La médecine en haut débit - L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010

 

nouvelles technologies

Enquête

La télémédecine permet de rendre un diagnostic, de suivre un malade chronique ou isolé, d'adapter un traitement... Le tout à distance. Ses applications multiples devraient prendre leur essor grâce à la parution du décret d'application de la loi HPST la concernant.

Toulouse, 1989 : l'Institut européen de télémédecine est créé par l'université Paul-Sabatier et le CHU. À sa tête, Louis Lareng, anesthésiste réanimateur et fondateur du Samu. Quatre ans plus tard, le Réseau régional de télémédecine est mis en place à titre expérimental en Midi-Pyrénées. « L'apport premier de la télémédecine, explique le professeur, est la possibilité d'une transmission simultanée de la voix, d'images, et de données médicales. » Vingt ans après son acte de naissance, la télémédecine est intégrée dans la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires).

Dans les faits, la France est aujourd'hui un vaste laboratoire d'expérimentations. « Il y a des pionniers, des expériences porteuses, se réjouit Didier Robin, psychiatre et président du Catel, réseau national de compétences en télésanté. Mais la pérennité et la diffusion des pratiques se font attendre du fait de l'absence d'un cadre juridique et financier. » Le décret d'application de la loi, qui doit paraître prochainement(1), dote justement la télémédecine de ce cadre, condition pour un déploiement à grande échelle.

Pénurie de médecins

Si la « télésanté » définit globalement l'entrée du numérique dans le domaine médical, la « télémédecine » recouvre strictement des actes de soins, impliquant nécessairement un professionnel de la santé. Ses applications sont définies autour de quatre actes : la téléconsultation ; la télé-expertise ; la télésurveillance ; et la téléassistance. Des applications génératrices d'espoirs devant l'allongement de la durée de vie et l'augmentation de la demande de soins. « Les projections à 2050 font état d'une révolution dans la baisse de la mortalité, liée à une meilleure offre de soins, dont la télé- médecine participe, souligne le néphrologue Pierre Simon, président de l'Antel, Association nationale de télémédecine. Parallèlement, on note une constante augmentation des déclarations d'ALD (affections de longue durée). Or, jusqu'à 2030, le nombre de médecins n'augmentera pas suffisamment pour qu'il soit possible de faire face à la demande ; la télémédecine augmente les chances, pour un patient, d'être traité. »

Les besoins sont clairement identifiés : remédier à la pénurie de médecins dans certaines zones ; éviter de transférer inutilement un patient ; développer l'hospitalisation à domicile et l'échange d'informations médicales ; assurer un meilleur suivi des malades chroniques, des personnes âgées isolées et dépendantes. Cela va du médecin en zone rurale équipé d'une mallette de télémédecine pour envoyer rapidement des informations sur le patient, au suivi d'un diabétique, en passant par la consultation psychiatrique des îliens.

« Le développement de la téléradiologie en Ehpad est un bon exemple de ses bénéfices, explique Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom). En cas de chute d'une personne âgée, on peut envoyer une radio à l'hôpital, où le médecin pourra dire très vite si le col du fémur est cassé. S'il ne l'est pas, cela évite un transfert désorientant et une longue attente aux urgences. » Ces télédiagnostics sont aujourd'hui pratiqués par tous les Samu, qui peuvent envoyer rapidement aux centres référents les données d'un patient suspect d'infarctus ou encore les scanners d'accidentés de la route.

