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Désormais, les textes encadrent les programmes d'éducation thérapeutique du patient. L'heure est au dépôt des dossiers auprès des ARS. Mais, pour nombre d'équipes, la tâche s'annonce ardue.
Pratiquée depuis une vingtaine d'années en France, l'éducation thérapeutique est inscrite dans le Code de la santé publique depuis la loi HPST de juillet 2009. Une nouvelle étape vers sa généralisation a été franchie cet été : deux décrets et deux arrêtés (lire ci-contre) précisent les prérequis pour pratiquer l'ETP et les conditions d'autorisation des programmes par les agences régionales de santé (ARS). Le cahier des charges est enfin fixé. Tour d'horizon des nouvelles dispositions, commentées par trois infirmières.
Quels patients ? Les programmes d'ETP concerneront des patients atteints d'« affections de longue durée exonérant du ticket modérateur », ainsi que « l'asthme et les maladies rares » ou des « problèmes de santé considérés comme prioritaires au niveau régional ». Des exceptions sont prévues, qu'il faudra « expliciter » auprès de l'ARS.
Quels intervenants ? Les programmes seront coordonnés par un médecin, un autre professionnel de santé ou le représentant d'une association de patients. Ils devront être « mis en oeuvre par au moins deux professionnels de santé de profession différente ». L'un d'eux devra être un médecin si le coordinateur n'en est pas un. Des associations oeuvrant dans le champ de la promotion de la santé pourront également participer, sous certaines conditions.
Quelles qualifications ? Les professionnels dispensant l'ETP devront avoir reçu « une formation d'une durée minimale de 40 heures d'enseignements théoriques et pratiques, pouvant être sanctionnée, notamment, par un certificat ou un diplôme ».
Quinze compétences sont listées par un arrêté. Il s'agira, par exemple, de savoir « identifier les besoins objectifs et subjectifs des patients », de « choisir des outils adaptés » à chacun, ou encore d'« évaluer et améliorer de façon périodique la performance pédagogique des soignants ».
Les conditions d'autorisation. Chaque demande devra être adressée au directeur général de l'ARS de la région où le programme est mis en oeuvre. Si l'agence ne répond pas, l'autorisation est « réputée acquise » au bout de deux mois après une demande complète.
Le cahier des charges. Il permettra de décrire le programme : intervenants impliqués, population cible, outils pédagogiques, critères d'évaluation de l'atteinte des objectifs fixés en commun avec le patient, procédures de coordination entre les intervenants, procédure d'information du patient, de recueil du consentement, garanties de confidentialité...
Les promoteurs d'un programme devront fournir « des données disponibles relatives à son efficacité potentielle » : par exemple une revue de littérature ou une étude clinique.
Il faudra définir les objectifs du programme, en décrivant « les critères de jugement de son efficacité », sur les plans clinique (qualité de vie, autonomie), psychosocial, biologique, ou encore en ce qui concerne le recours au système de soins. À prévoir également : les critères permettant une autoévaluation annuelle du programme. Il est envisagé une évaluation quadriennale par un évaluateur externe désigné par l'ARS. Last but not least, les sources prévisionnelles de financement devront être détaillées.
Quelles sont les conséquences pour les infirmières engagées dans l'éducation thérapeutique ?
> Ces textes soulignent l'idée que l'éducation thérapeutique ne s'improvise pas. « Une personne qui se met dans cette posture professionnelle doit être formée, cela fait partie du soin », approuve Sophie Ba, ingénieur pédagogue référente en ETP au réseau Ermancia, en Martinique. En collaboration avec deux médecins libéraux, elle a mis en place des ateliers et consultations destinés aux patients victimes d'accidents vasculaires cérébraux. Concernant les qualifications requises, elle observe qu'« un programme peut parfaitement fonctionner avec seulement deux personnes titulaires d'une formation ».
> Autre constat appuyé par les textes : l'ETP « ne se pratique pas seul », poursuit Sophie Ba, qui voit dans un programme réussi un lieu où « des professionnels mixent leurs compétences ». La mise sur papier des démarches de chaque équipe pourrait aussi avoir l'avantage d'« obliger les professionnels d'une même région, d'un même hôpital, à communiquer sur leurs programmes, à se parler entre eux », observe Emmanuelle Bordes, coordinatrice éducation thérapeutique au Comité régional de lutte contre le VIH (Corevih) Ile-de-France Sud.
> Le rôle des médecins, désormais incontournables, est appelé à évoluer. « Il faudra que les programmes placent le médecin traitant au centre du dispositif de soins, ce qui n'est pas toujours une habitude », observe Martine Lauriou, chef de projet en ingénierie de l'ETP pour le réseau Néphronor, basé à Lille. Quant aux médecins promoteurs des programmes, « ils devront désormais en être acteurs ».
