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Horizons
L'Unité pour malades difficiles de Plouguernével n'offre pas un cadre très habituel aux soignants qui y travaillent. Derrière le haut mur d'enceinte, tout a été pensé pour trouver l'équilibre entre soins et sécurité.
Toutes les deux minutes, le téléphone portatif dont sont équipés Jeannette Le Lamer et Benoît Le Goadec, deux des 48 infirmiers qui travaillent au sein de l'Unité pour malades difficiles (UMD) de Plouguernével (Côtes-d'Armor), sonne. Machinalement, ils pressent un bouton pour signifier que tout va bien à leurs collègues et au PC de surveillance. Il en va de leur sécurité. Si, a contrario, ils se trouvaient dans l'impossibilité d'appuyer dessus, une alarme se déclencherait. Dans cette UMD ouverte il y a deux ans, accueillant 40 patients, les soignants naviguent en permanence entre soins et sécurité. Un mariage particulier dû au public présent dans cette cinquième structure de ce type en France. Les patients qui arrivent à Plouguernével sont déjà hospitalisés, admis en hospitalisation d'office, en raison de diverses pathologies, et présentent des troubles du comportement. Ils sont impulsifs, violents, auto ou hétéro-agressifs, automutilateurs... La plupart arrivent d'un centre hospitalier spécialisé ; 20 % d'entre eux, en moyenne, sont des détenus, condamnés ou en préventive, arrivant en UMD après un passage en CHS. Malgré un protocole thérapeutique intensif, ils présentent une dangerosité permanente jugée incompatible avec leur maintien dans une unité psychiatrique classique. Ils sont dangereux pour les autres mais aussi parfois pour eux-mêmes.
L'architecture parle d'elle-même : une vaste construction de 3 800 m2 au milieu d'un terrain de quatre hectares entouré d'un mur de 4,5 mètres de haut et de 600 mètres de long... Dès le franchissement du sas d'entrée du site, particulièrement sécurisé avec ses trois lourdes portes métalliques pour les piétons et ces deux imposants portails à franchir pour les véhicules, le visiteur comme le soignant sait qu'il pénètre dans un univers à part. Une prison, disent certains. « Souvent, on me dit qu'on est des matons ! » relève Jeannette Le Lamer. Il faut dire que les reportages télévisés diffusés à l'occasion de drames qui concernent des malades psychiatriques, mettent l'aspect sensationnel en avant. Évasions, agressions, voire meurtres commis par des patients sur des soignants, alimentent ces dernières années un débat politique récurrent sur la prise en charge psychiatrique.
Et pourtant, à Plouguernével sans doute plus que dans les quatre autres unités de ce type(1), l'activité des infirmières, des trois psychiatres, des sept aides-soignants et des quatre ergothérapeutes est bien axée sur le soin. « La dimension sécuritaire est un préalable de base dans notre travail, mais ce n'est pas avec cela que l'on fait du soin ! », considère le Dr Denis Chateaux, psychiatre responsable de l'UMD.
Pour atteindre ce fragile équilibre, trois années de travail collectif entre soignants, techniciens et architectes ont été nécessaires. Là où les autres UMD ne peuvent qu'essayer d'adapter leurs locaux à une prise en charge qui a forcément évolué en quarante-cinq ans (ouverture de celle de Cadillac, la plus récente avant Plouguernével) ou en un siècle (création de celle de Villejuif ), l'unité située en plein coeur de la Bretagne a été construite autour de cette double préoccupation. Et la limitation à 40 patients, quand les quatre autres en totalisent près de 400, est bien le signe de cette attention. On a aussi voulu créer de vrais espaces à taille humaine. Les différentes infrastructures sont distinctes. Les deux unités de 20 lits, la cafétéria et le bâtiment dévolu aux activités d'ergothérapie, de rééducation et sportives possèdent ainsi leur propre cour, entourée d'un haut grillage. L'environnement lui-même a un rôle dans l'impression générale qui se dégage du lieu. Le fait d'être dans une zone entourée de grands arbres visibles de l'intérieur atténue le sentiment d'être en prison. Dans l'espace de jour de chaque unité de vie fréquenté par les patients et divisé en trois salons et une salle à manger, tout est vitré. Ce qui apporte de la lumière... et permet en même temps à l'infirmier de faction à l'intérieur du PC de garder un oeil sur tout le monde, y compris sur les chambres individuelles, grâce à un système de vidéosurveillance.
