L'Infirmière Magazine n° 263 du 01/09/2010

 

maisons de santé

Enquête

Depuis plusieurs années, encouragés par les pouvoirs publics, nombre de professionnels lancent des projets de maisons de santé pluridisciplinaires. Mais certains obstacles doivent encore être franchis. En particulier pour les infirmières...

En lisière des champs comme au pied des tours, de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) à La Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), les ouvertures ou projets de maison de santé se multiplient. Réunissant sous un même toit et par un projet de santé des libéraux de premier recours, deviendront-elles « l'ossature du système de santé de demain », comme l'espère le président de la République ? Depuis des années, plusieurs travaux - dont un rapport coécrit par Annick Touba (Syndicat national des infirmiers et infirmières libéraux) et rendu en janvier à Roselyne Bachelot(1) - le martèlent : ces maisons doivent se développer. L'État et l'assurance maladie devraient en financer 250 en trois ans, ce qui doublerait leur nombre. Objectifs : assurer en permanence des soins de proximité, en particulier dans des zones sous-dotées en praticiens, et offrir à ces derniers un cadre mieux adapté et plus attractif.

« Les médecins ne souhaitent plus travailler isolément », selon le président de leur ordre(2). Et plus d'un infirmier libéral sur trois exerce déjà en groupe. En fait, la relative nouveauté des maisons de santé se trouve dans leur pluridisciplinarité. Au noyau médical et paramédical peuvent se joindre médecins spécialistes, diététiciens, psychologues, assistantes sociales... Un doute sur une ordonnance ? Un traitement à adapter ? Il n'y a que le couloir à franchir. La coopération entre professionnels, facilitée, « passe surtout par un échange informel d'information », note l'Irdes(3). Et porte, par exemple, sur la prise en charge de patients diabétiques ou hypertendus. Une maison de santé ne se conçoit pas comme une simple juxtaposition de cabinets.

Prévention

Aux médecins, exercer en maison de santé apporte également « un meilleur équilibre » entre vie professionnelle et vie privée. Et pour les infirmières ? À Villiers-le-Bel, les trois IDE - parmi une quinzaine de professionnels - se relaient aux permanences, dans des locaux refaits à neuf, où officie une secrétaire commune. Pour Christelle Coique, dont le précédent cabinet allait être vendu, la création de la maison de santé a représenté une opportunité. Quand un nouveau patient sollicite un rendez-vous à domicile, il est « attribué » à chaque infirmière à tour de rôle. Pour dénicher un associé ou un remplaçant, exercer en maison de santé peut aussi constituer un avantage.

Quant au patient, il bénéficie dans une telle structure de soins pluridisciplinaires de proximité (d'autant plus utiles face au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques) ; d'une plus grande accessibilité horaire ; d'un possible recours à la télémédecine ; d'une meilleure connaissance de sa situation par les libéraux en cas de mise en place d'un dossier unique informatisé (aujourd'hui entravé pour des raisons juridiques) ; d'une pratique d'actes inhabituels en cabinet ; d'actions ou de réunions de prévention potentielles...

Freins financiers

Un tableau idyllique à première vue, mais nuancé par nombre d'acteurs. Michèle Dumon a, ainsi, constaté « un effondrement » de sa clientèle depuis son installation à la maison de santé de Pont-d'Ain (Ain). Diplômée en plaies et cicatrisations, cette IDE misait sur un local propre et confortable pour réaliser des pansements. « Cela coûte plus cher... et on gagne moins. La population pense que je ne me déplace plus et il y a peu de visites de patients. » Elle voudrait que les malades soient incités à se rendre dans les maisons de santé et que les actes y soient revalorisés.

