Aux petits soins pour les recrues - L'Infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010

 

INTÉGRATION

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Faire en sorte que les nouvelles recrues trouvent leur place à l’hôpital, s’y sentent bien et soient efficaces rapidement, c’est le but des démarches d’accueil et d’intégration que de plus en plus d’établissements mettent en place, surtout pour les jeunes diplômées. À Necker, Curie ou Perpignan, les infirmières apprécient.

Quel est le formulaire pour le labo ? Je dois apporter ce dossier en radiologie : c’est où ? Comment accède-t-on à la fonctionX du logiciel ? M.Y. est décédé ce matin : que faut-il faire ? Oups, je ne savais pas qu’elle était la cadre sup du pôle d’à côté et j’ai gaffé ! J’ai un AES à déclarer, qui dois-je contacter ? »

Les nouvelles recrues dans un service, à plus forte raison dans un établissement, et surtout les jeunes diplômées, se sentent souvent perdues face à la découverte d’un univers entier de nouveaux repères. Elles fourmillent de questions, sollicitent leurs collègues plus anciennes… « On a appris à soigner, mais pas véritablement à travailler dans un hôpital », résume une jeune infirmière. Elles savent prendre soin des malades, réaliser un prélèvement sanguin, un pansement, poser une sonde, une perfusion… Mais elles n’apprennent pas à l’Ifsi comment fonctionne tel ou tel hôpital, comment se tissent les relations entre les services et les pôles, comment est structurée la gestion de la qualité, des risques, de l’hygiène, quelles sont les unités mobiles et quand on peut y recourir, comment fonctionne le planning et qui sont les interlocuteurs privilégiés sur telle ou telle thématique transversale…

Fidéliser et spécialiser

Pour répondre à ces questions, les établissements sont donc de plus en plus nombreux à formaliser l’arrivée des nouveaux soignants recrutés, principalement ceux qui viennent d’être diplômés (mais pas seulement). D’ailleurs, le manuel de certification des établissements de santé le préconise. La formule adoptée comprend généralement un moment d’accueil institutionnel ainsi que des journées de « séminaires » plus ou moins formels et aux thématiques très variables. Avec des objectifs multiples.

Au centre hospitalier de Perpignan, qui a mis en place une démarche d’accueil de ce type, le but est ainsi de « permettre une prise de fonction sécurisée, développer le sentiment d’appartenance à l’institution et améliorer le contact entre les agents et les équipes », résume Michel Roméro, coordonnateur général des soins.

En région parisienne, la problématique de fidélisation du personnel s’ajoute à celle de l’aide à la prise de poste. Un enjeu particulièrement important « dans un établissement très spécialisé comme Necker, dont certains services n’existent nulle part ailleurs », fait remarquer Éric Roussel, coordonnateur des soins de cet hôpital en pleine restructuration. « Notre premier objectif, explique-t-il, consiste à intégrer les professionnels dans la culture de l’établissement et de leur service en travaillant, notamment, sur le sentiment d’appartenance. Notre second objectif vise à ce que ces professionnels soient rassurés par rapport aux soins à réaliser, aux pathologies et aux patients pris en charge. Les inquiets ne restent pas longtemps. » Car travailler auprès d’enfants malades alourdit, trop pour certains, la charge émotionnelle.

Complément de formation

L’hôpital de l’Institut Curie, centre de lutte contre le cancer (CLCC), à Paris, est lui aussi concerné par l’hyperspécialisation, la charge émotionnelle élevée et la fidélisation. À travers le dispositif qu’il a mis en place, « il ne s’agit pas de proposer une simple adaptation au poste, souligne sa directrice des soins, Françoise Sébestik, mais de compléter la formation initiale des soignants afin que les patients aient toutes les garanties de sécurité et de qualité. Bien sûr, le but est aussi de faire en sorte que les soignants se sentent eux-mêmes en sécurité afin de mieux prendre soin des patients. » Grâce à ce parcours, ajoute-t-elle, « nous ne cherchons pas à leur donner l’impression d’être accueillis, mais à le leur montrer vraiment, à leur faire sentir que Curie est une institution qui les prend en compte et leur donne les moyens de s’adapter en toute sécurité ».

