L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

PHRI

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

MARIE-CAPUCINE DISS  

Le Programme hospitalier de recherche infirmière a été lancé il y a un an. Les quinze projets financés lors de cette première édition illustrent les questionnements des infirmières sur les soins qu’elles prodiguent. En leur donnant les moyens d’y répondre, le PHRI pourrait bouleverser le métier.

Un appel d’air pour la recherche infirmière ! C’est ainsi qu’apparaît la mise en place du PHRI, cette année, par le ministère de la Santé. En voie d’extension aux autres paramédicaux (encadré ci-contre), le Programme hospitalier de recherche infirmière a pour but de financer et de dynamiser « l’effort de recherche dans toutes les dimensions des soins ». À l’automne 2009, un appel à projets a été publié à destination des infirmières. Chaque dossier devant être soutenu par un établissement hospitalier, qui en porte la responsabilité scientifique. L’appel à projets de 2009 proposait six thématiques correspondant à des problématiques de santé publique, et une septième dite « libre », afin de ne pas brider la créativité des candidats. À la mi-janvier 2010, 84 projets étaient parvenus au ministère. « Un nombre aussi important de candidatures, avec seulement trois mois pour constituer le dossier, c’était la preuve que les équipes étaient prêtes, analyse Monique Rothan-Tondeur, présidente du comité de sélection et directrice du département de sciences infirmières et paramédicales de l’École des hautes études en santé publique. C’est le premier grand résultat du PHRI et cela a constitué un indicateur fort pour les pouvoirs publics. » En mai 2010, quinze projets ont été sélectionnés en fonction de leur pertinence, de leur originalité, de leur méthodologie et de leur faisabilité. Ils ont obtenu un financement pour trois ans. La majorité de ces projets portaient sur l’amélioration et la sécurité des soins. Dans des champs d’étude très variés (lire l’encadré p. 24), chacun d’eux illustrait les questionnements du soignant et de l’équipe concernée.

Mission première

À l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (92), Laurence Fontaine, infirmière de l’équipe mobile de soins palliatifs, a porté le projet « Prise en charge de la fin de vie par les équipes soignantes : que pourrait-on faire de moins, que devrait-on faire de plus ? ». La démarche est née d’un sentiment d’insatisfaction. « Nous sommes souvent en train de dire “je n’ai pas le temps” et de nous demander si nous sommes dans le juste soin, explique l’IDE. En équipes palliatives, des soins sont régulièrement prescrits, dont la réalisation prend du temps, et qui nous font passer à côté de notre mission première : apporter du confort et du bien-être. Par exemple, une transfusion, qui ne paraît pas “utile” pour un patient qui s’est régulièrement déglobulisé depuis des mois et dont l’état clinique reste stable. Cet acte est douloureux pour lui, et prend le temps qui aurait pu être utilisé pour des soins de bouche, de rafraîchissement, ou un massage. » À l’hôpital pédiatrique Robert-Debré (Paris), Nathalie Duparc Alégria, infirmière ressource douleur, a été informée par l’intranet de l’existence du PHRI. Elle a alors monté un dossier avec Karine Tiberghien, Iade et responsable du projet de recherche. Il s’agit de prouver l’utilité de l’hypno-analgésie en préopératoire. Si l’on focalise l’attention du jeune patient sur son imaginaire, il devient moins attentif aux éléments inquiétants du bloc opératoire. Grâce à l’hypnose, l’enfant se trouve dans un environnement rassurant, et il mobilise alors ses propres ressources. Nathalie Duparc Alégria explique dans un sourire : « Il faut toujours justifier la validité d’une technique par des preuves. C’est ce que va nous permettre de faire le PHRI. » Karine Tiberghien renchérit : « C’est, pour nous, l’occasion ou jamais de vérifier et de prouver scientifiquement l’efficacité de la méthode hypno-analgésique. »

Sortir de l’hôpital

Le projet de recherche du Smur de Corbeil-Essonnes est né, lui, d’une discussion en équipe au sujet de la régularité de la délivrance d’un médicament administré au pousse-seringue électrique. Bruno Garrigue, cadre de santé, est convaincu de la légitimité de la recherche infirmière : « J’ai longtemps travaillé dans un Smur où la culture de la recherche et de la publication était très présente. À Corbeil-Essonnes, nous avions déjà participé au congrès “Urgences”, avec une étude sur la pose de voies veineuses. » Sous son impulsion, un premier recueil de données a été réalisé auprès de 80 Ifsi. Il en ressort qu’aucune pratique n’est majoritairement enseignée pour la préparation des seringues électriques. Une étude complémentaire auprès de 100 professionnels confirme ce flou. Une première étude pilote avait été menée en partenariat avec une unité du CNRS de Paris Sud. Les écarts de concentration de catécholamines avaient été mesurés. En fonction du mode de préparation, la concentration de produit actif varie de 35 % au cours de la délivrance du médicament. Dans le cas de médicaments à index thérapeutique étroit, cette variation de concentration du produit actif peut avoir d’importants retentissements sur l’état des patients instables. Le PHRI a représenté, pour l’équipe du Smur, le prolongement logique de ces premiers travaux. La collaboration avec le département de la recherche clinique médicale de l’hôpital, ou avec d’autres unités de recherche extérieures, est fondamentale pour la réalisation du PHRI. Aucun dossier ne peut être sélectionné s’il ne dispose pas d’une méthodologie et d’un encadrement scientifique solides. C’est ce qui permet de mettre à l’épreuve une intuition de départ. À Colombes, Laurence Fontaine a pu s’appuyer sur la méthodologie de l’URC (unité de recherche clinique) Paris Nord pour monter son protocole. Au CHU de Limoges, une mission transversale de recherche en soins a été créée. Sa responsable, Pascale Beloni, accompagne les soignants des différents services dans l’élaboration de leur projet. « Il est important, au départ, d’être à l’écoute des équipes et de leurs préoccupations, explique la cadre de santé. Il suffit de faire attention à ce qui est dit. Nous facilitons ensuite le contact entre les soignants et les référents de la recherche médicale, qui, en général, ne sont pas habitués à se rencontrer dans les établissements. »

