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L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

INTERVIEW : Françoise MAY-LEVIN, Médecin

DOSSIER

Cancérologue, ancien chef de service à l’Institut Gustave-Roussy, Françoise May-Levin est conseiller médical à la Ligue contre le cancer. Elle est également l’auteure de L’humanité du soin : engagement d’une vie face au cancer(1).

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la place de la personne malade dans votre spécialité ?

FRANÇOISE MAY-LEVIN : En la matière, les trente dernières années constituent une vraie révolution. Lorsque j’étais interne, outre que nous n’avions pas grand-chose à proposer en termes de thérapeutique, les personnes n’existaient pas en tant que telles. D’ailleurs, pour les soignants, leur identité était le numéro de leur chambre ! Aujourd’hui, cela n’existe plus. Et on a pris conscience qu’on ne traitait pas un cancer mais une personne atteinte d’un cancer. En ce sens, l’hôpital s’est humanisé. Autre exemple, il y a douze ans, j’ai mis en place un comité de patients pour la recherche clinique. Depuis, ces patients relisent, avant même le comité de protection des personnes (CPP), les protocoles proposés par les centres anti-cancer. Aujourd’hui, 70 % des remarques formulées par ce comité sont prises en compte par les médecins investigateurs.

L’I.M. : Mais cette humanisation s’est produite, en grande partie, sous l’impulsion des malades.

F.M.-L. : Absolument. Les états généraux organisés en 1998 par la Ligue ont d’ailleurs marqué un tournant. Cette année-là, plus de 2 000 malades se sont dressés pour dire qu’ils voulaient être soignés, informés, soutenus et non plus simplement “traités”. Pour autant, aujourd’hui encore, le médecin est obligé, au début de la prise en charge notamment, d’objectiver la personne malade. On est contraint, par exemple, de dire que tel cancer est un grade 1 en stade 3. Ça ne veut pas dire qu’on méprise la personne. En fait, cette caractérisation va permettre au médecin de proposer une stratégie thérapeutique. Pour le patient, cela doit se traduire avec des mots.

L’I.M. : Pourtant, il n’est pas rare d’entendre les malades se plaindre du « jargon » médical…

F.M.-L. : En réalité, il est toujours difficile d’annoncer une mauvaise nouvelle. Alors, on se réfugie parfois dans la technique, mais ce n’est qu’un paravent qui masque nos propres émotions. Cela dit, on doit tenir compte de l’individu et de son histoire qui fait que chacun réagit différemment. Et, bien entendu, chaque praticien a le devoir déontologique mais aussi juridique d’informer la personne des bénéfices comme des risques dus au traitement ou au non-traitement. L’information doit être claire et loyale. Être un bon médecin, c’est aussi savoir dire les choses, et également oser dire : « Je ne sais pas ». D’autant que c’est à la lumière de ces éléments que la personne va donner son consentement ou non. Parfois, dans les groupes de parole que j’anime, des malades nous rapportent que leur médecin a dit telle chose de telle manière, et qu’ils ne sont pas satisfaits(2). Ils n’osent pas le remettre en question, car persiste une sorte de déférence vis-à-vis du savoir médical. A contrario, combien disent, lorsqu’on veut les associer à une décision : « C’est vous qui savez, docteur. »

L’I.M.: La consultation d’annonce est-elle un dispositif permettant au patient d’être acteur de son parcours de soins ?

F.M.-L. : Ce dispositif est évidemment perfectible. Mais c’est une grande avancée. Pour la personne, l’intérêt est de pouvoir, avec le médecin et l’infirmière, reprendre tous les stades de son parcours de soins et de poser toutes les questions possibles. Ce devrait être aussi un moment privilégié où le médecin s’enquiert de la situation sociale de la personne et de son état psychologique. Je note que ce n’est pas toujours le cas. Mais cette consultation n’est qu’une étape. Or, ensuite, beaucoup de malades disent : « J’ai un très bon médecin, mais je ne le vois que quelques minutes. » Et c’est vrai que le manque de temps des oncologues obère la qualité de la relation. Sans doute que les médecins traitants auraient un rôle à jouer, mais ils manquent, eux, de formation pour expliquer la situation à leur patient. Ce constat pose une nouvelle fois le problème de la coordination des soins entre la ville et l’hôpital. Et c’est aussi de cela dont les patients se plaignent.

1- Éditions Vuibert, Col. Espace Éthique, 2006.

2- Groupes de parole des malades et groupes de parole pour les proches. Renseignements : 01 53 55 24 13.