorragique. Dans le même temps, la recirculation des facteurs tissulaires tels que le potassium, les lactates, la créatinine, l'acide urique, les cytines ou la myoglobine, va majorer les insuffisances d'organe et peut aller jusqu'à provoquer un syndrome de défaillance multiviscérale :
- L'hyperkaliémie sévère et l'hypocalcémie peuvent entraîner arythmie et arrêt cardiaque précocément après la reperfusion.
- L'atteinte rénale est, sans doute, la plus pernicieuse. Elle s'installe dans les 12 à 24 heures. L'insuffisance rénale du crush syndrome est une nécrose tubulaire. Elle est due à un bas débit de perfusion médullaire par hypovolémie et à une vasoconstriction rénale afférente. L'augmentation circulante de l'urée, de la créatinine, de l'acide urique, des CPK et de la myoglobine a un effet toxique direct sur les cellules tubulaires. La libération des ions H+ entraîne une acidose métabolique facilitant la précipitation intratubulaire de la myoglobine et de l'acide urique.
- Enfin, une CIVD peut s'installer par la libération de thromboplastine. Et un choc septique, par décharge bactérienne.
- durée de compression < 4 heures ;
- compression modérée sans ischémie,
signes locaux peu étendus ;
- pas de complication générale (peu ou pas d'état de choc).
- durée de compression entre 4 et 8 heures ;
- compression intense ;
- signes locaux étendus avec ischémie ;
- complications générales (état de choc persistant).
- durée de compression > 8 heures ;
- compression très importante ;
- signes locaux majeurs ;
- complications générales.
À ces tableaux sont souvent associés d'autres traumatismes, osseux, nerveux, vasculaires, abdomino-thoraciques ou crâniens.
- Arrêter les hémorragies.
- S'assurer que la victime est encore consciente.
- Suspecter un crush syndrome.
- Dégager la tête.
- Oxygéner à débit important.
- Si possible, dégager le thorax.
- Dégager un bras.
- Répertorier les lésions associées.
- Traiter localement les lésions (pansements, attelles, collier cervical...).
- Dresser un bilan (état de conscience, FR, pouls, SaO2, TA, plaintes) qui comprendra l'heure du début de la compression connue ou supposée.
- Demander une médicalisation avant la levée de l'obstacle.
- Lutter contre l'hypothermie.
- Poser un garrot si pas de médicalisation de l'avant possible.
Avant la décompression :
- Effectuer un bilan médical indiquant l'heure du début de la compression (elle conditionnera à la fois la forme de crush syndrom et la prise en charge future à court et moyen terme).
- Monitorage (FC, ECG, FR, TA, SaO2)
- Abord vasculaire de gros calibre (18 à 14 G) avec remplissage à débit libre de NaCl 0,9 % +/- colloïdes (33 à 50 ml/kg selon les produits) ou sérum salé hypertonique (250 ml sur 30 min).
- Analgésie +/- sédation (kétamine/BZD à dose qui soit peu dépresseur respiratoire).
- Alcalinisation à 1 meq/kg bicarbonates à 14 %.
S'aider, au besoin, des amines pressives (noradrénaline) au moment de la décompression pour éviter le désamorçage de la pompe cardiaque. La pose d'un garrot se fera au cas par cas.
Après la décompression :
- Réévaluer le bilan et mettre en condition de transport.
- Compléter la thérapeutique : analgésie ; remplissage (jusqu'à 12 l/jour) ; geste de chirurgie simple type suture vasculaire ; alcalinisation par bicarbonates 14 % ; 250 ml pour chaque litre de sérum physiologique injecté.
- Rechercher des signes électriques d'hyperkaliémie (ondes T pointues, QRS allongé > 0,12 sec.) et traitement ad hoc : gluconate de Ca (10-30 ml à 10 %, IVL de 5 min. avec surveillance ECG) ; glucose hypertonique + insuline (15 UI/500 ml G30 %) et/ou kayéxalate (20-60 g par SNG).
- Prévenir l'infection par un protocole d'antibiothérapie, la désinfection et l'emballage des plaies et fractures.
- Au besoin, réaliser une sédation, compléter d'une ventilation mécanique sous contrôle de la capnie et ajuster les paramètres pour permettre l'hématose et la régulation respiratoire de l'acidose.
