Traitement de la phase aiguë et mesures associées - L'Infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

De survenue brutale, l’AVC nécessite une prise en charge pluridisciplinaire urgente et spécialisée pour établir le diagnostic et mettre en œuvre les traitements spécifiques le plus précocement possible. Face à l’insuffisance des unités spécialisées dans la prise en charge des AVC, il est important que les équipes des services non spécialisés se forment afin d’optimiser les chances de récupération des patients.

1. TRAITEMENT MÉDICAL DE L’AVC ISCHÉMIQUE

Le traitement médical de l’AVC est strictement dépendant de son origine ischémique ou hémorragique, car un contexte hémorragique (15 à 20 % des cas) relève d’une prise en charge qui contre-indique formellement les traitements mis en œuvre en cas d’AVC d’origine ischémique (80 à 85 % des cas) (Voir encadré Point de vue).

L’objectif du traitement est de rétablir la perméabilité des vaisseaux drainant les cellules de la région située autour de la zone d’ischémie sévère (pénombre) afin d’éviter toute aggravation du déficit neurologique et de mettre le patient dans les meilleures conditions possibles pour récupérer.

Différents protocoles peuvent être envisagés et mis en place, selon les conditions d’apparition des symptômes, l’état et l’âge du patient.

Thrombolyse par rt-PA (altéplase = ActIlyse®) depuis 2003 (AMM)

→ Conditions de mise en œuvre :

– Induction du traitement dans les 3 heures (AMM); possible jusqu’à 4 h 30 (HAS) suivant l’apparition des symptômes. Les médecins estiment en effet consensuellement qu’un bénéfice clinique existe lorsque l’induction de la thrombolyse intervient dans ce délai.

– Patients âgés de moins de 80 ans. Cependant, lorsqu’il n’existe aucune contre-indication et que l’état général du patient le permet, certaines équipes estiment que la thrombolyse peut être mise en œuvre au-delà de cet âge.

– L’HTA doit être inférieure à 185/110 mmHg.

– La pression artérielle doit être maintenue à ce niveau pendant le traitement et durant les 24 heures suivantes(1).

– Diabète contrôlé.

– Pas de troubles de la coagulation.

– Absence d’hématome et de signes d’infarctus à l’imagerie.

– Pas d’antécédents d’AVC ou d’intervention crânienne dans les 3 derniers mois.

→ Administration : voie veineuse à raison de 10 % en bolus et 90 % en perfusion en 1 heure.

→ Risques associés : complications hémorragiques dans 5 % des cas.

→ Bénéfices du traitement : 40 % de guérison, contre 25 % sans thrombolyse ; réduction des séquelles de 20 %, et de la mortalité, de 30 %.

Actuellement, ce traitement reste sous-employé (1 à 5 %) car le délai conditionnant sa mise en œuvre est trop souvent dépassé, mais aussi parce qu’il est souvent difficile de connaître l’heure exacte de l’AVC lorsque la personne a été découverte et prise en charge à distance de l’accident. « C’est la raison pour laquelle, explique le Pr Serge Timsit, chef de l’UNV de l’hôpital de Brest, il est important d’améliorer les filières de prise en charge pour augmenter le nombre de patients thrombolysés. Nous avons pour objectif d’atteindre 10 % de patients thrombolysés grâce à la sensibilisation de tous les acteurs de la prise en charge (Samu, pompiers, médecins…) mais aussi de la population car des familles averties peuvent influencer favorablement le délai de prise en charge en milieu spécialisé. »

Antithrombotiques : aspirine

→ Dosage : 160 à 300 mg/j.

→ Indication : alternative au traitement thrombolytique lorsque celui-ci n’est pas indiqué ou ne peut pas être mis en œuvre.

2. PRISE EN CHARGE PARAMÉDICALE

Au-delà de l’administration et de la surveillance des traitements, la prise en charge infirmière consiste à mettre en œuvre les mesures de prévention des complications métaboliques, thromboemboliques, cutanées, infectieuses et orthopédiques susceptibles d’aggraver les lésions ischémiques préexistantes et de compromettre le pronostic fonctionnel, voire vital, du patient.