Dans ce contexte de travail, Jeannette Le Lamer, qui a été une des premières volontaires à quitter un des 20 sites de psychiatrie gérés par l'Association hospitalière de Bretagne, relativise fortement le danger présent au quotidien. « Il existe des dangers ici, mais dans le service d'addictologie où j'étais juste avant, on pouvait être confronté aussi à des situations de violence sans être aussi nombreux, souligne cette infirmière de 52 ans, avec derrière elle trente-trois ans de psychiatrie. Les six premiers mois ont été assez difficiles. Mais, l'arrivée progressive des patients a permis d'adopter les nouveaux repères liés aux nombreux protocoles de sécurité. » Même discours chez son collègue, Benoît Le Goadec, pourtant âgé seulement de 28 ans, à l'UMD depuis six petits mois : « La difficulté vient surtout du fait qu'ils sont très délirants. Tous ne sont pas dangereux. Dans le service fermé de patients psychiatriques chroniques où j'ai passé huit mois, on subissait davantage de violence et il y avait moins de personnel. »
Une fois qu'il a intégré ces nouveaux repères de sécurité (activation des téléphones, fermeture à double tour des portes, mise en chambre d'isolement...), et à l'issue d'une formation de quatre jours à la gestion de la violence par l'Institut Philippe-Pinel de Montréal, le personnel infirmier peut se centrer sur les activités thérapeutiques. « Notre objectif principal est de résoudre la problématique de dangerosité, précise le Dr Denis Chateaux. Nous cherchons d'abord à stabiliser le patient sur le plan clinique. Mais, ensuite, nous allons travailler au cours du séjour - qui dure sept-huit mois - sur la prise de conscience par le patient de son propre comportement. » Des activités structurantes (fabrication d'objets en bois ), de restauration des fonctions cognitives (informatique), de médiation (jeux) et de créativité (poterie, dessin...), et de socialisation (sports, jardin potager), permettent, sur prescription, ce temps de soins. « Un patient vient de "réussir sa commission", ce qui signifie que la commission médicale a décidé de son retour dans le service d'origine, raconte Benoît Le Goadec. Il est anxieux, car cela veut dire aussi retour en prison. Il tient des propos suicidaires, d'où une surveillance particulière de notre part. Nous avons dernièrement joué à la belote avec un autre patient, et il s'est mis à parler de tout ça. Ce qui aurait été plus difficile à réaliser en entretien. »
1- Villejuif (la plus ancienne), Cadillac (Gironde), Montfavet (Vaucluse) et Sarreguemines (Moselle). Celle de Plouguernével couvre la Bretagne, les Pays de Loire, la Basse-Normandie et peut accueillir des patients venant d'autres régions.
2- L'AHB, association privée à but non lucratif, est confrontée à un nécessaire redéploiement de son personnel suite à la fermeture continue de lits depuis 1993 (de 1 800 à moins de 200).
Pour accueillir les 125 patients admis (sur 365 demandes), l'équipe infirmière conduite par Christian Philippe, cadre de santé, est en première ligne. « On s'appuie sur le travail infirmier pour affiner nos choix thérapeutiques », explique le psychiatre Denis Chateaux. Mais, le recrutement n'est pas aisé. L'UMD est contrainte d'engager des infirmiers inexpérimentés ou peu expérimentés. Un système de tutorat a été mis en place pour pallier ce problème. Suivi psychologique, échanges sur les difficultés rencontrées, positions à adopter entrent dans ce cadre.
Une des deux unités, comprenant davantage de jeunes DE, est particulièrement touchée par ce turn-over. La situation générale de l'emploi pour les infirmières explique sans doute, en partie, cette réalité, tout comme l'image de la psychiatrie. Mais, la situation géographique de l'UMD, en Centre Bretagne, contribue certainement à créer un va-et-vient du personnel. Il est parfois fait appel à des intérimaires. En dernier recours, le personnel d'autres sites de l'Association hospitalière de Bretagne est sollicité.
- UMD
Centre hospitalier
22 110 Plouguernével
Tél. : 02 96 57 12 66