Prévention sexuelle
Éthique
« Pratiques sexuelles à risque, le médecin peut-il se taire ? », tel était le thème de la rencontre-débat proposée par l'association Éthique, clinique et société, en juin dernier(1).
impossible d'évoquer les pratiques sexuelles à risque sans parler du VIH. Avec la découverte de quelque 7 000 nouveaux cas par an, dont près de 50 % touchent des homosexuels masculins, le sida focalise toute l'attention dans ce domaine. Le débat-rencontre organisé par l'association Éthique, clinique et société(2), émanation du Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin à Paris, n'a donc pas échappé à cette réalité. En effet, bien que les outils et messages de prévention, le dépistage, les traitements et la prise en charge aient considérablement évolué au cours des deux dernières décennies, cela n'empêche pas des homosexuels séropositifs d'avoir des rapports sexuels répétés non protégés. Un comportement qui peut aboutir à la contamination du partenaire et engendrer également une surcontamination chez la personne déjà infectée par le virus. Ce type de posture ébranle nombre de soignants, qui se sentent tiraillés entre le secret professionnel auquel ils sont contraints et le désir d'informer le partenaire. Pour les aider à y voir plus clair, des intervenants ont apporté des éclairages directement issus de leur pratique clinique avec ce type de patients.
Pour Catherine Breton, psychiatre et psychanalyste, qui travaille depuis plusieurs années avec une file active de barbeckers [ndlr : très schématiquement, les barbeckers revendiquent le fait d'avoir des rapports non protégés], l'un des moteurs de leur comportement serait le résultat de leur désir permanent de défi. « Ils ont besoin de transgresser une limite pour se sentir exister. Cette limite, c'est annuler l'idée de la castration, représentée par l'épidémie, et qui doit être déniée dans la sexualité », explique-t-elle. Et d'ajouter qu'elle regrette un manque de réflexion et de recherche sur le comportement et les pratiques sexuelles de ce groupe. Elle-même a créé, il y a quelques années, une consultation à l'hôpital Lariboisière dédiée à « l'élaboration de la non-prévention », afin, dit-elle, de leur permettre de réfléchir « au pourquoi » de leur non-prévention. Par ailleurs, constate-t-elle, chez d'autres hommes qu'elle a eu à prendre en charge, la sexualité non protégée relève de ce qu'elle décrit comme « la culpabilité homosexuelle ».
Pour le médecin, lorsque l'homophobie est diffusée dans une société, les mécanismes de prévention ne peuvent pas se mettre en place. Psychologue clinicien, dans un centre des troubles anxieux et de l'humeur, Vincent Tribout estime, de son côté, que les médecins confrontés à des patients en prise de risque doivent rechercher des pathologies psychiatriques. Pour lui, moult études médicales montrent désormais qu'elles seraient à l'origine d'une prise de risque sexuel. « Je prends en charge, dit-il, des patients qui, en phase d'excitation, de mégalomanie ou de dépression, oublient de se protéger alors que la prévention est ordinairement acquise chez eux. Finalement, on stigmatise certainement des personnes qui souffrent d'une maladie. » Alors, les soignants doivent-ils se taire ? La question n'a évidemment pas été tranchée lors de cette rencontre. Doivent-ils s'interroger ? Assurément.
1- Rencontre dans le cadre du bar des Sciences créé par France Info.
« Avant de travailler auprès de personnes séropositives, chaque soignant a le devoir d'interroger ses valeurs professionnelles et personnelles. De la même manière que l'on ne peut obliger un soignant à effectuer ou à participer à des IVG, si l'on ne se sent pas prêt à prendre en charge ce type de patient, il ne faut surtout pas le faire. Cela doit être un choix assumé car il faut être en capacité d'entendre parfois l'inentendable, indique Emmanuelle Bordes, infirmière hospitalière qui coordonne des programmes d'éducation thérapeutique dédiés aux patients séropositifs. Les personnes qui refusent toute forme de prévention et d'informer leur partenaire de leur état ne représentent pas un profil unique, mais la peur est le plus souvent à l'origine de leur silence. En tant qu'infirmière, notre rôle consiste d'abord à les écouter et à les mettre en confiance pour les préparer à cette annonce. Mais, entrer en résistance avec eux, les juger, ou pire, les trahir, revient à dénoncer la confiance qui est au coeur de la relation soignant-soigné et qui doit rester un principe intangible. »