Tout un apprentissage

À l’Institut Curie (Paris), Isabelle Fromantin s’est engagée dans la recherche depuis déjà une dizaine d’années. Cette infirmière, responsable de l’unité plaies et cicatrisation de l’Institut, est doctorante à l’université de Cergy-Pontoise(95) : « Je me suis heurtée au problème de plaies spécifiques, liées au cancer. Pour trouver des solutions, je me suis petit à petit tournée vers la recherche. C’est tout un apprentissage. On commence par des petites choses et on va de plus en plus loin. » Travaillant dans un établissement où la pratique et la recherche ne cessent de se croiser, Isabelle Fromantin a pu régulièrement se faire aider pour progresser dans sa démarche. Elle a d’abord travaillé sur la comparaison de dispositifs médicaux, mais ses recherches ont mené à une impasse. Elle a alors décidé de prendre comme point de départ des symptômes de ces plaies (une odeur incommodante et des risques d’infection) et s’est orientée vers la recherche translationnelle(1), collaborant avec une équipe du CNRS de Cergy-Pontoise.

Le PHRI permet à l’infirmière-chercheuse de financer cette partie de sa thèse. Le recours à une discipline extrêmement éloignée des sciences infirmières s’avère fructueux. « Moi qui n’ai jamais fait de recherche fondamentale, je travaille avec des gens qui n’ont jamais vu de plaie. Nous nous retrouvons à mi-chemin. Je pars de mon expérience clinique et vais vers la recherche translationnelle. Les chercheurs du CNRS font le chemin inverse. » Isabelle Fromantin et son équipe fixent et marquent les bactéries des plaies. Les chercheurs du CNRS calibrent in vivo ces marquages. « C’est moins beau que dans une boîte de Petri, il s’agit des bactéries “dans la vraie vie” », s’amuse l’infirmière. En travaillant sur les modifications du biofilm avec l’aide de l’équipe du CNRS, elle espère trouver le moyen de réduire les odeurs et les risques d’infection des plaies tumorales.

Les effets du PHRI se font déjà sentir dans les établissements. « Les infirmières ont pu faire leurs preuves au cours du parcours de validation de leur projet, souligne Pascale Beloni. Le regard des médecins sur elles a changé : elles ont montré qu’elles étaient capables de concevoir un protocole. » À l’hôpital Robert-Debré, le PHRI va permettre de financer la formation de six à sept Iade aux techniques d’hypno-analgésie et, donc, de poursuivre le développement d’une technique dont l’évolution avait été freinée, faute de moyens disponibles. À plus long terme, les recherches menées par les deux infirmières pourraient changer les pratiques et les esprits. « Si les résultats de notre étude s’avèrent positifs, cela permettra une meilleure communication avec le patient, s’enthousiasme Nathalie Duparc Alégria. Sera alors prouvée l’importance du temps accordé à l’enfant, avant une opération, pour réduire son anxiété et améliorer les soins. » Si les recherches de son équipe aboutissent, Bruno Garrigue, à Corbeil-Essonnes, vise la mise en place de bonnes pratiques professionnelles, en partenariat avec la Haute Autorité de santé. « Il est fondamental que cette recherche émane de la base, assure-t-il. Si une personnalité de l’université dit aux infirmières : “vous devez changer votre mode de préparation des seringues”, cela ne fonctionnera pas. Venant de gens du terrain, cela devient crédible et acceptable. »