Ainsi, dès la remise des diplômes en Ifsi, tous les ans en décembre, les nouvelles infirmières recrutées à Curie suivent un programme de professionnalisation réactualisé chaque année par la direction des soins. Après l’accueil par Françoise Sébestik, la DRH et les cadres des services concernés, les recrues suivent de nombreux ateliers sur sept jours, très intensifs. Les cadres de l’établissement animent ces sessions sur les spécificités de la prise en charge en cancérologie : traitements et manipulation des voies veineuses en chimiothérapie, plaies et cicatrisation, transfusion et cancer, douleur, soins de support, dimension culturelle et religieuse, approches psychocorporelles, accompagnement… Des temps d’échanges et des visites du plateau de radiothérapie et d’imagerie médicale sont organisés ainsi qu’une rencontre avec la psychologue du personnel. Selon la directrice des soins, cela offre aux soignants l’occasion, unique, d’acquérir une vision globale de l’établissement.

À Necker, où des journées d’intégration sont organisées trois à quatre fois par an depuis 2004, le programme est différent. L’accueil institutionnel est assuré par le directeur de l’hôpital, la direction des soins, la DRH, et il se poursuit par une présentation de l’établissement et de ce que représente l’entrée dans la fonction publique. Suivent deux journées de formation à la gestion des risques liés aux soins, animées par des médecins et des cadres. « Certains services ou certains pôles complètent ces journées de formation, poursuit Éric Roussel. En réanimation, les nouveaux professionnels suivent une formation aux gestes d’urgence, par exemple. Tous les pôles organisent par ailleurs, une à deux fois par an, des journées paramédicales de présentation de leurs pratiques professionnelles destinées à leurs soignants mais aussi à ceux d’autres pôles. »

Être opérationnel rapidement

Embauchée il y a deux ans aux urgences de Necker, quelques jours après son diplôme, Anne-Sophie Cambar a particulièrement apprécié ce dispositif. « On ne peut pas arriver dans ce type de service en claquant des doigts, souligne-t-elle. Il faut connaître au minimum son fonctionnement, la façon dont se déroule l’accueil des patients, leur prise en charge dans les box, leur cheminement aux urgences… C’est essentiel pour être complètement opérationnel. » Et opérationnel, il faut l’être rapidement aujourd’hui.

Le centre hospitalier de Perpignan a lui aussi adopté la formule du « séminaire d’intégration ». Pendant deux jours, il se décline sous forme d’un accueil convivial avec tous les cadres et d’une quinzaine de séquences et d’ateliers pratiques sur les applications informatiques, la manutention des patients, l’hygiène, le dossier de soins informatisé, le système documentaire spécialisé, le prélèvement multi-organes, l’organisation médico-administrative, le chariot d’urgence vitale, mais aussi sur la sécurité transfusionnelle, la qualité, la formation, les droits et devoirs des fonctionnaires, etc. Un troisième jour est consacré à un approfondissement sur les plannings, les transports, les bons de demande, ainsi qu’à l’immersion dans le service d’affectation.

Mode d’emploi

Un séminaire « plus qu’utile », estime Anthony Grand, à qui l’hôpital était totalement inconnu à son arrivée en décembre dernier. Organisation géographique, médicale, administrative, logistique, fonctions transversales, etc.: il a tout découvert à ce moment-là. Y compris des services qui ne le tentaient pas au départ. « Cela m’a permis de me projeter au sein de mon futur poste et de me concentrer sur d’autres points lorsque je suis arrivé dans le service, remarque-t-il. Cela m’a fait gagner du temps. » Il s’est aussi senti rassuré et écouté.

De la même manière, Christel Castejon, même si elle a suivi ses études à l’Ifsi de l’hôpital de Perpignan et a effectué ses stages sur place, a découvert lors de ce séminaire bien d’autres aspects du fonctionnement de l’établissement. Comme l’importance de la saisie des données concernant le patient au regard du financement des activités de soins, par exemple. Il lui a fourni, finalement, une sorte de mode d’emploi de l’hôpital qui lui a permis de s’insérer plus facilement dans son service et d’être efficace plus rapidement sans avoir à tout demander à ses collègues. Un gain de temps pour tous. D’autant qu’elle a pu travailler chez elle le didacticiel du logiciel de l’hôpital distribué pendant le séminaire. Au-delà, elle s’est sentie prise en considération « en tant que professionnelle de santé, mais aussi salariée de cet établissement, un maillon de la chaîne de son fonctionnement ».