« Les freins sont particulièrement importants pour le corps infirmier, dont ni le statut ni le mode de rémunération ne sont attractifs pour rejoindre un exercice pluriprofessionnel », reconnaît le rapport remis à Roselyne Bachelot. Les soins infirmiers sont, ainsi, « mieux valorisés quand ils sont effectués au domicile des patients (frais de déplacement). » De nouveaux modes de rémunération, par exemple à l'activité et forfaitaire, pourraient être imaginés, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) autorisant des expérimentations. L'objectif est de valoriser les activités nouvelles et l'implication dans le fonctionnement de la structure. Autres questions : comment répartir d'éventuelles ressources financières entre ses occupants ? Quel avantage pour une infirmière à régler un loyer important pour une présence quotidienne d'une heure ou deux, avec une majorité d'actes toujours réalisés à domicile ? La solution de Pascal Chauvet, IDE, président-fondateur du réseau de santé Relanse et porteur d'un projet de maison en Charente-Maritime : louer les locaux en fonction du temps passé entre leurs murs. Ou les partager avec d'autres acteurs. Si de nombreux projets sont portés par des médecins, c'est justement parce que ceux-ci « occupent plus souvent leur cabinet », explique-t-il.

Définir les rôles

Son conseil : « Travailler sur un projet de santé avant d'imaginer un projet immobilier. » Les auteurs des recommandations pour « concevoir et faire vivre une maison de santé »(4) le confirment : « La démonstration de la plus-value du projet de santé peut être un facteur d'adhésion des auxiliaires médicaux, notamment des infirmières, dont l'intérêt d'un exercice professionnel regroupé et pluridisciplinaire peut ne pas apparaître d'emblée. » Ils proposent aux infirmières une formation continue en soins techniques (pour la dialyse péritonéale, les chambres implantables ou encore les soins d'urgence) et en éducation thérapeutique. Mais également une reconnaissance de leur expérience afin, entre autres, d'obtenir « des compléments de formation en lien avec la délégation de tâches ».

C'est un espoir : que les maisons de santé permettent, par exemple via des protocoles, une redéfinition, voire une extension des missions de chacun. Pierre de Haas, médecin à la maison de santé de Pont-d'Ain et président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, déplore « une mauvaise utilisation des professionnels de santé : j'ai vu des infirmières à bac + 3 faire du nursing, des médecins à bac + 9, des prises de sang, et des médecins hospitaliers, du renouvellement d'ordonnances. » Michèle Dumon opine : elle entend se consacrer au réel « travail infirmier » et non plus aux soins d'hygiène. Beaucoup souhaitent aussi que les maisons de santé s'affirment comme des lieux de stage pour les futurs professionnels.

Crainte du salariat

Pour surmonter les difficultés financières et juridiques, le rapport rendu à Roselyne Bachelot avance plusieurs pistes. Par exemple, instituer une marque « maison de santé » certifiée par un cahier des charges ; développer un système d'information partagé par les professionnels ; créer un guichet unique dans chaque agence régionale de santé ou apporter un statut juridique aux regroupements. Le ministère de la Santé planche sur ces préconisations. Il n'avance, pour l'instant, aucun calendrier. Selon Pierre de Haas, certaines mesures pourraient aboutir d'ici à fin 2010.

Plusieurs syndicats, eux, sont critiques. Convergence infirmière exige des garanties juridiques. Son président Marcel Affergan ne s'oppose pas à des coopérations interprofessionnelles, mais ne juge pas nécessaires des murs communs. Il est favorable aux pôles de santé libéraux et hostile à tout salariat. Cette crainte d'une subordination des infirmières aux médecins est peut-être fondée, à en croire l'Inspection générale des affaires sociales(5) : le risque de requalification, par les Urssaf, des relations interprofessionnelles en salariat « n'est pas nul lorsque 80 % de la clientèle d'un infirmier sont induits par les médecins participant au groupe ». Mais, en maison de santé, on ne croit pas à une soumission aux médecins. « Quand on n'est pas d'accord avec eux, on sait le leur dire, en restant respectueux les uns des autres », témoigne une IDE de Saint-Ouen-des-Alleux (Ille-et-Vilaine). « Le travail ici nous rend plus autonomes, renchérit Christophe Constantini, de La Guerche-de-Bretagne. Les médecins connaissent notre activité et nous délèguent plus de choses. Nous sommes considérés à notre juste valeur. » Aux médecins et infirmières des maisons de santé d'écrire leur nouvelle coordination, selon Pierre de Haas.