Télésurveillance

Autre application très prometteuse, la télésurveillance à domicile des maladies chroniques. Diabète, maladies cardio- vasculaires, hypertension, insuffisance rénale... touchent 15 millions de personnes. Les outils sont simples : un terminal à écran tactile sur lequel le patient entre ses données. L'infirmière de son centre référent les récupère sur un ordinateur, dont l'accès est sécurisé. L'équipe clinique peut ainsi réagir à distance aux besoins du patient. De cette façon, un patient insuffisant rénal correctement télésurveillé peut retarder de sept ans la dialyse, le traitement le plus coûteux pour l'assurance maladie. De même pour l'insuffisance cardiaque. « Près de 300 000 patients sont hospitalisés chaque année pour poussée d'insuffisance cardiaque, détaille Pierre Simon. Si la télésurveillance à domicile était développée chez 50 % de ces patients, nous économiserions plus d'un million de journées d'hospitalisation. La dépense hospitalière évitée pourrait ainsi être utilisée à développer de nouvelles organisations de soins plus efficientes. »

D'autres outils de télésurveillance à domicile sont mis en place avec succès, tel le système Diabeo, pour les patients diabétiques. « L'outil de suivi d'un diabétique, le carnet papier, entraîne des contraintes fastidieuses et quotidiennes auxquelles beaucoup de sujets jeunes sont réfractaires », souligne Sylvia Franc, endocrinologue au Centre hospitalier sud-francilien. Diabeo, logiciel téléchargeable d'insulinothérapie, permet au patient d'enregistrer ses paramètres et, accompagné de consultations téléphoniques, de faciliter les adaptations du traitement.

La télésurveillance trouve aussi des applications dans le suivi des grossesses difficiles, pour les patients isolés, ou encore pour les patients détenus. Pour les malades isolés et âgés, la télémédecine constitue justement un progrès de taille. Pierre Pitsaer est l'infirmier coordinateur du réseau de santé pour personnes âgées des Hautes-Alpes. Des personnes de plus de 75 ans, polypathologiques, dépendantes, en rupture sanitaire ou sociale. Le réseau, composé d'infirmiers, de médecins gériatres, d'ergothérapeutes, de psychologues, suit en continu à domicile quelque 110 personnes. « L'objectif est de mettre rapidement et facilement en relation les différents professionnels de santé qui s'occupent d'un même patient », explique l'infirmier. Problème, dans cette région, mais qu'on retrouve ailleurs, le manque de fiabilité des connexions Internet. Un obstacle à la mise en place du dossier médical partagé. « Nous aimerions nous inspirer de ce qui se fait sur le plateau du Vercors, où toutes les informations (prises de sang, radios et autres examens) d'un patient sont envoyées vers les messageries sécurisées des médecins. Cela remédierait aussi au problème de l'absence de déplacements à domicile des spécialistes. »

Désenclaver

La loi HPST priorise le développement de la télémédecine dans les régions isolées. Actuellement, seule Midi-Pyrénées bénéficie d'un réseau très structuré, reliant 60 établissements publics et privés, des médecins et des infirmiers. Depuis 2004, le CHU de Toulouse possède un service de télémédecine unique au monde. Un modèle qui devrait peu à peu prendre forme dans d'autres régions. « Les agences régionales de santé ont pour mission d'introduire la télémédecine dans les prochains SROS 4 (systèmes régionaux d'organisation des soins), précise Pierre Simon. La télémédecine se développera ensuite dans deux directions principales. En premier lieu, la restructuration de l'offre de soins hospitalière, par la mise en place des communautés hospitalières de territoire (CHT) ; la télémédecine aidera à réaliser un parcours de soins gradué au sein du territoire de santé entre les établissements. Le deuxième enjeu est le maintien des patients atteints de maladies chroniques à leur domicile ou dans leur cadre de vie institutionnel. »

