Nulle part ailleurs - L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010

 

Nonhlanhla Motloa

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Nonhlanhla, infirmière passionnée, coordonne un service destiné aux prostituées dans une clinique de Johannesburg. Elle raconte son amour pour son métier, et ses difficultés au quotidien.

Lorsque Nonhlanhla Motloa arrive au travail, plusieurs femmes font déjà la queue devant la porte de la clinique. À 39 ans, cette infirmière sud-africaine coordonne un service réservé aux travailleuses du sexe, à Hillbrow, le quartier le plus pauvre du centre-ville de Johannesburg. « Beaucoup de prostituées ne se rendent pas dans les cliniques parce qu'elles ont peur d'être jugées. Ici, elles nous font confiance », explique Nonhlanhla. Pleine d'énergie, mais s'exprimant avec beaucoup de douceur, elle a toujours un mot gentil pour ses patientes. Dans un pays où la majorité de la population, groupes religieux en tête, considère le commerce du sexe comme immoral et inacceptable, le fait de ne pas porter de jugement ne va pas toujours de soi, y compris parmi le personnel médical. « J'ai vu des infirmières faire un essai, et s'en aller au bout de quelques heures. Elles n'y arrivaient pas, c'était contre leurs principes. » Mais Nonhlanhla, qui a grandi sous l'apartheid, estime que « tous les gens ont droit au même respect ».

une formation prise en charge

Aussi loin qu'elle se souvienne, elle a « toujours voulu être infirmière. Ma tante faisait ce métier, et je l'admirais beaucoup. Je voulais aussi aider les gens... et porter le même uniforme ». Son baccalauréat en poche, elle entame la première de ses quatre années d'études à l'université de Johannesburg. Pour tenter de faire face à la pénurie d'infirmières dont souffre le pays, c'est le gouvernement qui prend en charge cette formation, et les étudiants reçoivent même un petit salaire. Une vraie chance pour la jeune femme, originaire d'une famille noire modeste.

Une fois dans la vie active, Nonhlanhla travaille dans diverses cliniques de Soweto. « J'ai travaillé avec des enfants, des personnes âgées, des tuberculeux, des malades du sida... Il y a tellement de détresse dans les hôpitaux publics. Certains patients ont perdu tout espoir, ne veulent même plus vivre. Quand on arrive à soulager leur douleur, à leur rendre le sourire, c'est une vraie victoire », raconte-t-elle. Mais, au bout de douze ans, Nonhlanhla a envie de changement. Elle est désormais mariée, a deux enfants, et recherche un poste qui lui permette de mieux gagner sa vie. Elle est engagée par la First National Bank comme infirmière du personnel. « C'était mieux payé, mais je n'étais pas dans mon monde. Je ne soignais que des petits bobos, se souvient-elle. Et, dans le secteur privé, le côté humain est souvent absent : mon manager me reprochait d'être trop gentille, de passer trop de temps avec chaque patient. » Deux ans plus tard, elle donne sa démission. Lorsque, peu après, elle postule pour un emploi auprès des prostituées, elle sait qu'elle pourra de nouveau « avoir le sentiment d'apporter quelque chose à la communauté ».

efficacité et polyvalence

Sourire aux lèvres, Nonhlanhla semble ici dans son élément. Mais le travail n'est vraiment pas de tout repos. Elle se doit d'être efficace et polyvalente : « Les femmes viennent pour des tests HIV, la pilule du lendemain, des avortements, des problèmes gynécologiques, des infections sexuellement transmissibles (IST)... Il n'y a pas de médecin dans la clinique. Nous sommes deux infirmières, et nous faisons tout : établir des diagnostics, prescrire des médicaments... » Alors qu'elle admirait celui de sa tante, Nonhlanhla ne porte plus d'uniforme. « Avec les prostituées, ce serait trop formel. Cela mettrait une barrière. Et puis, vu les déplacements que je fais tous les jours, je préfère une tenue confortable. »

Il est midi. L'infirmière avale rapidement un sandwich et attrape un gros sac à dos rempli de matériel et de médicaments. Avec sa collègue, elle entame la tournée des maisons closes, établie en fonction d'un planning hebdomadaire. Une manière d'atteindre les femmes les plus vulnérables, celles qui refusent de se déplacer jusqu'à la clinique. « Par gêne, par fainéantise, parce qu'elles sont dépressives ou encore parce qu'elles ne veulent pas perdre une demi-journée de travail, certaines femmes attendent que nous venions à elles. Je vois souvent des infections qui, faute de traitement, ont gravement dégénéré. Je me demande parfois combien de temps elles auraient attendu pour se soigner si nous n'étions pas là... »