La surveillance des fonctions vitales et de l’atteinte neurologique

→ Paramètres contrôlés : constantes, coloration de la peau (cyanose pouvant résulter d’un encombrement pulmonaire), troubles respiratoires, saturation en oxygène, température et glycémie (l’hyperglycémie et l’hyperthermie peuvent aggraver les lésions ischémiques), niveau de vigilance, déficits, pupilles (symétrie, dilatation, réaction), présence de clonies, voire de crises comitiales. Toutes ces données permettent de quantifier l’impact des déficits à l’aide d’échelles fonctionnelles (Barthel, Glasgow, Rankin) ou analytiques type NIHSS (National Institute of Health Stroke Scale) (voir encadré p. 36).

→ Fréquence : toutes les heures jusqu’à stabilité neurologique avérée.

La prévention des escarres et des phlébites

Elle passe par l’installation et la mobilisation du patient et repose sur :

→ L’utilisation d’un matelas anti-escarres à adapter en fonction du score de Norton qui sera réévalué par la suite pour adapter le type de matelas approprié et de matériels de positionnement (cale de décubitus, cales de position latérale…).

→ Le matériel de transfert : lève-malade avec pèse-personne intégré, planche de transfert, releveurs…

→ Des bas de contention : sauf contre-indication, pour tous les patients. Ils seront retirés pour la toilette et lorsque le patient se lève.

L’évaluation nutritionnelle

→ Le prérequis : peser le patient dans les heures qui suivent son admission aux soins intensifs afin d’établir son poids de référence et son IMC.

→ Les contrôles : répéter la pesée en UNV selon une fréquence à définir au cas par cas.

Prévention des complications infectieuses pulmonaires

Les fausses routes constituent le principal facteur de complication infectieuse pulmonaire. Leur prévention concerne l’ensemble du personnel paramédical et plus particulièrement les infirmières, aides–soignantes et kinésithérapeutes. Elle repose sur :

 La mise en place d’une perfusion pendant 24 à 48heures.

→ La réalisation d’un test d’élargissement de l’alimentation avec de l’eau gélifiée, puis de l’eau gazeuse.

→ La réintroduction de l’alimentation lorsque le test de déglutition est positif.

→ L’adaptation de la texture des aliments (liquide, semi-liquide, pâteuse, solide).

→ Les techniques posturales.

→ Les exercices oro-faciaux.

→ Les manœuvres de déglutition : dans le service de l’UNV de Brest, un plan de soins guide a été mis en place pour les patients présentant des troubles de la déglutition. Il repose sur une observation du patient lorsqu’il s’alimente et permet de mettre en place des actions précises pour optimiser son alimentation tout en limitant les risques de fausse route.

Prévention des autres complications

→ Infections sur matériel intraveineux : changement régulier (toutes les 96 heures) du site d’insertion du cathéter veineux périphérique et contrôle des points de ponction.

→ Infections sur sondes urinaires : le risque infectieux étant très important, le sondage urinaire est réservé à quelques indications particulières : aggravation de l’état neurologique, rétention urinaire aiguë, troubles urodynamiques sévères. Les patients qui ne répondent pas à ces indications doivent être équipés d’étuis péniens ou de protections. L’évaluation de la vidange urinaire peut être réalisée par « bladder scan », appareil intéressant dans ce contexte pour effectuer la mesure non traumatique du volume (y compris résiduel) de la vessie.

Mesures pour optimiser la récupératiion

Les soignants doivent s’employer à mettre tout en œuvre pour préserver les capacités résiduelles du patient et favoriser la récupération des fonctions déficitaires. À cet effet, il convient de :

→ Veiller au positionnement du malade au lit et au fauteuil. Le positionnement constitue en effet un traitement à part entière qui, dès la phase aiguë, aide à lutter contre les troubles du tonus, les troubles trophiques et les troubles orthopédiques. Prévoir un fauteuil confortable à hauteur variable, muni d’accoudoirs amovibles, d’un repose-tête à hauteur variable, d’une assise et d’un dossier inclinables avec tablette intégrée. Éviter les fauteuils trop bas, trop profonds et trop mous. Cet équipement est important car plus il sera confortable, plus il encouragera le patient à passer du fauteuil au lit favorisant ainsi le retour de la motricité.

→ Faciliter les transferts lit/fauteuil et inversement en organisant l’espace et en mettant à disposition des aides techniques de façon à ne pas exercer de traction sur l’épaule ou la hanche lors des manipulations.

