L'Infirmière Magazine n° 261 du 01/06/2010

 

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Pour sa première édition, le Programme hospitalier de recherche infirmière a retenu 15 projets sur plus de 80 présentés.

Les équipes n'ont eu que trois mois pour rendre leur copie, mais la moisson est encourageante. Lancé le 28 septembre par le ministère de la Santé, le Programme hospitalier de recherche infirmière livre ses premiers retours. La trentaine d'experts du comité de sélection a retenu 15 projets sur plus de 80 présentés. Les investigatrices principales devaient simplement être titulaires du DE et exercer à l'hôpital public. Leurs établissements recevront des financements pour une durée de trois ans.

Alors que la recherche infirmière est déjà bien ancrée au Royaume-Uni ou outre-Atlantique, ce programme est une nouveauté en France. « La recherche, c'est un autre monde, très différent de notre travail habituel, assure Bérangère Dufour, du CHU de Lyon (lire ci-dessous). Pour les infirmières, cela peut être un moteur et montrer qu'elles ne sont pas bonnes qu'à faire des soins. »

Bientôt étendu ?

Elle souligne que « le simple fait de présenter un dossier a été une expérience », les principales difficultés étant la rédaction et la méthodologie. Des domaines dans lesquelles les directions de la recherche clinique ont pu être d'un grand secours. De tels projets ne peuvent exister que grâce « à des rencontres de personnes » et à un solide travail d'équipe, souligne Dephine Leclerc, de Bobigny. Certaines innovations ont payé : à Limoges, « une mission transversale rattachée à la direction des soins » a fait émerger les projets dans tout le CHU, raconte Pascale Beloni, cadre référente en recherche en soins. Le ministère « compte étendre ce programme dès l'an prochain aux autres professions paramédicales. » En attendant, voici un zoom sur quatre projets retenus.

L'ailleurs accompagné

« jamais un voyageur ne nous a dit : "Je préfère être reçu par un médecin." Ce partage du pouvoir dérange un peu tout le monde, sauf les patients ! », s'étonne Delphine Leclerc. L'infirmière a saisi, via le PHRI, l'occasion de traduire dans l'écriture cinq ans de pratique et d'en mesurer les apports. Exerçant à la consultation de médecine des voyages de l'hôpital Avicenne, à Bobigny (AP-HP, 93) elle accueille, sans rendez-vous, une population composée à « 90 % de migrants ». Et s'emploie à cultiver au maximum le champ de ses compétences. Aux côtés d'une autre IDE et d'une aide-soignante, elle vaccine (sur protocole), conseille les voyageurs sur les mesures de prévention avant le départ, les aide à choisir et à utiliser l'antipaludéen adéquat... Le tout dans une autonomie désormais saluée par sa hiérarchie et encouragée par le médecin du service, le Pr Olivier Bouchaud. Lequel y gagne du temps pour recevoir les patients au retour, mais « parle plus rarement de prévention ». Le projet comparera la qualité d'une consultation infirmière et celle d'une consultation de ce type réalisée par un médecin... « et je pense qu'elle sera meilleure ! », assure l'infirmière.

- Pour en savoir plus sur cette consultation, lire notre n°251, p. 38.

Double écoute en dialyse

Infirmière éducatrice en néphrologie au CH de Lyon-Sud, Bérangère Dufour a une mission délicate : éclairer les patients souffrant d'insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) dans leur choix d'une technique de suppléance. En particulier entre l'hémodialyse, « qui implique de se rendre à l'hôpital trois fois par semaine pour quatre heures minimum », et la dialyse péritonéale, pratiquée à domicile mais « rarement viable au-delà de 5 ou 6 ans ». « Les deux font peur, et entraînent un important changement de vie. » Mais, observe-t-elle, « la dialyse péritonéale est plus autonome, et les retours que nous avons de notre travail en réseau indiquent qu'elle tend à apporter une meilleure qualité de vie ».

Le choix dépend de la situation de chaque patient, sur les plans médical, mais aussi psycho-social et environnemental, d'où la demande formulée au sein du service de recourir à un psychologue à chaque étape de l'information réalisée par l'infirmière. « La dialyse péritonéale implique de poser un cathéter dans le ventre, ce qui est difficile à accepter en termes d'image corporelle », constate Bérangère Dufour. La recherche qu'elle dirige visera donc à évaluer l'apport conjoint du psychologue, et vérifiera si cela favorise un accroissement du recours à la dialyse péritonéale. Agréablement surprise d'avoir vu son projet retenu (il a été conçu en trois mois seulement), l'infirmière « attend beaucoup de ces trois années » de recherche à venir. « Cela permettra de voir si notre idée tient la route, et le fait que nous puissions avoir un psychologue est déjà, en soi, très important pour nos patients.»

