La morphine - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme A, 83 ans, est hospitalisée pour une douleur au mollet gauche, évocatrice d’une thrombose veineuse profonde. Antécédents médicaux : HTA, traitée par valsartan (antagoniste de l’angiotensine II), et insuffisance rénale chronique. La patiente présente une diarrhée depuis quelques jours et des douleurs du membre supérieur. Examens biologiques à l’entrée : ionogramme normal, bilan hépatique normal, créatininémie = 97 µmol/l (clairance estimée = 36 ml/min), confirmant l’IRC.

À l’arrivée à l’hôpital, un traitement antalgique est mis en place pour soulager la patiente :

– paracétamol, 1 000 mg trois fois par jour ;

– tramadol, 50 mg trois fois par jour.

Le lendemain, les douleurs persistant, cette posologie est portée à 20 mg de morphine LP matin et soir, et 5 mg de morphine à libération immédiate (si besoin, jusqu’à 4 fois par jour).

Deux jours plus tard, cette posologie est à nouveau augmentée : 60 mg de morphine LP matin et soir. L’interdose est augmentée à 10 mg jusqu’à 4 fois par jour si besoin.

Le lendemain, la patiente est confuse, somnolente, et ne répond pas aux questions. Myosis serré aréactif. Tension artérielle systolique à 6. Pauses respiratoires, saturation en oxygène à 91 %. Mise sous oxygène (3 litre/minute). Une administration de naloxone est réalisée : le réveil est immédiat. La morphine est définitivement arrêtée.

Bilan biologique sanguin : clairance de la créatinine à 9 ml/min.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Un surdosage en morphine s’est manifesté chez cette patiente dont la fonction rénale s’est nettement dégradée durant son séjour : clairance de la créatinine à 9 ml/min le jour du surdosage.

Cette altération de la fonction rénale a pu être favorisée par l’utilisation de valsartan pendant un épisode infectieux gastro-intestinal survenu quelques jours avant l’hospitalisation, ayant entraîné des diarrhées et une déshydratation : en effet, cette classe d’hypertenseurs peut entraîner une insuffisance rénale, en particulier chez les patients âgés et déshydratés.

De plus, l’augmentation des posologies quotidiennes de morphine a probablement été trop rapide chez cette patiente, passant de 40 mg à 120 mg en 48 heures sans palier intermédiaire.

2. LES MORPHINIQUES : RAPPEL

Classe thérapeutique

La morphine fait partie des antalgiques majeurs (palier III de la classification de l’OMS). Elle agit au niveau de différents récepteurs (delta, mu, kappa) localisés dans le cerveau, la moelle épinière, et au niveau périphérique. L’activation de ces récepteurs par les dérivés morphiniques est à l’origine des effets thérapeutiques (analgésie) et des effets indésirables de ces médicaments (dépression respiratoire, constipation, etc.).

Indications

Les indications de la morphine sont le traitement des douleurs intenses et/ou rebelles aux autres antalgiques, notamment les douleurs d’origine cancéreuse.

Présentations et posologies

• La morphine existe sous une forme injectable et sous des formes pour voie orale : attention, la puissance antalgique est différente selon la voie d’administration. Le délai et la durée de l’action antalgique varient selon la forme utilisée (tableau p. 43).

• La posologie initiale usuelle par voie orale pour l’adulte est de 1 mg/kg/jour, mais doit être réduite de 50 % chez le sujet âgé ou insuffisant rénal. En cas d’inefficacité observée après un délai au moins égal à deux fois la durée d’action (soit environ 8 heures pour les formes à libération immédiate, et 24 à 48 heures pour les formes à libération prolongée), une augmentation de 25 à 50 % peut être réalisée.

• Quand la voie orale est utilisée pour une douleur chronique, une répartition peut être faite entre morphine à libération prolongée (administrée toutes les 12 heures) et morphine à libération immédiate (« interdoses », dans le but de combattre un pic douloureux).

Effets indésirables

• Ils sont principalement représentés par :

- de la somnolence, de la confusion, parfois de l’excitation et des hallucinations ;

- des troubles digestifs, type nausées et vomissements, et une constipation pratiquement systématique ;

- une dépression respiratoire, pouvant aller jusqu’à l’apnée, faisant la gravité des surdosages.

• Un arrêt brutal de la morphine peut se traduire par l’apparition d’un syndrome de sevrage (sueurs, tachycardie, vomissements, douleurs musculaires, anxiété…). Une réduction des doses d’environ 10 à 20 % par jour permet d’éviter ce phénomène.

À cela s’ajoute un phénomène de tolérance : pour un patient traité au long cours, l’activité du médicament diminue peu à peu, si bien qu’il est nécessaire d’augmenter les doses pour maintenir l’efficacité antalgique. Il est possible d’augmenter les doses de morphine tant que le patient supporte les effets indésirables du traitement : la posologie maximale est donc strictement individuelle.

• La morphine peut également provoquer un prurit, en particulier lors d’administrations intrathécales.

Surdosages

Les surdosages se manifestent par une somnolence, un myosis très important (pupille en « tête d’épingle », une hypotension, voire un coma et une décompensation respiratoire. Un antidote existe, la naloxone (Narcan®), qui permet de s’opposer aux effets dépresseurs des morphiniques.

Contre-indications

Les contre-indications à l’utilisation de la morphine sont relativement nombreuses : hypersensibilité, insuffisance respiratoire décompensée (en l’absence de ventilation artificielle), ­insuffisance hépatocellulaire sévère, épilepsie non contrôlée…

L’utilisation de ces morphiniques est possible mais nécessite des précautions chez les patients insuffisants rénaux, insuffisants respiratoires non décompensés, sujets âgés, nourrissons…

Interactions médicamenteuses

Les principales interactions concernent les médicaments agonistes-antagonistes morphiniques (buprénorphine : Temgesic®, nalbuphine : Nubain®) en raison d’un risque de diminution de l’action antalgique : il s’agit d’une contre-indication absolue. Par ailleurs, l’association avec d’autres médicaments sédatifs expose à un risque d’altération de la vigilance.

3. EN PRATIQUE

Les médicaments morphiniques ont des effets indésirables fréquents (constipation) et parfois graves (dépression respiratoire). Un certain nombre des accidents signalés sont liés à des erreurs ou au non-respect de précautions d’emploi de ces médicaments.

Morphine injectable : attention aux confusions entre pourcentage, milligrammes de morphine, millilitres de solution. Des cas d’accident mortel ont été rapportés (confusion entre ampoules de 1 mg/1 ml, et 10 mg pour 1 ml). Les étiquettes comprennent désormais toutes les informations utiles, dont la quantité de morphine présente dans l’ampoule : une vérification soigneuse avant toute administration est incontournable.

Morphine par voie orale : il faut être vigilant sur la répartition entre morphine à libération prolongée et morphine à libération immédiate : une « interdose » représente usuellement environ 10 % de la dose journalière de morphine à libération prolongée (attention aux interdoses surdimensionnées).

Par exemple, pour un patient traité par morphine LP 60 mg matin et soir, l’interdose usuelle est d’environ 10 mg (10 % de 120 mg, arrondis à l’unité de prise la plus proche).

ATTENTION !

– En cas d’insuffisance rénale : certains métabolites actifs de la morphine s’éliminent mal, et sont source d’effets indésirables.

– Lors d’un changement de voie d’administration (passage de la voie IV et SC, ou orale à IV…) : il faut recalculer les posologies nécessaires pour tenir compte de ce changement.

– Lors d’un changement de posologie : ne pas réaliser d’augmentation trop forte, et penser à arrêter progressivement la posologie en cas de traitement prolongé.