Cela pourrait représenter un atout sur le plan scientifique (études cliniques, procédures d'évaluation...), dans les rapports de force au sein de l'hôpital, ou pour obtenir des financements. Mais il faudra clarifier les rôles. « Pour moi, même si certains médecins sont très doués, ils ne sont pas les plus à même de pratiquer l'éducation thérapeutique du patient, estime, ainsi, Emmanuelle Bordes. Les infirmières, de par leur formation initiale, ont des compétences liées au relationnel. Nous ne sommes pas prescriptrices mais médiatrices. » Elle observe avec une certaine inquiétude le fait qu'à présent, un programme d'éducation thérapeutique « pourra très bien être mené sans infirmière, par exemple avec un médecin et un kinésithérapeute ».
> Mais, dans l'immédiat, le plus préoccupant reste les délais, issus de la loi HPST : en août, le ministère de la Santé a rappelé que les programmes lancés avant le 22 juillet 2009 devront avoir été validés d'ici au 1er janvier prochain. Or, le cahier des charges vient d'être officialisé. Et si certaines infirmières ont anticipé, notamment en s'imprégnant des recommandations de la Haute Autorité de santé(1) ou en prenant contact avec les ARS, ce n'est pas le cas partout. « Certaines infirmières ont monté, depuis dix ans, des petits projets qui tiennent la route, mais qui vont être recalés tout de suite », s'inquiète Emmanuelle Bordes. Soit parce que les participants « n'ont pas reçu de formation théorique », soit parce qu'ils « ne rentreront pas "dans les cases" ». Titulaires pour chacune d'un master 2 en ingénierie de programmes d'ETP, les trois infirmières citées ci-dessus assurent que monter de tels dossiers est un travail à plein temps, qui demande des moyens pour détacher des personnes sachant écrire une démarche et s'imprégner du cahier des charges. « Les équipes vont avoir des difficultés dans l'écriture des dossiers d'autorisation et la recherche de financements », prédit Martine Lauriou - même si elle-même a déjà bouclé plusieurs dossiers.
> De façon plus générale, les professionnels impliqués dans l'ETP attendent une meilleure reconnaissance (en termes de moyens, de plans de carrière, de rémunération...). Sur ce plan, le rapport Jacquat (lire l'encadré) ébauche quelques pistes, mais, en ces temps de déficit, la marge de manoeuvre est faible. Même en imaginant un report de l'échéance au-delà du 1er janvier, l'éducation thérapeutique risque de mettre, ces prochains mois, bien des vocations à l'épreuve.
1- Structuration d'un programme d'éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques, guide méthodologique publié par la HAS en lien avec l'Inpes, juin 2007, 112 pages.
Le 7 juillet, Denis Jacquat, député UMP de la Moselle, a remis à Roselyne Bachelot un rapport visant à préparer une montée en charge de l'éducation thérapeutique. Constatant que, jusqu'à présent, l'ETP s'est surtout développée à l'hôpital, il plaide pour un développement en ambulatoire, notamment via les maisons de santé. Renforcer la formation de tous les professionnels de santé, initiale comme continue, fait également partie de ses 19 propositions. Le rapport aborde en détail le financement, plaidant pour une rémunération des professionnels au forfait, prélevée sur le budget risque de l'assurance maladie et dispensée par les ARS. Il écarte en revanche l'idée (avancée par le rapport Saout-Charbonnel-Bertrand de 2008) d'un grand fonds de concours spécifique à l'ETP, au motif qu'il priverait les laboratoires de visibilité sur la destination de leurs fonds. Déficits publics obligent, « il convient de ne pas chercher à restreindre la participation financière de l'industrie pharmaceutique et biomédicale », écrit le député.
1- Éducation thérapeutique du patient : propositions pour une mise en oeuvre rapide et pérenne, en ligne sur http://www.sante.gouv.fr.
- L'éducation thérapeutique ne se limite en aucun cas à la délivrance de conseils au patient. Selon la définition de l'OMS-Europe de 1996, elle « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique ». Faisant « partie intégrante » de la prise en charge du patient, « elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l'organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. (...) »
- Loi HPST du 21 juillet 2009 (Journal officiel du 22/07/2009). L'article 84 inscrit l'éducation thérapeutique dans le Code de la santé publique, aux articles L. 1161 et L. 1162.
- Décret n° 2010-906 du 2 août 2010 et arrêté du 2 août 2010 relatifs aux compétences requises pour dispenser l'ETP, JO du 4 août, textes 27 et 30.
- Décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d'autorisation des programmes d'ETP ; arrêté du 2 août 2010 relatif au cahier des charges des programmes d'ETP et à la composition du dossier de demande de leur autorisation, JO du 4 août, textes 25 et 31.
- De nouveaux textes sont encore attendus, notamment en ce qui concerne les actions d'accompagnement ou les conditions d'accréditation des formateurs.