→ Mettre en place (kiné) et entretenir (infirmière) dès que possible une mobilisation passive ou active afin de prévenir les rétractions tendineuses et articulaires et les complications du décubitus. Le partenariat entre soignants permet ainsi de maintenir les acquis, d’éviter les régressions, de multiplier les chances de récupération et d’apprendre aux patients, si le handicap persiste, à se mobiliser seuls et dans de bonnes conditions en limitant les efforts et en évitant d’occasionner des désordres supplémentaires (contractures, douleurs, hématomes…) par des mouvements réalisés en force ou brutalement (près d’un patient sur 5 victimes d’AVC quitte les services de neurologie avec une lésion de l’épaule, et 2 sur 3 font un syndrome algoneurodystrophique dans les 3 mois ).

→ Veiller à ce que le membre ou la main déficitaire soit toujours dans le champ de vision du patient.

→ Faire participer, solliciter et stimuler le patient à chaque fois que c’est possible. Ne jamais faire à sa place s’il est capable de faire lui-même même si cela prend du temps. Cette stimulation des fonctions motrices participe à la rééducation mise en œuvre par le kinésithérapeute dans l’intervalle des séances.

→ Stimuler le côté héminégligent par tous les moyens :

– Réaliser tous les soins du côté héminégligent de manière à obliger le patient à prendre conscience de l’espace qu’il néglige.

– Mettre le téléphone et la télé du côté négligé (seule la sonnette doit rester du côté valide).

– Demander à la famille de se placer du côté négligé lorsqu’elle rend visite au patient.

→ Mettre en place (orthophoniste) et entretenir (infirmière) une prise en charge orthophonique adaptée aux troubles du langage lorsqu’ils existent. Cette prise en charge peut avoir plusieurs objectifs : démutiser le patient ; éviter la survenue de stéréotypies (répétition invariable de certains mots : «  oui » ou «  non » à toute question fermée ou ouverte, par ex.); canaliser l’aphasie fluente (expression verbale abondante mais incompréhensible) en inhibant la réponse immédiate pour stimuler, par réaction, l’envie de rétablir la relation dans un mode verbal classique.

→ Valoriser les moindres progrès mais aussi détecter les moindres signes de découragement pour anticiper et prévenir les troubles dépressifs chez le patient mais aussi chez les aidants.

POINT DE VUE

AVC hémorragique

PR SERGE TIMSIT CHEF DE L’UNV DE L’HÔPITAL DE BREST

→ Les traitements de l’AVC ischémique sont formellement contre-indiqués en cas d’AVC hémorragique car ils amplifieraient l’hémorragie cérébrale. Cela impose de poser un diagnostic de certitude avant toute décision thérapeutique. Cela étant, il n’existe aucun traitement vraiment efficace pour traiter les hémorragies cérébrales. Pour l’heure, on se contente d’adapter le traitement à la cause de l’AVC hémorragique. En cas d’hypertension, la prise en charge consiste à normaliser et à contrôler la pression artérielle. Dans le cas d’une hémorragie cérébrale consécutive à la prise d’anticoagulants, si le patient est pris en charge dans les 24 premières heures, il est possible de l’endiguer. Dans des cas rares, les hémorragies cérébrales peuvent être opérées. Mais la grande majorité des patients ne sont pas opérés car les études montrent que­ l’intervention n’est pas intéressante en terme de pronostic. De nombreuses recherches sont en cours pour trouver des traitements capables de réduire le volume de l’hémorragie cérébrale, mais aucun essai n’est aujourd’hui concluant. Le pronostic de l’AVC hémorragique est bien plus mauvais que celui de l’AVC ­ischémique, avec une mortalité de 50 % à 1 mois, contre 15 à 20 % pour l’AVC ischémique.