L'objectif est une meilleure coordination des soignants et médecins afin de définir des protocoles, de contribuer au bien- être du patient et, surtout, d'anticiper les urgences. « Jusqu'à présent, je travaille avec le système des "petits mots" ou bien je téléphone simplement au médecin », raconte Isabelle Alvino, infirmière libérale à Caen (Calvados). La télémédecine, pour elle, est un « moyen d'uniformiser les pratiques professionnelles, d'avoir un référentiel commun. » L'an prochain, comme une vingtaine de ses collègues, elle devrait bénéficier de Domoplaies, un système de surveillance des plaies chroniques à domicile à l'initiative du CHU de Caen. L'infirmière au domicile du patient pourra contacter le personnel de l'hôpital, à qui elle transmettra en direct des photos des plaies. « Pouvoir avoir directement l'avis de la dermatologue et être en contact avec les infirmières de l'hôpital sera un grand progrès. Avec les plaies chroniques, on peut éviter les infections dans une grande majorité, mais nous sommes très démunis face aux 5 % qui décompensent ! Ils sont hospitalisés en moyenne une fois par an pendant 15 à 20 jours, cela coûte cher (examens, transports, parfois maison de convalescence...). Et le retour à domicile est très difficile, parfois des amputations s'ensuivent ! » Cet outil devrait permettre un meilleur suivi dermatologique à la maison et une meilleure réactivité, alors que l'hôpital est vraiment saturé.

Formation, transmission des données, appareillage... Le financement de la télémédecine préoccupe tous les professionnels. « Avec la loi sur la Sécurité sociale de 2010, on dit que le patient peut être seul et que les honoraires peuvent être partagés entre les différents médecins et soignants qui s'occupent de lui. Reste à régler la question du montant. Un financement à l'acte ou forfaitisé ? », interroge Jacques Lucas. La clarification des conditions de mise en oeuvre d'un financement pérenne lèvera un des plus gros obstacles au déploiement de la télémédecine à grande échelle.

Responsabilités

Pour le moment, les expériences sont le plus souvent financées par des industriels ou des conseils régionaux. « La télémédecine ne doit pas générer de dépenses supplémentaires, mais se substituer à des dépenses actuelles, notamment hospitalières, insiste Pierre Simon. Son financement dépendra en grande partie des transferts financiers qui pourront être réalisés vers l'ambulatoire et la surveillance à domicile grâce aux hospitalisations évitées. »

Outre la question financière, celle des responsabilités juridiques reste aussi à clarifier. « C'est l'hôpital qui assure la responsabilité d'une infirmière, rappelle Jacques Lucas. Mais, en libéral, c'est chaque professionnel qui l'assure. Ce qui complique les choses, c'est quand des hospitaliers et des libéraux travaillent ensemble. » D'autre part, la question de la protection des données médicales doit aussi être mieux définie. « Il faut que le patient donne son consentement, sache par qui ses données vont être traitées, et que le personnel de santé puisse respecter un accès sécurisé aux données », souligne Nathalie Tellier, chargée des questions d'assurance maladie à l'Union nationale des associations familiales (Una).

Pour Louis Lareng, le développement de la télémédecine se fera à une condition : « Le maintien des réseaux de santé, pour lesquels il faut une gestion indépendante en groupements de coopération sanitaire. C'est la meilleure façon de mutualiser les moyens, de mettre en place une interopérabilité des systèmes sur le plan régional mais sans se fermer au voisin ! »

1- La parution du décret est prévue en juillet.

outils et programmes

L'IMPLICATION DES INDUSTRIELS

Les industriels élaborent des outils très divers pour le développement de la télémédecine. Pionnière dans le télésuivi des dispositifs cardiologiques implantables, la société Biotronik, créée par le professeur allemand Max Schaldoch, inventeur du premier stimulateur cardiaque. Le système Biotronik se compose d'un stimulateur communicant (le premier a été installé à Bordeaux en 2001, 7 500 sont en usage aujourd'hui) : le boîtier transmet automatiquement les données médicales via la téléphonie mobile GPRS, puis le médecin accède aux données via un site Internet sécurisé. Ainsi, une consultation sur deux est évitable. Cette technologie a été reconnue par la Haute Autorité de santé (HAS). Des programmes coordonnent le travail des industriels. Ainsi de Continua, alliance internationale de plus de 227 groupes, née en 2006. Son principe est de mettre les nouvelles technologies au service de l'indépendance et du maintien du lien social, notamment pour les patients chroniques. Le logo Continua certifie l'interopérabilité des différents produits : les outils de télécommunication, les pèse-personne...