« Un pis-aller »

Il reste aussi à écrire les nouvelles formes d'organisation sanitaire, dans le cadre de la loi HPST. En évitant que l'implantation d'une maison de santé ne mette en concurrence des territoires ou qu'une telle maison reste inoccupée faute de réflexion préalable. Pour Michel Antony, de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, « tout est bon pour attirer les médecins en période de pénurie. Mais les maisons de santé sont un pis-aller : il faudrait plutôt, en lien avec les praticiens, prévoir un exercice minimal de quelques années là où la population a besoin d'eux. » « On va financer des structures avec de l'argent public, simplement parce que les médecins ne veulent pas assumer leurs responsabilités. Les infirmiers libéraux, eux, ont fait l'effort de négocier de nouvelles règles d'installation avec l'assurance maladie », ajoute Jean-Michel Elvira, de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux. « Les maisons de santé sont l'une des réponses, incitative, au défi démographique des professionnels de santé », réplique-t-on au ministère.

Comme d'autres, Annick Touba souligne qu'une maison de santé n'a pas vocation à remplacer un hôpital, mais, tout au plus, « à soulager les urgences ». Cette structure s'inscrit dans l'offre de soins et l'aménagement du territoire. Au même titre que les hôpitaux. « Si on agit, ce doit être partout et de manière équilibrée : la création de maisons de santé a souvent entraîné des inégalités supplémentaires. En général, on en crée là où l'on a déstabilisé le service public », estime Michel Antony. « Les associations de maires, si elles déclarent un soutien massif à des formes d'exercice pluriprofessionnel, affichent leur opposition à ce que cela accélère le processus de restructuration hospitalière », note le rapport remis à Roselyne Bachelot. Sa corédaction par Guy Vallancien, urologue qui avait prôné en 2006 la fermeture de 113 petits blocs opératoires, ne devrait pas rassurer tous ces élus locaux.

1- Le bilan des maisons et des pôles de santé et les propositions pour leur déploiement.

2- Définition d'un nouveau modèle de la médecine libérale, avril 2010.

3- « Une évaluation exploratoire des maisons de santé pluridisciplinaires de Franche-Comté et de Bourgogne », Irdes, Questions d'économie de la santé, n° 147, octobre 2009.

4- Issues d'un séminaire national en 2008. Voir « maison de santé » sur http://www.franche-comte.fr.

5- Citée dans le rapport d'information du sénateur Jean-Marc Juilhard sur la démographie médicale, en octobre 2007.

Définition

MAISONS, PÔLES OU CENTRES ?

Récemment élaborée et précisée, la définition législative des maisons de santé est inscrite à l'article L6323-3 du Code de la santé publique (CSP).

- Certains professionnels en donnent, de leur côté, une double caractéristique : l'existence d'un projet de santé (pour la population) et celle d'un projet professionnel (pour le fonctionnement de la structure).

- Selon le rapport rendu en janvier au gouvernement, 160 maisons de santé et 25 pôles de santé ont bénéficié, fin 2009, du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins.

- Un pôle de santé (article L6323-4 du CSP) regroupe, sur un territoire, des libéraux de diverses disciplines, mais pas sous le même toit.

- Les centres de santé (article L6323-1 du CSP) sont plus anciens, plutôt situés en ville et à dimension sociale, gérés surtout par des organismes à but non lucratif ou des collectivités locales, sur la base du salariat. Même si, sur ce dernier point, les différences s'amenuisent, précise le rapport.