Évaluation

Outils d’analyse

Les échelles fonctionnelles et analytiques permettent de mesurer les capacités fonctionnelles et les déficiences neurologiques du patient à son arrivée, pendant son séjour et à sa sortie de l’UNV. « Nous réalisons une évaluation précise de l’état du patient et une surveillance objective de son évolution et de ses handicaps, explique Françoise Coadou, cadre de santé de l’UNV de l’hôpital de Brest. Effectué d’emblée par le médecin à l’arrivée du patient en soins intensifs, le score NIHSS(1) prend en compte le niveau de conscience, la vigilance, l’oculomotricité, la motricité, l’orientation, l’ataxie, la sensibilité, la paralysie, le langage. Il est renouvelé à chaque changement d’équipe infirmière pendant 48 heures si le patient est stable, ou plus fréquemment dans le cas contraire. Ainsi, nous sommes en mesure de signaler au médecin toute amélioration ou aggravation de l’état du patient. » Un score inférieur à 10 avant la 3e heure permet d’espérer 40 % de guérisons spontanées, alors que celles-ci sont exclues par un score supérieur à 20. L’échelle Rankin concerne l’évaluation du handicap. Elle comporte 5 scores : « ni plainte ni handicap » (0); « symptômes minimes sans limitation fonctionnelle » (1); « handicap discret » (2); « handicap modéré associé à une restriction significative de l’autonomie » (3); « handicap moyen » (4); « handicap sévère avec nécessité d’un nursing permanent » (5).

1–  http ://uhcd.chra.free.fr/procedures/neuro/nihss.htm

ACCOMPAGNEMENT DES PATIENTS

Les équipes paramédicales ont leur rôle à jouer dans le soutien des patients et des familles, lors de l’hospitalisation et, plus tard, pendant la période de rééducation.

En phase aiguë, précise Françoise Coadou, cadre de santé de l’UNV de l’hôpital de Brest, les patients restent en moyenne 3 jours en soins intensifs et 6 jours en hospitalisation continue en UNV avant d’être orientés vers une structure adaptée à leur état de santé et à leurs capacités de récupération. Nous mettons en place une écoute et un soutien des patients et de leur famille, et nous veillons à bien expliquer les informations données par les médecins. » Face à la question du handicap, il est souvent difficile pour les soignants de répondre aux questions quant à l’évolution de la récupération. « Nous nous appliquons à entretenir l’espoir de récupérer certaines fonctions avec le temps et le travail réalisé dans les structures de rééducation, de soins de suite et de réadaptation (SSR) ou à domicile. Toutefois, l’assistance d’un psychologue ou d’un psychiatre dès la phase de prise en charge à l’UNV est parfois nécessaire », poursuit Françoise Coadou. Au terme du séjour en UNV, un médecin rééducateur réalise une évaluation du potentiel de récupération de chaque patient avant de déterminer son orientation. « S’il estime que la rééducation n’apportera pas de bénéfice au patient (patient fatigué…), il l’oriente vers les soins de suite. Si l’évolution à distance est favorable, le patient pourra rejoindre un centre de rééducation. Les structures de soins de suite et de rééducation jouent un rôle “tampon” important pour les patients et les aidants. Elles maintiennent un encadrement stimulant autour des patients et permettent aux familles d’accuser le choc, de “se retourner” et d’organiser le retour au domicile. À ce titre, les aidants sont mis en relation avec le staff social afin de mettre en place les aides personnalisées indispensables au maintien à domicile, conclut Françoise Coadou. Dans le même souci d’accompagnement, le conseil national de l’ordre des masseurs–kinésithérapeutes, en lien avec l’institut de formation en kinésithérapie, vient de lancer un livret « Informations et programmes d’exercices de rééducation dans les suites d’un AVC »(1) pour aider les patients, les aidants et les rééducateurs à domicile. Ce document, réalisé dans le cadre d’un partage d’expérience entre patients et soignants, donne à l’ensemble des acteurs concernés les moyens d’identifier leurs difficultés et de mettre en place un programme d’auto-rééducation. Cet outil, au même titre que les « suivis infirmiers » mis en place dans certaines UNV, souligne la place privilégiée qu’occupe l’équipe paramédicale dans la gestion positive de la prise en charge et des suites d’un AVC.

1–  Le livret est disponible en ligne : www.ordremk.fr ou www.franceavc.com. Contact : edelezie@ordremk-idf.fr

CHIFFRES

8,4 milliards d’euros, c’est le montant des dépenses sanitaires et médico-sociales annuelles liées à l’AVC.

1 sur 5 patient victimes d’AVC est hospitalisé en unité neurovasculaire.

1 % des patients seulement bénéficient d’une thrombolyse (dépassement des délais liés à une mauvaise information des patients et à une mauvaise organisation de la filière).

50 % des patients conservent, à six mois, une hémiparésie, 22 % ne marchent plus, entre 25 et 50 % présentent une dépendance partielle ou totale.

70 % des survivants conservent des séquelles.

20 % des survivants sont admis en institution. 70 % retrouvent leur domicile

25 000 récidives par an.