Syndrome du bébé secoué
Questions à
Observation et vigilance sont indispensables pour poser un diagnostic de bébé secoué, d'autant plus délicat à déterminer qu'il entraîne une démarche de signalement.
Qu'est-ce que le syndrome du bébé secoué ?
Contrairement au cerveau adulte, le cerveau d'un bébé ne remplit pas complètement sa boîte crânienne. Quant aux muscles du cou, ils ne sont pas suffisamment toniques pour maintenir la tête, dont le poids est encore relativement lourd par rapport au reste du corps. Lorsqu'un nourrisson est secoué, sa tête balance violemment d'avant en arrière. À chaque secousse, le cerveau vient se cogner contre les parois du crâne, ce qui peut provoquer une déchirure des vaisseaux sanguins situés à la surface du cerveau et la formation d'un hématome sous- dural. Les tissus à l'intérieur du cerveau peuvent, eux aussi, être atteints.
Quelles séquelles peuvent provoquer de telles lésions ?
Un enfant victime de secouement risque de souffrir de lésions cérébrales gravissimes, avec, bien souvent, des conséquences neurologiques irréparables. Plus de 10 % des bébés victimes de secouement meurent des suites de ce traumatisme, et l'immense majorité de ceux qui survivent gardent des séquelles cérébrales, parfois très graves : hémiplégie, cécité, épilepsie, troubles cognitifs... Nous avons mené, à Saint-Maurice, une étude auprès de 28 enfants victimes du syndrome du bébé secoué, et nous avons pu suivre 21 d'entre eux cinq ans après les faits : 9 présentaient des séquelles majeures - atteinte motrice, épilepsies résistantes au traitement, troubles du comportement, et aucun ne suivait un cursus scolaire normal tant leurs troubles cognitifs étaient importants ; 6 autres avaient des séquelles « moyennes » (épilepsie, hémiparésie, troubles cognitifs) ; 6 semblaient indemnes, mais 3 suivaient tout de même une rééducation orthophonique.
Le nombre d'enfants victimes du syndrome du bébé secoué est très difficile à évaluer. On parle souvent de quelque 150 à 250 cas par an en France, mais tous les spécialistes s'accordent à dire que ces chiffres sont largement sous-évalués.
Dispose-t-on d'autres données épidémiologiques sur le sujet ?
La plupart des bébés sont âgés de moins de 12 mois, plus de 50 % ont moins de 6 mois, la moyenne d'âge souvent évoquée étant de 4 mois et 22 jours. Et, dans plus de 60 % des cas, il s'agit de petits garçons, pour des raisons que l'on peine à expliquer. Très fréquemment, le secouement a lieu en réponse à des pleurs de l'enfant ; la personne qui est auprès de lui, seule, perd le contrôle, et le secoue pour le faire taire (les jeux, comme lancer l'enfant en l'air pour le rattraper, semblent très peu en cause, tant le secouement doit être violent pour provoquer de telles lésions). Il n'existe pas de profil type de l'adulte responsable de ce geste. Tous les milieux socioprofessionnels sont touchés. L'auteur est le plus souvent un homme, le père, le beau-père, le compagnon de la mère. Parfois, il s'agit de la mère, ou de la nounou.
Pourquoi le diagnostic de bébé secoué est-il difficile à poser ?
Parce que l'idée même qu'un bébé soit secoué est insupportable, et que poser un tel diagnostic équivaut, par ailleurs, à dire qu'un adulte a secoué. Cela a donc une incidence qui dépasse le champ médical et soignant. Mais aussi parce que, généralement, il n'y a pas de lésions apparentes, et qu'il n'y a pas d'histoire racontée - soit l'adulte qui se présente à nous avec l'enfant n'est pas au courant, soit il tait son geste. La vigilance face à certains symptômes est donc cruciale. État léthargique, vomissements, irritabilité, crises épileptiques, hémorragies rétiniennes, convulsions... sont autant de signes qui peuvent, et doivent alerter. En cas de doute, une observation clinique de l'enfant, avec un examen du fond de l'oeil, des radiographies et un scanner cérébral, s'impose.
S'ensuit-il, alors, un signalement à la justice ?
Le signalement est une démarche difficile, toujours source de questionnements éthiques pour les équipes. D'autant que secouer un bébé va rarement procéder d'une malveillance avérée mais résulte plutôt d'une perte de contrôle, parfois encore de l'ignorance de la gravité de ce geste. Mais, dans le même temps, le secouement est une violence, et constitue une infraction ; à mon avis, notre obligation déontologique, et légale, de protection de l'enfant me semble imposer le signalement. Le but n'est pas tant de punir l'adulte que de l'accompagner et, surtout, de protéger l'enfant et d'obtenir réparation - signaler est, en effet, obligatoire pour pouvoir saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infraction.
Médecin de médecine physique et de réadaptation, Anne Laurent-Vannier est chef du service de rééducation des pathologies neurologiques acquises de l'enfant à l'hôpital national Saint-Maurice. Présidente de l'association France traumatisme crânien, et vice-présidente de la Sofmer (Société française de médecine physique et de réadaptation), elle coordonne le DIU « traumatisme crânien de l'enfant et de l'adolescent, syndrome du bébé secoué » (faculté Paris Descartes).