Mettre les voiles à Marseille - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

HANDICAP

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Rendre la mer accessible à tous. Tel est l’objectif de l’association ilehandi. Cet été, elle a navigué de la Charente-Maritime aux côtes méditerranéennes. À bord, valides et non-valides.

Sur le Vieux Port, se dessine, comme à l’accoutumée, une forêt de mâts alignés. À côté de la Société nautique de Marseille, le catamaran Baies du monde vient d’accoster. En cette fin d’après-midi, le bateau de 15mètres de long revient de l’une de ses nombreuses sorties en mer. Comme à chacune des escales de son long périple débuté en avril à Saint-Denis-d’Oléron (Charente-Maritime) et achevé en août à Punat (Croatie), l’équipage accueille des visiteurs pour de courtes excursions à quelques milles de la côte. De retour au port, tout le monde est sur le pont, prêt à manœuvrer une étrange poulie. Elle permet de transporter un fauteuil roulant. Aujourd’hui, c’est le président de la Fédération régionale handisport qui l’utilise. Après quelques salutations sur le quai, Sébastien Roux, le skipper, reprend son poste pour un nouveau départ. D’autres passagers, invités par l’intermédiaire du réseau associatif local, arrivent déjà. Cette fois, ce sont Claude et Christine qui montent. Ni l’un ni l’autre n’ont de handicap visible. Ils sont pourtant tous deux travailleurs handicapés. Et c’est là tout l’enjeu du projet Windincap. L’embarcation s’adapte à tous les passagers invités, quelles que soient leurs capacités motrices ou cérébrales. Le leitmotiv, c’est « l’accesSEAbilité » – un jeu de mots qui mixe l’anglais et le françaispour désigner l’accessibilité à la mer.

Participation aux tâches

« C’est la première fois que je participe à une opération comme celle-ci. Elle est destinée à tous les handicaps », confirme Stéphanie, de retour sur la terre ferme. Malvoyante depuis son enfance en raison d’une dégénérescence maculaire, elle a beaucoup apprécié la balade. Et tarde un peu à quitter les lieux… Hélène N’Guyen, la coordinatrice du projet, lui propose de profiter d’une place laissée vacante. Stéphanie n’hésite pas une seconde. Elle rebrousse chemin et s’installe de nouveau sur le catamaran. « C’est plus qu’une simple promenade, s’enthousiasme la jeune femme. Nous sommes invités à participer à la navigation ! Il faut hisser la grand-voile, barrer, etc. » Sitôt à bord, tous les participants sont prévenus : il faudra donner un coup de main. Claude tressaille. Cet ancien routard de la marine marchande espère justement « retrouver ces sensations » qu’il n’a plus vécues depuis son cancer. « Aujourd’hui, je suis en “kit”. Cela fait longtemps que je n’ai pas mis le pied sur un bateau », dit-il, nostalgique.

Navire aménagé

Après avoir indiqué son identité et les coordonnées de la personne à contacter en cas d’accident, chacun reçoit les consignes de sécurité. Puis, le navire met les voiles. Les membres de l’équipage s’activent, y compris Ludivine Riffault, l’infirmière. À bord durant tout le cabotage, elle est là pour dispenser d’éventuels soins – parer au mal de mer ou pratiquer un sondage urinaire par exemple – et faire face aux urgences. Mais elle prend aussi part à la navigation sous les yeux de Christine qui, très rapidement, est mise à contribution. Comme les autres équipiers, elle passe à l’avant du bateau pour hisser la grand-voile. Un effort auquel Claude se prête avec enthousiasme. Le visage rougi, il tire sur la corde sans relâche… Puis, il faut déplier le génois, une autre voile, plus petite.

