Sujet induit ou sujet produit ? - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

PSYCHIATRIE

DOSSIER

Hospitalisation d’office, maintien en service psychiatrique… Des associations réclament une réforme globale des politiques de santé mentale.

Aujourd’hui, entre 30 et 40 % des patients pris en charge en hôpital psychiatrique le sont sous contrainte de soins, soit dans le cadre d’une hospitalisation d’office (HO), requise par le préfet ou le maire pour les petites communes, soit dans celui d’une hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). « Dès lors que la personne malade atteinte d’une maladie mentale est dans le déni de sa maladie, elle est de facto objectivée et par conséquent n’est pas associée à la décision médicale, d’ailleurs son consentement n’est pas recherché. À notre sens, c’est une facilité dont use et abuse l’institution psychiatrique, car il existe toujours chez une personne une part de raison qui peut être sollicitée. Tout le monde s’accorde d’ailleurs sur ce fait. Mais pour ça, il serait nécessaire d’entamer un dialogue avec elle pour lui permettre de réinvestir sa subjectivité », souligne Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des usagers en psychiatrie (Fnapsy)(1).

Changer d’attitude

Dans le cadre de la réforme de la loi de 1990 qui fixe les modalités d’accueil de l’HO, et qui se déroulera cet automne, les procédures de prise en charge de cette hospitalisation forcée devraient être modifiées. Pour la Fnapsy, le progrès sera réel, puisque cette refonte prévoit expressément que soit pratiquée par un médecin une évaluation de la personne dans les 72 heures suivant son hospitalisation. « Dans ce laps de temps, on peut faire beaucoup de choses avec une personne malade et, notamment, l’amener à ce qu’elle accepte de reconnaître qu’elle est effectivement malade et a besoin d’être hospitalisée pour recevoir des soins. Finalement, grâce à cette modification substantielle, on estime que la prise en charge sous contrainte de soins ne concernera plus qu’un très faible pourcentage de malades. Aujourd’hui, en l’absence de ce dispositif – mais également, il faut le souligner, du manque de personnel soignant – les personnes sont maintenues en HO, et parfois durant plusieurs semaines, sans qu’une véritable évaluation soit faite », explique la présidente. Elle ajoute : « Et puis, l’institution n’aura sans doute pas la même attitude envers une personne qui est là de son plein gré qu’envers celle hospitalisée d’office. Pour obtenir le consentement de la première, en effet, il faudra lui parler ! »

Expression libre

Les associations d’usagers en psychiatrie souhaitent malgré tout que la réforme soit reportée, afin qu’elle puisse être accolée à une loi qui remette à plat le secteur de la santé mentale. « On ne peut pas réviser le dispositif de l’HO et faire l’économie d’une réforme globale des politiques de la santé mentale », estime Claude Finkelstein.

Une réforme qui devra évidemment prendre en compte l’offre de soins aujourd’hui défaillante dans le secteur psychiatrique et qui impacte la qualité de la prise en charge. Ainsi, il n’est pas rare qu’un proche soit contraint de demander une HDT car, dans ce cas, l’hôpital est obligé de prendre en charge une personne atteinte de troubles psychiatriques. « Lorsqu’on appelle un hôpital pour un proche qui ne va pas bien, on nous répond que c’est à la personne elle-même d’appeler. Dans ce cas, elle est considérée comme un sujet de soins à part entière ; mais, si on ne trouve pas de place en hospitalisation libre, ce qui est très fréquent, et que nous sommes obligés, nous les proches, de nous résoudre à signer une demande d’HDT, on ne lui demandera plus son avis. Il y a là un vrai paradoxe ! », lance Anne D, membre de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques et sœur d’une malade (Unafam)(2). « Quelque chose cloche dans notre système, relève Claude Finkelstein. Sur le papier, la sectorisation de la psychiatrie est une très bonne chose – plusieurs pays en Europe ont d’ailleurs copié cette organisation –, mais elle n’a pas les moyens humains et financiers de fonctionner. D’autre part, en supprimant le corps des infirmiers psychiatriques, la réforme de 1992 a fait beaucoup de mal à toute la psychiatrie. Un savoir et un savoir-faire avec les malades ont disparu, et il n’ont jamais été comblés depuis. Récemment, j’ai encore entendu un infirmier menacer un malade d’être expédié en UMD (voir encadré ci-contre) s’il ne se tenait pas à carreau. C’est intolérable ! »

Un savoir fragile

Mère d’un fils schizophrène, Marie-Jo dénonce la massification de la prise en charge. « Dans le secteur public, les soignants sont débordés, et la prise en charge n’est absolument pas individualisée, quelque soit le degré de la pathologie. De surcroît, les médecins changent tous les six mois. Dans ce contexte, nous avons dû nous résoudre à opter pour le secteur privé. Là, le temps de consultation a été multiplié par quatre et les médicaments divisés par dix ! »

Philosophe et anthropologue de la santé, Claude-Olivier Doron, note d’emblée qu’il est aujourd’hui étrange d’associer la personne-sujet à une notion de liberté d’agir ou de penser puisque le mot renvoie historiquement au fait d’être assujetti à quelque chose ou soumis à quelqu’un. Bref, à l’inverse…

« En santé mentale, le sujet n’est jamais donné comme tel, poursuit Claude-Olivier Doron. Le travail que revendiquent les psychiatres est justement de la produire. » En la matière, plusieurs « écoles » coexistent. L’une d’elles défend qu’une personne atteinte de troubles psychiatriques ne peut être considérée comme une personne sujet, c’est-à-dire responsable et responsable d’elle-même, car ce serait nier la réalité et les caractéristiques de la maladie mentale et, paradoxalement, ne pas la considérer comme un sujet malade. Une autre estime que ces malades sont des sujets comme les autres, avec des droits et des devoirs. « Les deux points de vue se tiennent, même si je rejette la notion binaire sujet/ objet. En psychiatrie, le travail des soignants est de légitimer ou de “déligitimer” la parole des malades. Dans tel cas, le malade se comporte comme un sujet alors que dans un autre, sa subjectivité peut être oblitérée par sa maladie. Mais l’on voit bien que la subjectivité du soignant est prépondérante dans cette évaluation », explique le philosophe. Une évaluation difficile tant le savoir médical est fragile en psychiatrie. « Et qu’il est souvent menacé, note-t-il. D’ailleurs, s’il était sûr de lui-même, il pourrait sans doute plus facilement résister aux injonctions et pressions politiques lorsque ces dernières accusent certaines catégories de malades d’être potentiellement dangereuses ; or, il peine à prouver le contraire. »

1 – www.fnapsy.org

2 – www.unafam.org

FRANCE

MALADES DANGEREUX

Il existe cinq unités pour malades dangereux en France. Elles accueillent :

→ des personnes ayant commis des crimes ou des délits, mais déclarées pénalement irresponsables ;

→ des patients placés en hospitalisation d’office par arrêté préfectoral qui présentent des troubles majeurs du comportement et que ne peuvent plus contrôler les moyens actuels de surveillance et de soins des unités de secteur en hôpital de psychiatrie générale et des détenus condamnés.