Travail en doublon

Dans certains établissements, une phase d’intégration suit ces journées. C’est le cas à Perpignan, où les nouvelles infirmières travaillent en doublon pendant quelques semaines et sont évaluées deux et quatre mois après leur arrivée. À Necker, cette intégration en doublon dure trois à six semaines, selon les disciplines. Elle permet aux arrivantes de travailler avec une soignante plus expérimentée, hors planning, dans leur service d’affectation. Pendant cette phase, raconte Anne-Sophie Cambar, « l’infirmière en poste et moi ne formions qu’une seule entité de deux infirmières : nous voyions les mêmes choses au même moment, je pouvais lui poser mes questions et elle pouvait me répondre immédiatement. » Cela l’a aussi aidée à prendre sa place dans l’équipe. Satisfaite, la jeune femme trouverait toutefois encore plus intéressant de suivre non pas une, mais deux infirmières pendant la phase d’intégration afin d’observer deux façons différentes de travailler.

Depuis deux ans, Necker propose aussi aux infirmières volontaires d’effectuer une deuxième période d’intégration, plus courte, dans un autre service du même pôle. En effet, dans l’optique de l’ouverture du futur bâtiment de l’établissement, une nouvelle logique médicale de plateau pluridisciplinaire permettra l’hospitalisation des enfants dans d’autres services que celui de leur pathologie, en cas de besoin. Cette double intégration constitue donc un atout en cas d’hospitalisation d’un enfant relevant d’un autre service ou en cas de besoin de mobilité professionnelle au sein du pôle, souligne Éric Roussel. Necker complète ce dispositif par la mise en place, d’ici à la fin 2010, de référentiels d’auto-évaluation qui déclinent les compétences à acquérir pour travailler dans un service donné. Ils peuvent être utilisés pendant la phase d’intégration et comparés à l’évaluation réalisée par la tutrice de chaque infirmière.

Rite de passage

Les soignants que nous avons interrogés plébiscitent ces dispositifs, preuve qu’ils répondent à un réel besoin. Même si la forme des ateliers proposés à Curie a pu un peu trop rappeler à certains participants, au début, le cadre des cours qu’ils venaient de quitter. Mais Anne Griveau, arrivée en 1998, a beaucoup apprécié ce parcours, qui a fait des envieuses parmi ses camarades de promotion… et les anciennes de Curie ! Il lui a permis d’arriver en poste dans l’équipe de suppléance en connaissant bien l’hôpital et en ayant rencontré les cadres et les intervenants auxquels recourir en cas de besoin. La visite des plateaux techniques lui a fait prendre conscience de leur fonctionnement. « On sent qu’on est attendues, souligne l’infirmière, qu’on fait désormais partie d’une sorte de famille, que tout est fait pour qu’on se sente bien à l’Institut Curie, et ce, à un moment-clé. » Un sentiment partagé par Clélia Dufour, arrivée en même temps qu’elle mais en chirurgie viscérale. A l’issue de ce programme très « rassurant, se rappelle-t-elle, je n’étais pas la nouvelle infirmière du service, mais un nouveau personnel de Curie ». Bien qu’elle y ait effectué plusieurs stages auparavant, elle a acquis à cette occasion cette vision globale de l’établissement ainsi que divers aspects de la prise en charge qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’aborder, comme le décès de patients. « Cet atelier nous a troublées et nous a rapprochées en même temps, raconte Clélia Dufour. À un moment, nous nous sommes imaginées dans cette situation, nous nous sommes regardées, et une chose imperceptible s’est produite, comme une solidarité à venir. » Sur un plan plus général, elle a réalisé qu’elle venait de passer un cap et n’était plus élève, mais infirmière à part entière. Comme après un rite de passage…

TÉMOIGNAGE

Comment faisait-on avant ?

CHANTAL RIOU, INFIRMIÈRE CLINICIENNE AU SERVICE D’HÉPATO-GASTRO-ENTÉROLOGIE DE L’HÔPITAL DE MONTÉLIMAR

C’était il y a trente ans exactement. Chantal Riou, infirmière à l’hôpital de Montélimar, se souvient de son arrivée. « J’ai été reçue par la direction des soins pour le recrutement. On m’a dit : “Vous irez en médecine générale et cardiologie – on ne m’a pas fait choisir – et vous commencez tel jour.” » Le jour J, elle a plongé dans le grand bain, sans bouée. « J’étais un peu stressée en arrivant. À l’époque, pendant la nuit, on pouvait avoir le médecin de garde au téléphone en cas de besoin ou recourir au seul qui était présent, aux urgences. Ce n’était pas évident. On se débrouillait, sur le terrain. » La situation était peu confortable et la responsabilité de l’infirmière plus importante, en particulier la nuit. « J’ai vécu une intégration très rapide – j’étais obligée –, mais au prix d’une grosse dose de stress », conclut Chantal Riou.

Le sentiment d’appartenance à l’hôpital, c’est donc elle qui l’a tissé petit à petit. Et elle y travaille toujours !

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