À chacun des cinq étages que compte l'immeuble, Nonhlanhla frappe énergiquement aux portes des chambres pour prévenir de son arrivée. Des femmes sortent, souvent débraillées, parfois accompagnées d'un client. Les deux infirmières prennent possession de la petite pièce qui leur a été attribuée pour les consultations. Elles installent le lit pliant qu'elles ont apporté, placent un rideau devant la fenêtre qui donne sur le couloir pour préserver un semblant d'intimité. Le sol est sale. Une odeur d'urine flotte dans l'air. Du robinet ne coule qu'un filet d'eau. « Ce sont des conditions de travail très éprouvantes, physiquement et moralement, reconnaît Nonhlanhla. J'adore mon métier, mais je ne pense pas que je pourrai encore faire ça à 50 ans. Je me donne encore cinq ans... Peut-être qu'ensuite, je retravaillerai avec des enfants... » En attendant, cette battante s'investit à fond dans son boulot. Chaque après-midi, elle voit une trentaine de femmes et certains de leurs clients.

L'infirmière distribue des préservatifs et informe les prostituées sur les risques des rapports non protégés. Un travail qui porte ses fruits. « Les comportements ont évolué ces dernières années. Avec les clients, la grande majorité des filles utilisent désormais des préservatifs. Elles savent que si quelqu'un insiste pour le faire sans protection, c'est, souvent, parce qu'il est déjà malade. En revanche, le problème, ce sont les relations non protégées qu'elles ont avec leur petit ami régulier. La plupart des IST viennent de là. »

efficacité et polyvalence

Le sida est un véritable fléau en Afrique du Sud : plus de 11 % de la population est infectée. « Le plus difficile pour moi est de devoir annoncer à une personne qu'elle est séropositive. Surtout quand il s'agit d'une très jeune fille... J'ai déjà dû le faire souvent. Mais j'en souffre toujours autant », constate Nonhlanhla. Si elle estime qu'« il faut mettre des limites pour se protéger », elle ne peut s'empêcher d'être touchée par certaines histoires. « Quand je vois des filles à peine majeures en train de gâcher leur vie, c'est difficile de rester insensible. » Souvent, l'infirmière joue aussi un rôle d'assistante sociale. Elle coordonne d'ailleurs un programme de réinsertion pour les prostituées, qui se voient proposer des cours de manucure ou de coiffure. « Je suis heureuse de pouvoir leur proposer une alternative, dit-elle. Même si, au final, très peu arrivent à s'en sortir. »

Aujourd'hui, avec un salaire de 25 000 rands (2 500 euros) par mois, Nonhlanhla peut s'offrir une vie confortable. Mais elle reconnaît que, en Afrique du Sud, « une majorité de la population a du mal à joindre les deux bouts ». Cette mère de famille, passionnée de cuisine et de RnB, témoigne cependant d'un vrai attachement à son pays. « Je ne voudrais vivre nulle part ailleurs », avoue-t-elle. Elle se montre d'ailleurs assez critique envers les nombreuses infirmières qui, attirées par des salaires plus élevés, optent pour l'expatriation, notamment vers les pays du Golfe. « Le système de santé sud-africain s'est beaucoup amélioré ces dernières années, affirme-t-elle. Mais il y a un énorme manque de personnel dans les hôpitaux publics. Et dans les campagnes, les gens doivent souvent marcher plusieurs heures pour pouvoir atteindre une clinique. Tout n'est pas une question d'argent. Je veux me rendre utile dans le pays où j'ai grandi. » Et Nonhlanhla, qui a aujourd'hui trois enfants, espère que son investissement auprès des plus faibles « contribuera aussi à leur construire un meilleur avenir ».

moments clés

- 1971 : naissance à Soweto, Afrique du Sud, le 23 janvier.

- 1994 : Nelson Mandela devient le premier président noir de l'Afrique du Sud. Nonhlanhla obtient son diplôme d'infirmière auprès de l'Université de Johannesburg et donne naissance à son premier enfant.

- 2002 : elle se marie. Deux autres enfants naîtront de cette union.

- 2006 : Après douze ans passés à travailler dans les cliniques publiques de Soweto, elle intègre la First National Bank, où elle travaille comme infirmière du personnel.

- 2008 : Nonhlanhla souhaite quitter cet emploi, elle est engagée par la Reproductive Health and HIV Research Unit (RHRU), qui gère un service clinique destiné aux prostituées.