- Associer à l'intubation la pose d'une sonde gastrique.
- Si possible, dans un PMA, poser une sonde urinaire et quantifier la diurèse horaire.
À l'arrivée dans une structure sanitaire :
- Proposer, dès que possible, une épuration extra-rénale, seul traitement effi- cace et immédiat de l'insuffisance rénale aiguë. Elle est réalisée face à une oligoanurie < 20 ml/h et après résultat du bilan sanguin montrant une kaliémie > 6,5 mmol/l et une créatininémie > 800 mcg/l. L'EER peut se faire par hémodialyse, par dialyse péritonéale ou CEC.
- Traiter le syndrome des loges par des fasciotomies de décharges au bloc opératoire.
- Traiter les autres lésions associées.
Dans le cadre de la médecine d'urgence de tous les jours, on privilégiera un traitement conservateur. Dans les circonstances d'une catastrophe telle que celle d'Haïti, la survie du plus grand nombre se fera au prix d'amputations plus simples et plus rapides à réaliser.
Le garrot, longtemps controversé pour cause d'application douloureuse, de nécessité de surveillance rapprochée et d'aggravation des lésions systémiques, est réintroduit dans les techniques de secourisme par le biais de matériels tels les tourniquets. Les blessés de guerre évacués vers l'arrière sans possibilité de médicalisation obtiennent une meilleure survie avec la pose de garrot que sans. C'est pourquoi, dans le secourisme du quotidien, on préférera toujours médicaliser la victime avant la levée de l'obstacle ; mais, dans les situations de catastrophe ou de guerre où une médicalisation de l'avant est impossible ou minimale, on utilisera le garrot. Par ailleurs, dans les hémorragies importantes non maîtrisables, le garrot reste la solution de sauvetage.
Accident heureusement peu fréquent, et survenant dans des formes mineures au cours de notre pratique quotidienne pré-hospitalière, le crush syndrome n'en est pas moins une pathologie complexe, à répercussions graves et prolongées dans le temps. La prise en charge secouriste doit permettre d'évaluer la situation et de demander une médicalisation avant la levée de l'obstacle si nécessaire. L'infirmier s'assurera des bons gestes de secourisme en vue de confirmer la gravité, de soulager la douleur et de commencer un remplissage massif. La médicalisation sera techniquement lourde et devra anticiper les thérapeutiques à venir afin de faire préparer le plateau technique le plus approprié à la situation. Le crush syndrome est une urgence médicale qui laisse une place à chacun des intervenants, quel que soit son rôle dans la chaîne de médicalisation.
- Une étude rétrospective sur le taux de mortalité du crush syndrome a été réalisée par des médecins du département traumatologie et urgences de l'hôpital universitaire d'Osaka, suite au tremblement de terre de Kobé en 1995. Sur un total de 6 107 patients hospitalisés, 372 présentaient un crush syndrome, dont 50 (soit 13,4 % des crush syndromes) sont décédés malgré les soins pour un total de 177 morts (soit 28,2 % de tous les décès). Le crush syndrome a une survenue plutôt faible mais un taux de mortalité important.
- Néanmoins, les images du séisme d'Haïti et les reportages s'y rapportant laissent présager un nombre plus important d'amputations qu'à l'ordinaire, mais de là à supposer qu'il s'agissait pour tous de crush syndrome... À l'heure où nous écrivons ces quelques lignes, les statistiques, en cours d'élaboration, n'infirment ni ne confirment les statistiques de Kobé.
- C. Sénéchaud, Syndrome de compression, Bulletin Smur, n° 11 février 2005.
- B. Vigué, Crush syndrome et rhadomyolise, cours du D.U. 2005 : Médecine d'urgence : traumatismes graves, prise en charge des premières heures.
- F. Huot-Marchand, Syndrome d'écrasement, cours du D.U. de médecine de catastrophe de Nancy, promotion 2008-2009.
- F. Paillard, Polytraumatisme incarcéré, frankpaillard.chez-alice.fr
- ODA J., « Analysis of 372 patients with crush syndrome caused by the Hanshin-Awaji earthquake », The Journal of Trauma, 1997, vol. 42, n° 3, pp. 353-536 (36 ref.), pp. 470-476.