Enfin, vient le temps du répit. Le bateau glisse sur l’eau. Tour à tour, les passagers prennent le gouvernail. L’ambiance est détendue et conviviale. Le tutoiement est général. Mis à part Christine, incommodée par la houle, chacun semble conquis. D’autant que l’embarcation est très sécurisée. « Nous avons posé des poignées un peu partout pour faciliter le déplacement des personnes », détaille Ludivine, avant de se lancer dans une description plus complète des aménagements effectués sur le bateau. Les sièges sont tous rabaissés. Le cockpit dispose d’un rail et le winch (un treuil à main) a été déplacé pour permettre l’accès des fauteuils roulants. La porte est élargie. À l’intérieur de la cabine, des toilettes adaptées ont également été installées. « L’idée est un peu semblable à ce qu’a fait Andrea Stella [un navigateur en fauteuil] avec son bateau », poursuit Ludivine. Seul hic : les adaptations devront être ôtées à la fin du périple, car le catamaran n’appartient pas à l’association. De la côte atlantique jusqu’aux rives méditerranéennes, le catamaran a accueilli plusieurs centaines de passagers. Aux trois quarts de son itinéraire, après avoir fait escale en France, au Portugal, en Espagne et de nouveau en France, et avant de faire halte en Italie, l’association a organisé 66 navigations pour 499 personnes, dont 380 adultes, 20adolescents (de 12 à 18 ans), 40enfants (entre 6 et 12 ans), auxquels se sont ajoutés des journalistes, des partenaires et des membres d’ilehandi. D’après les premières statistiques, ont surtout participé des personnes atteintes d’un handicap cognitif, et, en deuxième lieu, des personnes handicapées moteur. Étaient également représentés les handicaps sensoriels, psychiques, ainsi que les polyhandicaps.

Le voilier laissera des traces. Et insuffle une dynamique. « Le terme Windincap vient de l’anglais, explique Daniel LeBellego, médecin et président de l’association ilehandi. Cela signifie, mot à mot, “du vent dans le chapeau”. On pourrait aussi traduire cela par “donner du souffle à ses idées”. » L’occasion, donc, d’ouvrir des perspectives aux personnes qui ne peuvent pas ou plus se mouvoir à leur gré. L’ambition d’ilehandi vise aussi à sensibiliser les valides au quotidien de ces dernières. Dans les écoles, collèges et lycées du territoire de Marennes-Oléron (Charente-Maritime), des élèves ont déjà franchi ce pas. Certains ont même suivi l’aventure au jour le jour grâce à Internet !

Ambition internationale

À terme, l’association cherche aussi à créer un réseau international d’organisations susceptibles de développer des activités liées au milieu marin et adaptées au monde du handicap. Son projet semble en bonne voie car, pour l’heure, elle bénéficie déjà de soutiens de taille, en l’occurrence du sponsoring de l’assureur MACSF et d’un parrainage par le navigateur Bertrand deBroc. De quoi essaimer à travers l’Europe…

En attendant, durant l’étape marseillaise, les passagers doivent de nouveau mettre le cap vers le Vieux Port. À l’horizon, le soleil commence à décliner. Les yeux pétillants, Claude regarde une dernière fois le navire. « Tu te rends compte qu’il y a des choses que tu peux encore faire », souffle-t-il, avant de repartir avec la ferme intention de rééditer cette expérience.

CONTACTS

ilehandi

L’association, fondée en 2004, veut favoriser l’implication, dans la vie de la cité, des personnes handicapées, par la promotion et le développement de leur accès aux activités de découverte et de loisirs en milieu marin. 20, bd Félix-Faure 17370 Saint-Trojan-les-Bains, 06 80 70 31 75 ilehandi@gmail.com

TÉMOIGNAGE

Quels soins à bord ?

LUDIVINE RIFFAULT INFIRMIÈRE

Diplômée depuis 2007, Ludivine Riffault, 24 ans, espère continuer à se former. Après une période d’intérim où elle a œuvré en réanimation, aux urgences ou encore en hospitalisation à domicile, elle n’a pas hésité à participer bénévolement à l’aventure Windicap pendant quatre mois. Au-delà de l’aspect technique, sa présence avait une autre fonction : rassurer. « Je pars du principe qu’on peut soigner par le moral », explique l’IDE avant de nous confier une anecdote sur un jeune homme de 18 ans : « Cela faisait peu de temps que sa cécité s’était déclarée quand il est venu à bord. Il était dans le refus de tout… Puis, on lui a décrit le bateau et comment s’y déplacer. Il s’est alors surpassé. Il se déplaçait tout seul, au point qu’une autre personne sur le catamaran l’a interpellé pour lui montrer un bateau à l’horizon ! Elle ne s’était pas rendu compte qu’il était aveugle.

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