Dans le sens de la réforme LMD

Si les intuitions de départ de l’étude dirigée par Laurence Fontaine, à Colombes, étaient vérifiées, plusieurs évaluations des pratiques professionnelles pourraient en découler. « Nous réalisons régulièrement des EPP que nous n’exploitons pas jusqu’au bout. Elles sont rarement validées. Avec l’effervescence suscitée par le PHRI, c’est peut-être l’occasion de mener à terme nos démarches d’amélioration du soin », souligne l’investigatrice. Cette recherche est aussi le moyen de porter une réflexion sur des prescriptions médicales non contestables par l’infirmière dans l’exercice classique du métier. À plus long terme, c’est la culture infirmière qui pourrait être révolutionnée. Ce programme institutionnalise le raisonnement et la distance critique par rapport à une pratique non remise en question depuis des générations. Ce changement d’attitude pourrait bouleverser le regard que portent les infirmières sur elles-mêmes. Cette évolution va dans le sens de la réforme LMD (licence, master, doctorat). Monique Rothan-Tondeur estime qu’un tournant est en train de s’amorcer : « Pour le moment, les infirmières ne lisent pas assez de littérature scientifique. Plus elles produiront, plus cela donnera envie aux jeunes de se lancer dans la recherche. » En se mettant à diriger des recherches, les infirmières ne s’écartent pas de leur métier : le soin et le bien-être des patients. Un impératif joliment résumé par Isabelle Fromantin : « Si je perdais mon savoir-faire, ma sensibilité, ma recherche en serait appauvrie. »

1- À mi-chemin entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, la recherche translationnelle correspond à la mise en application médicale des résultats scientifiques de la recherche fondamentale.

LES TROIS PROGRAMMES HOSPITALIERS

→ Le PHRC (programme hospitalier de recherche clinique), mis en place en 1993.

→ Le Preqhos (programme de recherche en qualité hospitalière), lancé en 2007.

→ Le PHRI, mis en place en 2010, se fondra, en 2011, dans le PHRIP (programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale). Il est divisé en deux collèges, un pour les infirmières, un second pour les autres professions paramédicales. L’appel à projets et le dossier se trouvent sur le site www.sante.gouv.fr. Taper « PHRIP » dans un moteur de recherche.

PREMIÈRE CUVÉE

Les quinze projets retenus en 2010

1. Impact de l’hypnose préopératoire avant induction anesthésique, sur l’anxiété des enfants de 10 à 18 ans (Robert-Debré, 75).

2. Évaluation des concentrations et de l’homogénéité des principes actifs dans une seringue électrique(Corbeil, 91).

3. Prise en charge de la fin de vie par les équipes soignantes (Colombes, 92).

4. Impact de la forme des assiettes sur la préservation des praxies dans l’alimentation chez les personnes âgées souffrant de démences sévères en institution (Limoges, 87).

5. Douleurs et musicothérapie lors de la réfection de pansements chez les patients artéritiques de stade 4 (Limoges).

6. Standardisation des soins infirmiers pour la surveillance des patients atteints d’encéphalopathie hépatique hospitalisés en réanimation (Clichy, 92).

7. Effet de l’humidification sur le confort du patient recevant une oxygénothérapie. (Angers, 49).

8. Impact de l’hypnose sur le soulagement de la douleur induite par les pansements en gynécologie ambulatoire (Angers).

9. Impact d’une pratique infirmière centrée sur la perception corporelle dans l’anorexie mentale (Sainte-Anne, 75).

10. Validation d’une échelle d’évaluation du risque de constipation des patients hospitalisés (Bordeaux, 33).

11. Qualité d’une consultation infirmière versus une consultation médicale en médecine du voyage (Bobigny, 93).

12. Information multidisciplinaire sur le choix d’une technique autonome de suppléance de l’insuffisance rénale chronique terminale (Lyon, 69).

13. Évaluation de la pénibilité représentée par la prise en charge familiale d’un patient atteint de la maladie de Huntington (Créteil, 94).

14. Impact de la mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique par neurostimulation chez les patients lombalgiques (Foch, 75).

15. Étude de la flore intestinale et de l’impact du biofilm sur les plaies tumorales responsables d’odeurs nauséabondes et de majoration du risque infectieux (Curie, 75).

À LIRE

→ « Recherche infirmière : l’acte II du programme » (sur l’extension récente du programme aux autres professions paramédicales) sur espaceinfirmier.com, 10 novembre 2010.

→ « Les infirmières au rendez-vous de la recherche », L’Infirmière magazine n° 261, juin 2010 (annonce des résultats du PHRI).

PROTOCOLE

Un exemple de méthodologie

Pour le PHRI de l’hôpital Louis-Mourier à Colombes (« Prise en charge de la fin de vie par les équipes soignantes : que pourrait-on faire de moins, que devrait-on faire de plus ? »), un protocole a été monté en partenariat avec quatre autres centres hospitaliers afin d’identifier les soins infirmiers pertinents pour des patients en fin de vie. L’étude analysera les dossiers de 200 patients hospitalisés en court séjour dans les 72 heures précédant leur décès. Cette étude croisera les évaluations de deux groupes d’experts. Le premier réunit un médecin et une infirmière exerçant en soins palliatifs, et apporte une expertise sur le cas clinique. Le second groupe réunit un médecin, une infirmière et une aide-soignante de l’unité d’hospitalisation, directement concernés. Les gestes et les soins effectués seront classés en trois catégories : non pertinent, discutable et indispensable. Les gestes et les soins de confort préconisés mais non réalisés seront listés. La durée moyenne nécessaire pour réaliser ces actes sera ensuite évaluée. À la fin de l’étude, les charges de travail des soins effectués et classés non pertinents et celles des soins préconisés mais non réalisés seront comparées.

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