Mosaïque de pratiques

De la pédiatrie à la réanimation en passant par la psychiatrie, les champs couverts par les quinze projets retenus sont très variés. Cinq sont portés par des équipes de l'AP-HP. Il sera question d'hypnose préopératoire en pédiatrie (Robert-Debré, 75), de prise en charge en fin de vie (Colombes, 92), de surveillance de l'encéphalopathie hépatique en réanimation (Clichy, 92), ou encore de la prise en charge d'un patient atteint de la maladie de Huntington (Créteil, 94).

Ailleurs en région parisienne, on abordera la flore intestinale et l'impact du biofilm sur certaines plaies tumorales (Institut Curie) ; la perception corporelle dans l'anorexie mentale (Sainte-Anne) ; la neurostimulation chez les patients lombalgiques (Foch); les concentrations et l'homogénéité des principes actifs contenus dans une seringue électrique (Corbeil, 91). Au CHU d'Angers, l'hypnose sera convoquée face à la douleur induite par les pansements en gynécologie ambulatoire ; un autre projet traitera de l'humidification en oxygénothérapie. Enfin, une échelle d'évaluation du risque de constipation sera mise à l'épreuve au CHU de Bordeaux.

Assiettes et musique fédèrent les énergies

Avec deux projets retenus pour deux présentés, le CHU de Limoges remporte sans doute la palme de l'efficacité. À l'Ehpad Chastaingt, l'étude Praxalim examinera « l'impact de la forme des assiettes sur la préservation des praxies dans l'alimentation chez les personnes souffrant de démences sévères de type Alzheimer ». Sa coordinatrice, Valérie Delaide, est cadre de santé. « À l'Ehpad, les repas sont servis dans des assiettes rectangulaires comprenant l'entrée, le plat et le dessert, décrit-elle. Même si les aliments sont adaptés à la gérontologie, la présentation est la même qu'ailleurs dans le CHU. Comme elle ne correspond pas à ce que les résidents ont connu chez eux, l'assiette n'est parfois même pas assimilée à un contenant alimentaire. Face à elle, certains restent passifs. » Depuis plusieurs années, l'équipe propose de fractionner le repas pour éviter que les résidents fassent des mélanges, et plaide la cause des assiettes rondes. « Comme, dans la région, la porcelaine ne manque pas, nous avons reçu des dons de vaisselle. Il y a un peu plus d'un an, nous avons mené une enquête exploratoire auprès de quelques patients. » L'idée a fait son chemin et « nous avons commencé à travailler sur ce projet de recherche cette année, en juin ». L'une des principales difficultés a été de « trouver des échelles adaptées », comme celle de Blandford, pour évaluer l'amélioration de la gestuelle. Un choix facilité par les conseils des médecins de la direction de la recherche clinique. Sur trois ans, 32 résidents seront inclus dans l'étude durant 63 jours chacun. Sera également évalué l'impact sur la dépendance des résidents, et sur le plaisir de manger.

Douleur atténuée

Du côté de l'hôpital Dupuytren, un autre projet étudiera, en dix-huit mois, les effets de la musicothérapie sur la douleur « lors de la réfection de pansements chez des patients artéritiques de stade IV », le plus avancé. Une idée portée par Karine Da Silva, IDE en angiologie, lorsqu'elle a décidé de passer un DU douleur. Si elle est aujourd'hui chef de projet, c'est sa cadre, Patricia Champeymont, qui « fédérera les équipes » : outre les infirmières et un musicothérapeute, des aides-soignants, des médecins, un psychologue ou encore des techniciens de recherche clinique intervien- dront. 58 patients d'au moins 18 ans seront inclus, dont la moitié, pendant les réfections, écouteront de la musique au casque. S'ils en choisiront le genre, les airs ne leur seront pas familiers, de façon à favoriser la concentration. Au-delà d'une réduction de la douleur, évaluée au moyen d'une échelle numérique, l'équipe espère obtenir un impact sur l'anxiété et la qualité des soins. Et le simple fait de mener l'étude pourrait être bénéfique, suggère Patricia Champeymont : « Nous demanderons des conditions de travail optimales pour éviter les interruptions au cours des soins. »